Une analyse étonnante de ‘Kirikou et la sorcière’, où nous explorons l’histoire complexe de Karaba la sorcière. Nofi vous propose une interprétation profonde et réfléchie sur la symbolique du viol dans ce conte africain emblématique, offrant un nouveau regard sur un personnage classique.
Introduction à l’univers de ‘Kirikou et la sorcière‘
Les contes africains sont comme des trésors cachés, remplis de leçons importantes et de sagesse. Ils sont intemporels, ce qui signifie qu’ils peuvent être appréciés par tous, peu importe l’âge ou l’époque. « Kirikou et la sorcière« 1, un film d’animation inspiré d’un conte ouest-africain, est un parfait exemple de cette richesse.
Ce film, créé par Michel Ocelot en 1998, raconte l’histoire extraordinaire de Kirikou, un petit garçon très intelligent, qui sauve son village de la sorcière Karaba. Karaba est connue pour sa méchanceté et son pouvoir de transformer les hommes en fétiches. La plupart des gens qui regardent le film voient simplement une histoire captivante de courage et d’aventure. Mais certains, comme le journaliste Gilles Ciment2 et la psychologue Véronique Cormon3, y voient quelque chose de plus profond : une histoire qui pourrait symboliser des sujets très sérieux comme le viol et la maltraitance des femmes.
Cette idée peut sembler surprenante au début, mais elle prend tout son sens quand on y réfléchit bien. Souvenez-vous de la réponse du sage grand-père de Kirikou quand il lui demande : « Pourquoi Karaba la sorcière est-elle si méchante ? » Il lui parle d’une épine, enfoncée dans le dos de Karaba par des hommes, qui lui cause une douleur insupportable et change complètement son comportement. Cette épine pourrait-elle représenter quelque chose de plus que ce que l’on voit ?
Avant de plonger dans l’analyse de ce personnage complexe, il est important de noter que ‘Karaba‘, en bambara, signifie ‘forcer quelqu’un à‘, ‘obliger‘, ‘contraindre‘. Cette définition éclaire d’emblée certains aspects du caractère de la sorcière et de son interaction avec les autres personnages.
Karaba la Sorcière, une métaphore de la douleur et de la résilience
Selon Véronique Cormon, une psychothérapeute experte, Karaba la sorcière n’est pas seulement une sorcière dans un conte, mais elle représente bien plus. Karaba est décrite comme une femme profondément blessée, ayant subi un traumatisme grave :
« Karaba est une femme blessée, victime d’un traumatisme au sens étymologique, victime d’une effraction de la peau, d’une brèche dans son enveloppe corporelle.«
Véronique Cormon, « Viol et métamorphose » paru dans le Journal International de la Victimologie, (Tome 1, numéro 1 – Octobre 2002)
Imaginez une personne qui a été tellement blessée qu’elle change complètement. C’est un peu comme si quelqu’un avait une énorme écharde qui lui faisait mal tout le temps.
Véronique Cormon compare Karaba aux nombreuses victimes de viol. Elle explique que, comme dans la vraie vie, Karaba la sorcière blâme tous les hommes pour ce qui lui est arrivé. Elle ne peut plus les voir de la même manière qu’avant. C’est comme si, après avoir été blessée, elle ne pouvait plus faire confiance à personne.
Karaba ne parle jamais de son passé. Pour les victimes de viol, parler de ce qu’elles ont vécu peut être très douloureux. C’est comme si en parler faisait revivre la douleur une fois de plus. Karaba la sorcière a aussi construit une barrière autour d’elle, refusant la joie et l’amour, ce qui est souvent le cas pour les personnes qui ont été gravement blessées.
La psychothérapeute note également que Karaba, en devenant maléfique, a adopté certains traits de ceux qui l’ont blessée. C’est un mécanisme de défense complexe où la victime peut commencer à ressembler à l’agresseur. C’est comme si, en essayant de se protéger, elle devenait ce qu’elle craignait le plus.
Enfin, Karaba la sorcière s’entoure d’hommes transformés en fétiches, qu’elle peut contrôler. Cela pourrait symboliser le besoin de reprendre le contrôle après avoir été impuissante dans une situation traumatisante.
En approfondissant cette métaphore, Michel Ocelot, créateur du film, explique sur son site :
« L’épine empoisonnée dans le dos de Karaba est un symbole, qui représente le mal que les hommes font aux femmes, et une souffrance qui ne disparaît pas. »
Cette interprétation renforce l’idée que Karaba incarne non seulement une victime de la méchanceté masculine mais aussi une figure de la souffrance persistante.
