Depuis qu’elle est tombée dans la marmite de la lecture, toute petite, Tchonté Silué, qui ne jure que par l’éducation, dévore les livres et encourage les enfants à en faire autant.
« Je suis à l’heure ! » soutient Tchonté Silué, l’entrepreneure sociale, qui consacre toute son énergie à rendre l’éducation accessible à tous, que nous rencontrons. Il est 18 heures 59 minutes. Elle a tort : elle est en avance…d’une minute, sur l’horaire convenu après moult tractations. Portrait d’une jeune femme, qui ne fait rien comme les autres. À commencer par ses actions sociales.
MOI, TCHONTÉ SILUÉ : ENSEIGNER ? NON, MERCI !
La rue des Jardins, dont on ignore à quoi servent les nombreux magasins de vêtements qui la jonchent, fait un flop avec cette circulation fluide. C’est assez étrange de la voir aussi vide : il n’y a que les quelques klaxons d’automobilistes, probablement pressés de s’avachir dans le canapé, et mater une série par exemple, après une dure journée de labeur, qui l’animent.
ET POURTANT…MAÎTRESSE TCHONTÉ !
« J’aimais bien enseigner, je jouais à la maîtresse avec mes amis ! » commence à détailler la jeune femme volubile.
Née d’un père, ingénieur des travaux publics, et d’une mère institutrice fraîchement retraitée, Tchonté s’exprime avec la passion de ces gens naturellement maladroits pour masquer leur amour inconditionnel pour une chose.
« C’est inconsciemment, je pense… » explique-t-elle au sujet de la transmission du virus de l’éducation avant de compléter : « Depuis que j’étais petite, je partais dans son école (celle de sa mère, NDLR). Nos écoles étaient proches, ma mère et moi…Mais je me suis dit jamais dit que je serai enseignante vu que je n’avais pas la patience d’étudier avec ma sœur. », ignorant que la case enseignante avait déjà été cochée par la main du destin.
« Mais malgré tout ça (le fait d’avoir une Maman enseignante, NDLR), je ne me suis jamais dit que j’allais faire comme Maman ou Papa », d’une voix soudainement enfantine.
La seule chose qu’elle admet facilement avoir hérité, c’est ce volet social de la part de son Papa « qui aime aider les gens ! »
Pour pouvoir mieux le faire, cette dévoreuse de livres suit, après son bac D (matières scientifiques et littéraires), une formation en finances au sein de l’International University of Grand-Bassam, ou IUGB en version courte. Puis une fois sa formation terminée, la jeune diplômée embarque pour les États-Unis et la Georgia State University, à Atlanta, en 2013.
MAKE EDUCATION GREAT AGAIN
Un couple dont l’équilibre semble ne tenir qu’à un fil, un autre dont la jeune femme tourne la tête de temps en temps dans notre direction, intriguée par ces voix qui tonnent, et un papa accompagné de sa mini-garde rapprochée, payable en glaces, nous ont depuis rejoint à l’étage. La gaufre au Nutella de Tchonté a perdu quelques carrés en cours de route, tandis que ses deux boules de glace fondent dangereusement dans une coupe en verre.
L’ÉDUCATION LUI TOURNE AUTOUR
« Je faisais un Master en entreprenariat social, à partir de 2015, et puis j’étais intéressée par l’entreprenariat social de manière générale. Mais je ne savais pas exactement où j’allais me diriger…Et pendant mon programme de Master, j’avais des cours assez pratiques », développe-t-elle.
De ces « cours assez pratiques » qu’elle a suivis, loin de la lourdeur des cours magistraux qui assomment, elle se rappelle d’un sur les Private schools in Africa. « À chaque fois qu’on changeait de module, il y avait un truc en rapport avec l’éducation. », sur le point de rigoler avec tous ces clins d’œil du destin.
ACTRICE ET NON PLUS SPECTATRICE
Ce côté pratique, terrain, séduit la jeune étudiante qui aimerait le reproduire « dans le système ivoirien où on n’encourage pas les enfants à être des acteurs dans leur communauté », avec une pointe de regrets dans la voix.
AINSI NAQUIT SON IDÉE D’INVESTIR DANS L’ÉDUCATION
Quelques mois plus tard, Tchonté qui a su « s’envoyer », se réaliser, comme dirait l’autre, rentre en Côte d’Ivoire avec son Master en entreprenariat social.
