Déesse de la guerre et des épidémies, Sekhmet est l’une des plus craintes des divinités de l’Egypte ancienne.
Sekhmet
Sekhmet est l’une des divinités égyptiennes anciennes les plus importantes. Les textes et l’art égyptiens y attestent de sa présence dès la période de l’Ancien Empire, au troisième millénaire avant notre ère. Dès cette époque, on l’y considère comme étant étroitement associée au pharaon. Elle est ainsi représentée comme allaitant le jeune roi Niouserré ou décrite comme ayant ‘conçu’ le pharaon Ounas. Sekhmet est représentée dans l’art égyptien comme une femme à tête de lion. Sa tête était parfois coiffée d’un disque solaire et d’un Uraeus, un cobra symbole de la défense des ennemis du pouvoir royal.
Un rapport avec les pays étrangers
Sekhmet semble avoir un lien particulier avec les régions à l’ouest de la Vallée du Nil. Elle a ainsi décrite été comme déesse du Désert Occidental et celle qui commande aux Tjehenou. Les Tjehenou sont les populations dites ‘Libyennes’ les plus anciennement attestées dans les documents égyptiens. Ils y sont représentés avec une peau sombre similaire à celle des Egyptiens anciens. Plus tard encore, dans un texte funéraire appelé Livre des Portes, Horus protège les Egyptiens et Nubio-Soudanais. Sekhmet, quant à elle, est décrite comme protégeant les Asiatiques et les Tjemehou, les ‘Libyens’ à peau plus claire ayant succédé aux Tjehenou dans le Désert Occidental.
La guerre et les épidémies
Sekhmet était associée à la guerre et aux épidémies. Son aspect était double. Elle était considérée comme l’une des principales protectrices du pouvoir royal. Elle était invoquée pour défendre le pharaon contre ses ennemis. D’un point de vue cosmique, elle était considérée comme une protectrice du soleil lors de son périple quotidien dans le ciel et sous la terre. Dans sa barque, le soleil, Ré, devait affronter son ennemi souterrain Apophis. Si celui-ci l’emportait, le soleil ne réapparaîtrait pas. L’équilibre du monde serait alors menacé. Pour le maintenir, des divinités accompagnaient Ré dans sa barque. L’une de ces divinités était Sekhmet.
Son autre fonction principale était relative aux maladies. Les Egyptiens anciens considéraient Sekhmet comme responsable des divers maux et épidémies, notamment ceux qui accompagnaient le retour de la crue chaque année. Sekhmet était de ce fait extrêmement crainte par les Egyptiens anciens qui cherchaient à l’apaiser à travers un certain nombre de rituels. En cela Sekhmet était considérée comme étant potentiellement une entité anti-maât menaçant l’équilibre du monde. Le lien que faisaient les Egyptiens entre Sekhmet et la médecine était très étroit. Les prêtres de Sekhmet étaient considérés comme les médecins par excellence du pays. Leurs compatriotes voyaient en les seuls à pouvoir apaiser la furie de la divinité qui se traduisait donc dans la maladie.
Le nom de Sekhmet traduit bien cette crainte observée à son endroit. Il signifie ‘la puissante’.
Les mythes
Sekhmet était considérée comme l’Oeil de Ré, ou par un jeu de mot, l’action de Ré. Le mythe le plus célèbre qui la met en scène est celui de la destruction de l’Humanité. Dans celui-ci, Ré, roi d’Egypte, découvre un complot lancé par certains de ses sujets pour le renverser. Pour les punir, il envoie son oeil sous la forme de Sekhmet pour punir les rebelles. Mais cette dernière échappe bientôt au contrôle de Ré et continue son massacre en dépit de la volonté de ce dernier. Ré réussit à l’en empêcher en renversant sur son chemin de la bière rougie en lieu et place du sang qu’elle s’attendait à trouver. Ivre, Sekhmet arrête son massacre. Le pays est sauf, mais Ré, profondément déçu du comportement des humains décide de quitter le monde terrestre et se réfugie au ciel, pour laisser place à son Premier ministre Thot.
Le mythe revêt plusieurs significations et fonctions. Il illustre le cycle du soleil dans le ciel. Il s’agit aussi vraisemblablement d’une référence à un rituel impliquant des sacrifices animaux sanglants. La viande qui en était ensuite consommée, si périmée, pouvait causer des maladies ou des épidémies. Ces dernières étaient considérées, comme on l’a vu, comme résultant de la colère de Sekhmet. Pour éviter celle-ci, les prêtres de Sekhmet vidaient les animaux victimes de sacrifice de leur sang dans une pratique sanitaire préfigurant, ou même peut-être inspirant, celle du casher juif et du halal musulman.
