Bien avant l’engagement politique de Collin Kaepernick, il y avait celui de Muhammad Ali, alias « The Greatest ».
Il y a 54 ans, jour pour jour, Muhammad Ali refusait d’aller au Vietnam
Dans ce vieux film d’actualitĂ©s en couleur, l’image du Dr Martin Luther King Jr. est un peu floue, mais les voix sont claires.
Un journaliste hors champ interroge le Dr King sur le champion de boxe poids lourd Cassius Clay, qui a refusĂ© de s’engager dans l’armĂ©e amĂ©ricaine lorsqu’il a Ă©tĂ© appelĂ© sous les drapeaux pendant la guerre du Vietnam.
« Il fait ce qu’il fait sur la base de sa conscience. Il est absolument sincĂšre. Je soutiendrai fortement ses actions. »
Dans un autre extrait du mĂȘme journal tĂ©lĂ©visĂ© d’ABC, Muhammad Ali – qui n’est plus « Cassius Clay » – dĂ©clare qu’il est objecteur de conscience Ă la guerre parce qu’il est ministre de la Nation of Islam.
Dans des mots qui n’ont pas la mĂȘme rĂ©sonance le 28 avril 1967 qu’aujourd’hui, Ali parle d’Allah, des infidĂšles et du Coran tandis que les journalistes explorent les « musulmans noirs » qu’il reprĂ©sente.
« Non, je n’irai pas Ă 10 000 miles d’ici pour aider Ă assassiner et tuer un autre pauvre peuple simplement pour poursuivre la domination des maĂźtres esclavagistes blancs sur les peuples plus sombres de la Terre (…) Les vrais ennemis de mon peuple sont ici mĂȘme – pas au Vietnam ».
Aujourd’hui, c’est le 50e anniversaire du refus d’Ali de servir. ImmĂ©diatement, il a Ă©tĂ© dĂ©chu de son titre de champion et suspendu par les autoritĂ©s de la boxe.
Ali a alors 25 ans et il manquera plus de trois ans au sommet de sa carriĂšre. Moins d’un an plus tard, le Dr King est assassinĂ©. C’est une Ă©poque violente et furieuse oĂč Ali est un acteur majeur, mĂȘlant race, religion, sport et politique.
« Mec, je n’ai pas de problĂšme avec les Vietcongs (…) Aucun Viet-Cong n’a jamais dit ‘nĂšgre’. «Â
Si votre idĂ©e d’un athlĂšte politisĂ© est le quaterback de la NFL Colin Kaepernick refusant de se lever pour l’hymne national, considĂ©rez ce qui s’est passĂ© aprĂšs la prise de position d’Ali.
Cinq semaines plus tard, Ă Cleveland, un groupe extraordinaire d’athlĂštes noirs s’est rassemblĂ© aux cĂŽtĂ©s d’Ali pour le soutenir.
Parmi eux, le footballeur pro Jim Brown, le basketteur pro Bill Russell et la star du basket-ball universitaire Lew Alcindor, plus tard connu sous le nom de Kareem Abdul-Jabbar.
« à une Ă©poque oĂč les Noirs qui dĂ©nonçaient l’injustice Ă©taient qualifiĂ©s de prĂ©tentieux et souvent arrĂȘtĂ©s sous un prĂ©texte ou un autre, Muhammad a volontairement sacrifiĂ© les meilleures annĂ©es de sa carriĂšre pour rester debout et se battre pour ce qu’il croyait juste (…) Ce faisant, il a permis Ă tous les AmĂ©ricains, noirs et blancs, de se tenir plus grands. Je mesure peut-ĂȘtre 1,80 m, mais je ne me suis jamais senti aussi grand que lorsque je me tenais dans son ombre ».
Le dĂ©fi d’Ali a inspirĂ© d’autres athlĂštes noirs. Un an plus tard, les mĂ©daillĂ©s olympiques amĂ©ricains sur piste Tommie Smith et John Carlos lĂšvent leurs poings gantĂ©s de noir en signe de Black Power pendant l’interprĂ©tation de « The Star-Spangled Banner » Ă Mexico.
L’affaire Ali-draft n’est qu’une vague dans un tsunami de changements culturels en 1967. Quelques semaines seulement aprĂšs la prise de position d’Ali contre le service militaire, la Cour suprĂȘme lĂ©galise le mariage interracial dans l’affaire Loving contre Virginie et les Beatles sortent Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Parmi les personnes figurant sur la couverture de l’album figure Sonny Liston, le prĂ©dĂ©cesseur d’Ali en tant que champion.
Dans les mois qui suivent, le Summer of Love prend racine Ă San Francisco, et 43 personnes meurent dans une Ă©meute raciale Ă Detroit. Le film populaire In the Heat of the Night montre le jeune acteur noir Sidney Poitier en train de gifler un vieux raciste blanc.
