Nofi a eu le privilège de s’entretenir avec Gilles Duarte aka Stomy Bugsy pour son prochain seul-en-scène intitulé « Un jour…j’irai à Détroit! » qui aura lieu le 20 janvier 2020 au Théâtre du Gymnase. Il nous raconte comment et pourquoi il a décidé d’aborder l’histoire d’un tirailleur de l’armée coloniale française. Entretien avec un artiste engagé, panafricain et Noir&Fier!
Vous êtes passé de la musique au cinéma, pourquoi maintenant le théâtre?
Stomy Bugsy: Cela fait un moment déjà que je fais du théâtre. J’étais inscrit dans une école qui s’appelle Method Acting Center il y a plus de 10 ans. Suite à cette expérience, je suis tombé amoureux du théâtre qui est l’ancêtre du cinéma, pour moi c’est la même chose à la différence près qu’au théâtre, t’as pas de filet. Si tu tombes, tu ne peux pas couper! C’est un beau danger, c’est excitant. Je suis ensuite parti au États-Unis durant trois ans pour finir ma formation à l’école Stella Adler Studio of Acting à Hollywood. J’ai joué de nombreuses pièces en anglais comme le Marquis de Sade.
Dans votre prochaine pièce vous interprétez un « Tirailleur Sénégalais », quelle est son histoire?
S.B: Oui, c’est l’histoire d’un tirailleur guinéen qui est jeté en prison à la fin de la Seconde Guerre mondiale, juste avant de rentrer à Paris. Car à l’époque, à la fin de la guerre, juste avant d’arriver victorieux à Paris, les Généraux français ont voulu se débarrasser des soldats Africains après qu’ils aient fait tout le boulot. Ils ne voulaient pas montrer au peuple français que c’étaient des Noirs qui les avaient libérés, c’est ce qu’on appelle le blanchiment des troupes. L’armée a demandé aux tirailleurs d’enlever leurs uniformes et de les donner à des résistants Blancs. Certains ont accepté, d’autres non, comme mon personnage Djili. On veut l’embarquer pour Dakar au camp de Thiaroye mais il refuse de prendre le bateau et réclame le paiement de sa solde et ses primes de mobilisation. C’est pourquoi il est jeté en prison. Là, il fait la connaissance de ses codétenus: à droite un soldat français; à gauche un soldat américain. Ces trois personnages vont apprendre à se connaître.
Pourquoi avoir choisi ce thème pour votre pièce?
S.B: Mon père est originaire du Sénégal, il est Capverdien. Donc le Sénégal, le Mali, la Guinée, ce sont des pays qui me parlent depuis tout petit. A chaque fois que je vais en Afrique, je me sens chez moi, l’Afrique parle en moi. Les Capverdiens sont des Sénégalais, des Tchadiens, des Guinéens, des Maliens qui ont été pris et jetés sur cette île. Sur l’île de Santiago, beaucoup y ont été emmenés et y sont restés parfois plusieurs années. Ce qu’il se passait c’est que les colons leur faisaient apprendre un métier, menuisier ou charpentier, pour pouvoir ensuite les vendre aux ports du Brésil ou d’Amérique jusqu’à 4, 5 fois plus cher. L’île de Santiago était un enfer pour les Africains réduits en esclavage.
Quand j’étais aux États-Unis, j’ai fait un test ADN, je savais déjà au fond de moi. Quand un Capverdien ou un Antillais te dit « je suis Capverdien » ou « je suis Guadeloupéen », son ADN, son sang, ses racines viennent d’Afrique. Moi je le sais, elles viennent du Mali et du Sénégal. C’est ce qui constitue mon ADN. Les résultats ne m’ont même pas surpris, je le savais.
Quelle a été votre inspiration?
S.B: Avec mon partenaire d’écriture David Desclos, que je mets en scène dans une pièce qu’il joue actuellement qui s’appelle « Écroué de rire », co-écrite avec lui, on cherchait un seul-en-scène pour moi. Il vient avec cette idée là et me demande ce que je pense de ce thème. Je lui montre une capture d’écran d’un message que mon père m’avait envoyé trois mois auparavant me disant qu’il serait bien de faire une pièce sur les révoltés de Thiaroye. Donc je lui dit « on fonce, on fonce! ». J’étais sur la tournée Secteur Ä donc il a commencé à écrire les 10 premières pages et quand je suis revenu, on a terminé la pièce ensemble. C’était la Providence.
Quel est le message que vous souhaitez faire passer à travers « Un jour…j’irai à Détroit! »?
S.B: D’abord, l’atrocité de la guerre, ça on le sait déjà et que peu importe ta couleur, ton pays d’origine, quand tu es jeté dans un pays qui n’est pas le tien, c’est quelque chose de terriblement injuste. En temps de guerre, tu peux tuer un homme qui aurait pu être ton meilleur ami dans toute autre circonstance. Il y a une très belle phrase de Paul Valéry qui dit:
« La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas. »
Mais c’est aussi pour aborder l’histoire des Tirailleurs et toute l’injustice qu’il y a eue. Tout ce que l’Occident, la France a fait à l’Afrique. C’est pour rendre leurs lettres de noblesses à tous ces combattants qui ont donné leur vie et ont été trahis et délaissés par l’armée française. Beaucoup sont morts sans avoir jamais touché leur solde. Pour qu’à jamais ils ne soient oubliés en France et dans le monde entier. Le fait que ce tirailleur parle à un Français et un Américain, c’est pour étendre le message au monde entier.
Cette pièce est donc un message engagé?
S.B: Je pense que l’engagement est partout. Si demain je fais une pièce de théâtre sur un couple, il y aura un engagement. Il y aura l’engagement de la place de la femme dans le monde et celui du comportement masculin vis-à-vis d’elle, etc. Il y a toujours un engagement. La difficulté est de respecter ces différents points de vue sans être trop manichéen. Quand j’écris une pièce de théâtre, je « balafre les codes », c’est à dire que même si le héros a des valeurs, il a aussi des faiblesses, des défauts, des failles, qui lui donnent son humanité.
Donc que ce soit dans une musique ou dans une pièce, l’engagement est toujours là. S’engager c’est vivre, aimer et respecter les Hommes. C’est en moi, je ne peux pas faire autrement, mais il faut toujours que ce soit à travers l’art.
Quelle serait votre définition de Noir&Fier?
S.B: Déjà « Noir » pour moi c’est: organisé-intelligent-radical (parfois). Radical parce qu’on doit retrouver toutes nos connaissances qui ont été oubliées, nos traditions, nos langages, redonner la fierté à nos ancêtres, notre spiritualité. Noir c’est être du Noir le plus sombre au Noir le plus clair, Noir c’est avant tout une conscience, un état d’esprit. C’est savoir qui tu es et d’où tu viens.
Et « Fier », c’est tout ce qui découle de tout ça. Tant qu’on sera divisé par des frontières qu’on a pas choisies, on ne sera pas libres. C’est tout un ensemble qu’il faut reconstruire avec la fierté de qui nous sommes.
Quelle est votre actualité?
S.B: « Écroué de rire » est la pièce que j’ai co-écrite pour David Desclos. Il joue tous les jeudis, vendredis et samedis au Théâtre du Gymnase à 21h30. C’est l’histoire d’un ancien cambrioleur spécialisé dans la neutralisation des système d’alarme et l’ouverture des coffres-forts qui raconte toute sa vie avec humour et dérision. Il a été en prison, en cavale, il y a un beau message de rédemption dans cette pièce. Un message d’espoir. C’est pas parce que tu as fait 10 ans de prison que tu ne peux pas reconstruire ta vie et aller au bout de tes rêves.
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