Sekhmet apparaît aussi dans le mythe de la Déesse lointaine. Dans celui-ci, comme dans le mythe de la Destruction de l’Humanité Ré avait envoyé son oeil qui n’était pas revenu. Cet oeil pouvait être incarné par Sekhmet ou par d’autres déesses lionnes. Ré envoya ensuite d’autres divinités pour venir rapatrier l’oeil, ce qu’elles réussirent à faire. Toutefois, lorsqu’il revint, l’oeil se rendit compte qu’il avait été remplacé par Ré. Pour l’apaiser, il le plaça à son front sous la forme de l’uraeus. Comme le mythe de la Destruction de l’Humanité où Sekhmet est noyée et apaisée dans une mare de bière, le mythe de la déesse lointaine est vraisemblablement une référence au retour de la crue du Nil. Indispensable pour l’agriculture du pays, la possibilité qu’elle ne revienne pas chaque année était très crainte par les Egyptiens anciens.
Sekhmet et le monde noir moderne
Sekhmet a un certain nombre de parallèles dans le monde noir africain moderne.
Sekhmet a beaucoup à voir avec une divinité ouest-africaine appelée Sakpata chez les Ewe, les Adja et les Fon du Togo, du Bénin et du Ghana. En période d’épidémie causée par Sakpata, il ne fallait par exemple pas verser de sang au sol sous peine de voir sa colère s’amplifier et l’épidémie se propager. De la même manière, un conte fon rapporte comment Sakpata a été empêché par l’être suprême de continuer à commettre ses nombreux massacres.
Il existe un équivalent de Sakpata chez des populations voisines des Fon, les Yoruba. Sakpata y est appelé Shankpannan. Dans les années 80, Anthony Buckley a recueilli auprès d’un traditionaliste yoruba du Nigéria appelé Fatoogun les propos suivants:
Oui, Shankpannan fait le bien comme le mal. Chaque esprit peut aider les gens à sa manière. Shankpannan est aussi le possesseur du soleil et nous savons tous que le soleil nous fait du bien. C’est aussi lui qui est responsable des mouvements du soleil dans le ciel comme un canoé.
(…)
Quand Shankpannan arrive dans le monde, il est accompagné par des Eburu, aussi appelés woroko (un type d’esprits). Ce sont des choses qui causent le mauvais vent. Quand ce mauvais vent souffle sur qui que ce soit, il se transformera en variole. Shankpannan utilise un type de flèche conne sous le nom Ofa Shankpannan. Quand il décoche une flèche dans l’air, la variole touchera la personne, l’arbre ou l’animal, peu importe ce que le vent de la flèche touchera. Woroko sort de la flèche sous la forme d’un vent.
(…)
Ces passages suggèrent un intéressant parallèle avec Sekhmet, son ambivalence, le fait qu’elle soit associée au soleil, qu’elle le protège, et surtout qu’elle soit responsable de ses mouvements dans une barque dans le ciel, exactement comme Sekhmet dans la barque de Ré.
En outre, il est intéressant de noter que Shankpannan comme Sekhmet décochent des flèches pour atteindre leurs victimes de maladies. Chez les Yoruba, de la flèche sortent des esprits. En Egypte ancienne, le mot utilisé pour utiliser les flèches de Sekhmet est le même que celui pour ses démons.
Le mot Sekhmet, comme on l’a dit signifie la puissante. sḫm signifie ‘puissant’ et le suffixe -t marque le féminin en égyptien ancien. En Afrique noire, le mot sḫm a des parallèles dans des langues parlées par des Noirs comme le kikongo sik-am-a ‘être solide’ ou le swahili et le kinyarwanda sukuma ‘pousser, inciter, donner du courage’.
Dans une perspective de linguistique constructive, en swahili, la future langue panafricaine, sukuma pourrait être mobilisé pour signifier des références propres ou figurées à Sekhmet et à ce qu’elle incarne. Sekhmet était une entité féminine combattante et le mot msukumi (wa kike) ‘celle qui pousse, qui encourage’ pourrait être utilisé pour désigner des femmes, qui comme Sekhmet sont combatives ou guerrières.
En ce qui concerne la divinité Sekhmet dans son acception la plus ancienne, msukumizi pourrait servir à la désigner avec le sens de celle qui blâme, qui cause la maladie. De la même manière, kisukumi désigne une femme souffrant d’un bouton sur ses parties intimes et qui peut coûter la vie de plusieurs de ses maris successifs, ce qui pourrait correspondre au caractère épidémique des afflictions causées par Sekhmet, le caractère féminin en prime.