THE MISS EDUCATION OF IVORY COAST
Le flot de paroles qu’elle a balancées, sans montrer le moindre signe de fatigue, ni d’agacement, suffirait à alimenter n’importe quel barrage hydroélectrique ! Plus l’échange avance, plus l’exposition de sa vision apparaît clairement dans ses lunettes carrées grand format.
RETOUR À LA CASE ÉCOLE
Enseignante dans le domaine du business dans son ancienne université bassamoise, à son retour en 2016, la jeune femme, dont le voile noir recouvre sa tête pleine, se retrouve face à « des visages connus ».
Ces étudiants qui ont quasiment le même âge qu’elle ou presque sont plus curieux que méchants.
PÈRE RICHE, PÈRE COMME LIVRE DE CHEVET
« À cette époque, je lisais Père Riche Père Pauvre. », sans oublier de citer impeccablement l’auteur de ce best-seller Robert Kiyozaki.
Dire que ce livre est partout à Abidjan est un doux euphémisme ! Nombreux sont ces vendeurs ambulants qui le proposent, pendant que le feu est au rouge.
« Je l’ai acheté parce qu’à la base, je voulais devenir riche et c’était le livre que tout le monde recommandait. », sans circonvolution.
Inspirée par ces méthodes d’investissement, elle décide de « faire une bibliothèque et tester ses idées dans l’éducation, pouvoir organiser des activités qui vont faire en sorte que les enfants continuent à apprendre plein de choses intéressantes même quand ils ne sont plus à l’école ».
Son père, dont on devine aisément la proximité avec sa fille, lui offre un espace dans lequel elle investit 2 millions de francs CFA au total, soit 3 000 euros : c’est le Centre Eulis.
LE CENTRE EULIS : PÉPINIÈRE DE FUTURS TALENTS
Situé à Yopougon, le Centre Eulis propose des activités ludiques et éducatives pour les enfants en bas âge jusqu’à la terminale ; c’est un moyen d’offrir un divertissement sain et abordable à ces bambins dont les parents peinent parfois à joindre les deux bouts. Outre les abonnements au Centre même (1000 francs le mois), le financement provient notamment de dons et d’un programme participatif J’eulis où l’abonnement de 15 000 francs CFA permet de recevoir un livre par mois pendant douze mois ; il a démarré cette année.
Elle l’anime avec des bénévoles qui la remplacent quand elle est absente comme ce fut le cas dernièrement pour le camp d’activités. Un camp de vacances dont le prix attractif de 1000 francs CFA par enfant révèle davantage son côté social que business.
« J’ai suivi des cours de business mais… », souriant sur l’absence de ce côté je sais comment faire du djai, de l’argent.
PÉKIN EXPRESS ET ÉCOLE MATERNELLE
Ce centre, pour lequel son cœur bat passionnément, elle l’a laissé une seule fois pour un voyage express en Chine pour « apprendre la langue ». Après ce Pékin Express, elle enseigne d’abord 6 mois à l’IUGB puis elle apply dans une école bilingue dont la scolarité pourrait financer l’achat d’une voiture d’occasion !
Oui, Tchonté utilise le mot apply en lieu et place de postuler comme certains de ses anglophones qui peinent à switcher en français. Et quand la remarque part, elle s’en amuse et reconnaît volontiers que :
« C’est vrai hein ! » De cet épisode avec les maternelles, Maîtresse Tchonté reconnaît qu’elle a « du mal à punir les enfants ».
TRAIT D’UNION
Toutes ces expériences qu’elle a vécues, ces ateliers auxquels elle prend part et ses chroniques rendent ses parents fiers d’elle et semblent avoir rassuré son pater qui autrefois lui demandait souvent : « Tu fais quoi ? ».
Outre sa carrière professionnelle, sa conversion a été au centre de discussions avec ses parents. « Au début, ma mère avait du mal à comprendre. », dit celle qui enfant avait été élue…meilleur enfant de chœur. Avec ce prénom Mireille, trait d’union entre ces deux moments de sa vie.
Aujourd’hui, la mère de Tchonté dont elle « s’est beaucoup rapprochée », fait même la cuisine pour les fêtes musulmanes et l’aide beaucoup « les activités du centre avec la cuisine et les jus ».
« Je voulais faire plus de bonnes actions (après que je sois devenue musulmane, NDLR) et j’ai donc opté pour l’entreprenariat social. », pour apporter plus de précisions.
Et si parfois, certains se sentent obligés de faire des remarques déplacées sur ses croyances, l’amoureuse de littérature « préfère voir le bon côté des choses chez les gens ». Qu’importe si ces gens-là sont encore en retard, puisque Tchonté, elle, « est à l’heure ! »