Extrait de « Cahier d’un retour au pays natal », d’Aimé Césaire

Nous vous proposons cet extrait d’un texte d’Aimé Césaire, tiré de son puissant poème « Cahier d’un retour au pays natal ».

Extrait de « Cahier d’un retour au pays natal », d’Aimé Césaire

« Je refuse de me donner mes boursouflures comme d’authentiques gloires. Et je ris de mes anciennes imaginations puériles.

Non, nous n’avons jamais été amazones du roi du Dahomey, ni princes de Ghana avec huit cents chameaux, ni docteurs à Tombouctou Askia le Grand étant roi, ni architectes de Djenné, ni Mahdis, ni guerriers. Nous ne nous sentons pas sous l’aisselle la démangeaison de ceux qui tinrent jadis la lance. Et puisque j’ai juré de ne rien celer de notre histoire (moi qui n’admire rien tant que le mouton broutant son ombre d’après-midi), je veux avouer que nous fûmes de tout temps d’assez piètres laveurs de vaisselle, des cireurs de chaussures sans envergure, mettons les choses au mieux, d’assez consciencieux et le seul indiscutable record que nous ayons battu est celui d’endurance à la chicotte…

Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes.

Nous vomissure de négrier

Nous vénerie des Calebars

quoi ? Se boucher les oreilles ?

Nous, soûlés à crever de rouis, de risées, de brume humée !

Pardon tourbillon partenaire !

J’entends de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquettements des mourants, le bruit d’un qu’on jette à la mer… les abois d’une femme en gésine… des raclements d’ongles cherchant des gorges… des ricanements de fouet… des farfouillis de vermine parmi des lassitudes…

Rien ne put nous insurger jamais vers quelque noble aventure désespérée.

Ainsi soit-il. Ainsi soit-il.

Je ne suis d’aucune nationalité prévue par les chancelleries

Je défie le craniomètre. Homo sum etc.

Et qu’ils servent et trahissent et meurent Ainsi soit-il. Ainsi soit-il. C’était écrit dans la forme de leur bassin.

Et moi, et moi, moi qui chantais le poing dur

Il faut savoir jusqu’où je poussai la lâcheté.

Un soir dans un tramway en face de moi, un nègre. « 

Extrait de « Cahier d’un retour au pays natal », d’Aimé Césaire.

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