Lorsqu’Ali a refusĂ© de s’avancer, les baby-boomers les plus ĂągĂ©s avaient 21 ans. Les plus jeunes venaient juste d’apprendre Ă marcher et Ă parler, tandis que leurs frĂšres et sĆurs plus ĂągĂ©s avaient appris Ă dĂ©filer et Ă chanter contre la guerre.
Ali a donnĂ© Ă certains hommes en Ăąge de s’engager le courage de protester et de demander des sursis en tant qu’objecteurs de conscience. Aujourd’hui, ces mĂȘmes baby-boomers ont plus de 50 ans et sont consternĂ©s par la vitesse Ă laquelle le temps passe.
Lorsqu’Ali est dĂ©cĂ©dĂ© l’annĂ©e derniĂšre, il a Ă©tĂ© sincĂšrement pleurĂ© comme un champion dynamique et populaire, un hĂ©ros populaire et un reprĂ©sentant de l’harmonie interraciale. Mais le ton Ă©tait bien diffĂ©rent aprĂšs qu’il eut refusĂ© le service militaire Ă Houston.
L’un de ceux qui ont pris la parole Ă©tait Jackie Robinson, le joueur de baseball Ă la retraite et hĂ©ros amĂ©ricain emblĂ©matique qui avait intĂ©grĂ© la Major League Baseball seulement 20 ans auparavant.
Robinson a critiqué Ali
« Il blesse, je pense, le moral de beaucoup de jeunes soldats noirs au Vietnam (…) Et la tragĂ©die, pour moi, c’est que Cassius a gagnĂ© des millions de dollars sur le dos du public amĂ©ricain, et maintenant il ne veut pas montrer sa reconnaissance. »
Et cela venait de ce qu’on appelait alors la communautĂ© « nĂšgre ». Certains Blancs Ă©taient beaucoup plus durs. Un Ă©ditorial de Sports Illustrated dĂ©clare :
« Sans ses gants, Ali n’est qu’un autre dĂ©magogue et un apologiste de sa soi-disant religion, et ses opinions sur le Vietnam ne mĂ©ritent pas d’ĂȘtre rĂ©futĂ©es. »
Son procĂšs rĂ©vĂšle que la voix d’Ali a Ă©tĂ© enregistrĂ©e sur les Ă©coutes du FBI du Dr King et d’Elijah Muhammad, qui dirigeait la Nation of Islam depuis Chicago. AprĂšs qu’Ali a Ă©tĂ© reconnu coupable d’Ă©vasion de conscription et condamnĂ© Ă cinq ans de prison, il a Ă©tĂ© dĂ©noncĂ© par David Susskind, une personnalitĂ© de la tĂ©lĂ©vision amĂ©ricaine.
« Il est une honte pour son pays, sa race et ce qu’il dĂ©crit en riant comme sa profession (…) C’est un criminel condamnĂ©… Il est en libertĂ© sous caution. Il ira inĂ©vitablement en prison, comme il se doit. C’est un imbĂ©cile simpliste et un pion. »
Susskind avait tort. Alors que le public amĂ©ricain se retourne contre la guerre, Ali rĂ©cupĂšre sa licence et remonte sur le ring en 1970. Sa condamnation dans l’affaire Clay contre les Ătats-Unis est annulĂ©e par la Cour suprĂȘme en 1971. Il regagne le titre en 1974, un an aprĂšs l’abolition de la conscription.
La guerre se termine, les baby-boomers vieillissent et Ali devient de plus en plus faible. En l’espace d’une vie, au-delĂ de ses prouesses athlĂ©tiques, son personnage est passĂ© du statut de blagueur dĂ©bordant de poĂ©sie Ă celui de « militant noir » controversĂ©, puis Ă celui de grand-pĂšre adorĂ© du sport amĂ©ricain.
Et, enfin, un mot Ă travers les lignes gĂ©nĂ©rationnelles. Les millĂ©niaux doivent pardonner Ă leurs ancĂȘtres baby-boomers de se complaire dans des Ă©vĂ©nements marquants d’un demi-siĂšcle comme l’anniversaire d’Ali contre la conscription.
Nous approchons de plusieurs anniversaires d’Ă©vĂ©nements qui ont façonnĂ© une conscience gĂ©nĂ©rationnelle qui perdure aujourd’hui. BientĂŽt, ce sera le 50e anniversaire de l’assassinat de Robert Kennedy, suivi de ceux du premier alunissage, de Woodstock, de Kent State et de la dĂ©mission de Richard Nixon de la prĂ©sidence.
Un jour, j’ai demandĂ© Ă un collĂšgue d’un journal si nous Ă©crivions trop sur le passĂ©.
« On ne peut jamais trop Ă©crire sur le passĂ© (…) Beaucoup de gens y vivent. »
Notes et références
cet article est la traduction de « Muhammad Ali Defied the Vietnam Draft 50 Years Ago Today » rédigé par Joe Lapointe et publié sur observer.com le 28 avril 2017.