Kirikou et la transformation : un symbole de guérison et de compréhension
Gilles Ciment, un expert en récits, nous offre une perspective unique sur l’histoire de Karaba dans « Kirikou et la sorcière ». Il suggère que l’histoire de Karaba pourrait être interprétée comme un symbole d’un viol collectif, un événement tragique et traumatisant. C’est une idée sérieuse et profonde, qui nous fait voir le film sous un angle complètement différent :
« le récit de cette péripétie permettra aux adultes d’interpréter son agression comme un viol collectif particulièrement traumatisant. C’est après avoir ôté l’épine du dos de la sorcière que Kirikou grandit subitement pour atteindre l’âge de s’unir à Karaba – l’enfant devient homme et gagne sa virilité en rachetant le mal que d’autres hommes ont fait avec la leur (…) »
Critique de Kirikou et la Sorcière par Gilles Ciment, parue dans Positif, n°455, janvier 1999.
Selon Ciment, le moment où Kirikou retire l’épine du dos de Karaba est crucial. C’est à ce moment-là que Kirikou, le jeune héros du film, grandit soudainement et devient un homme. C’est comme si en aidant Karaba, Kirikou devenait plus mature et comprenait mieux le monde autour de lui. Il ne sauve pas seulement Karaba de sa douleur physique, mais l’aide aussi à guérir de ses blessures intérieures.
Cette partie de l’histoire montre l’importance de comprendre les raisons derrière les actions des autres, surtout quand ils ont été blessés. Kirikou cherche à comprendre pourquoi Karaba est si méchante, et c’est en découvrant sa souffrance qu’il peut l’aider à guérir. C’est un message puissant sur l’empathie et la guérison.
L’article souligne également l’importance de sensibiliser aux souffrances des victimes de viol, un sujet malheureusement encore trop présent dans le monde, notamment en Afrique avec les viols de guerre. Denis Mukwege, surnommé « l’homme qui répare les femmes »4, rappelle que derrière chaque victime, il y a une personne avec une histoire et une famille :
« Chaque femme violée, je l’identifie à ma femme ; chaque mère violée à ma mère et chaque enfant violé à mes enfants.«
« Denis Mukwege, lauréat du Prix Sakharov : « le corps des femmes est devenu un véritable champ de bataille »« , , 26 novembre 2014.
Comprendre et guérir à travers les contes
En explorant les différentes interprétations de « Kirikou et la sorcière« , nous découvrons comment un simple conte peut ouvrir des discussions sur des sujets profonds et sensibles. L’histoire de Karaba, vue à travers les yeux de spécialistes comme Véronique Cormon et Gilles Ciment, nous révèle que derrière un personnage de conte se cache parfois une métaphore puissante de la douleur, du traumatisme, mais aussi de la guérison.
Ce film, bien plus qu’une simple histoire pour enfants, nous invite à regarder au-delà des apparences, à chercher à comprendre les raisons derrière les actions des autres, surtout lorsqu’ils ont été blessés. Kirikou, par son courage et sa volonté de comprendre, nous enseigne l’importance de l’empathie et du soutien pour aider les autres à guérir.
Nous espérons que cet article sensibilisera nos lecteurs aux réalités difficiles telles que les violences subies par les femmes, et encouragera chacun à adopter une attitude plus compréhensive et bienveillante envers les victimes de traumatismes.
En fin de compte, « Kirikou et la sorcière » nous montre que les contes, bien que fictifs, peuvent être des outils puissants pour comprendre le monde réel et pour nous aider à construire un avenir plus empathique et guéri.
Notes et références :
- Kirikou et la Sorcière : Film d’animation franco-belgo-luxembourgeois réalisé par Michel Ocelot, sorti en 1998. Basé sur un conte traditionnel ouest-africain, le film raconte l’histoire de Kirikou, un enfant héroïque qui sauve son village de la sorcière Karaba. ↩︎
- Gilles Ciment : Journaliste et critique de cinéma, spécialisé dans l’analyse des films d’animation et leur impact culturel et social. ↩︎
- Véronique Cormon : Psychologue et psychothérapeute française, connue pour ses travaux sur les traumatismes psychologiques et leur représentation dans les médias et la culture populaire. ↩︎
- Denis Mukwege : Médecin congolais, lauréat du prix Nobel de la paix en 2018, surnommé « l’homme qui répare les femmes » pour son travail auprès des victimes de violences sexuelles en République démocratique du Congo. ↩︎