Manque plus que Michelle Obama commande une de ses pièces en cauris, et Lafalaise Dion pourra dire qu’elle a atteint les sommets.
« C’est une bonne chose ! » commente sobrement Lafalaise Dion au sujet de son masque en cauris que Beyoncé a porté dans le clip Spirit. La grande jeune femme semble être à deux doigts de s’excuser ou presque. Des excuses, elle les a déjà présentées pour son retard dû à une trop longue réunion. Portrait d’une jeune styliste, qui a toujours été attirée par la mode.
BLANCHE NOIRE
Au Norima, restaurant à la cuisine américano-mexicaine situé dans le quartier résidentiel des Deux-Plateaux-Vallons, Ariane Grande et Nicki Minaj chantent en boucle (pendant tout l’échange, d’ailleurs) pour ses clients qui flottent dans la salle, en train de se remplir peu à peu.
SE FAIRE TIRER LE PORTRAIT
De grands portraits colorés dorment les yeux ouverts sur les murs et des grincements de porte précèdent l’arrivée de chaque nouveau client. La voilà !
Jacket en denim bleu ciel, étonnamment assorti à ces grosses sneakers blanches, col roulé beige et jean noir, la demoiselle aux cheveux blonds ultra-courts est là ! Un serveur ramène une troisième chaise pour qu’elle pose son imposant sac, puis elle scrute le menu en dansant à moitié.
LAFALAISE DION OU L’ART DE S’INVENTER DES HISTOIRES POUR ÉCHAPPER AU QUOTIDIEN
« Lorsque j’étais petite, on m’appelait la petite blanche ! » se souvient-elle. Dans un pays où l’humour, noir, est le sport national, plus que le football, ceux qui sont différemment africains sont souvent appelés blanc.
Et différente, la jeune femme née à Bondoukou, ville du nord-est de la Côte d’Ivoire, l’était déjà. À Divo, ville du centre de la Côte d’Ivoire, où elle a grandi, ses sœurs et elle créent univers et histoires pour échapper à cet endroit où « il n’y avait rien ! »
« J’ai toujours aimé la mode. », poursuit-elle en racontant l’anecdote de ces vêtements qu’elle avait dessinés pour une dame à l’âge de quatorze ans.
Cette ville, elle la quitte définitivement avant même de connaître les résultats du BAC : direction Abidjan. C’est là-bas qu’elle apprend la bonne nouvelle. Pas sûr que ces adolescents qui attendent leurs résultats, aujourd’hui[1], fassent preuve du même courage.
DÉMYSTIFIER LE MYSTIQUE
Le son aigu des couverts qui découpent burgers et steaks bruit dans la salle remplie aux trois quarts, pendant qu’Ariana Grande et Nicki Minaj font malheureusement encore saigner les oreilles déjà endolories.
JOURNALISME ET COMMUNICATION
À Abidjan, la vraie fausse capitale ivoirienne, Lafalaise, prénommée ainsi en souvenir de sa grand-mère « qui aimait pêcher sur les montagnes », s’inscrit dans une école de communication faute d’avoir pu le faire à temps à l’Institut des Sciences et Techniques de la Communication, ou ISTC en abrégé.
Deux ans plus tard, elle s’y inscrit finalement et décroche son diplôme de journaliste.
La mélopée monotone qui accompagne ce plongeon dans ces souvenirs laisse penser que cette période revêt peu d’importance pour elle. Et pourtant, c’est à cette période-là qu’elle commence à s’intéresser encore plus au mysticisme.
SACRÉE FEMME !
« Je voulais être une petite danseuse yacouba…Tu sais celle avec les cauris-là. », souffle la jeune femme elle-même de cette ethnie. « Mais, je n’osais pas les toucher à cause des préjugés. Les gens qui disent que ça porte malheur. Alors au début, j’avais peur… »
La peur s’étant envolée, la demoiselle fine les porte fièrement aujourd’hui. « C’est un moyen de dire aux gens d’aller se faire foutre ! » lâche-t-elle dans un éclat de rire.
Les cauris ont fait d’elle une femme sacrée et l’ont progressivement révélé.
QUEEN OF COWRIES
Au sujet de ces cauris, la content manager chez Elle Côte d’Ivoire « en porte tout le temps ». Sauf aujourd’hui, où elle n’a qu’une bague dorée en guise de bijou. L’exception qui confirme la règle.
La seule règle que Lafalaise s’est fixée c’est de se « réapproprier son histoire, se familiariser avec les divinités africaines ».
CHALE WOTE, PLUIE DE COMPLIMENTS
Avec l’aide de son amie Élodie, la black girl réalise sa première création : un chapeau orné de cauris, forcément. Une pluie de compliments puis de commandes s’abat sur elle, lors du festival ghanéen Chale Wote l’année dernière. Si ce démarrage en fanfare et sa parution dans les colonnes de Vogue, rubrique des personnes qui ont tué avec leur style, l’ont ravie, ce n’est rien comparé à l’effet Beyoncé dont elle a clairement du mal à mesurer toute l’étendue.
Solange, l’ascenseur qui fait monter la cote !
« En avril 2019 (NDLR), j’ai d’abord fait une dizaine de pièces pour Solange et ses danseuses mais elles avaient des coiffures afro qui empêchaient de porter mes créations. », raconte-t-elle, à peine déçue. De cet échec naît la volonté de créer une pièce, un bijou facilement portable.
Les oreilles bercées par Burna Boy et son Ye, un nom mentionné attire l’attention de la styliste : Lagbadja ; il s’agit d’un artiste nigérian dont le visage masqué est la marque de fabrique. Un collègue de travail lui en parle également. C’est décidé, ça sera ça sa prochaine création : un bijou qui recouvre le visage, ne laissant apparaître que les yeux.
Pas de nouvelles, bonnes nouvelles !
« Je travaille avec un atelier d’artisans depuis un moment. Ils m’ont aidé à fabriquer les pièces que j’ai envoyées en photo spontanément à la styliste de Solange. Et puis, elle m’a mise en relation avec Zerina Akers, la styliste de Beyoncé. On leur a envoyé une robe en cauris et une quinzaine de pièces. » retrace la jeune femme qui rythme sa narration à coups de Bam !
« Ils m’appelaient tout le temps pour vérifier si on allait respecter le timing (une dizaine de jours, NDLR) », confirmant ainsi la réputation de son équipe, extrêmement rigoureuse.
« Après ça, je n’ai plus eu de nouvelles jusqu’à ce que je vois le clip. », ajoute-t-elle.
Oui, Lafalaise a découvert que Beyoncé avait finalement retenu son masque de cauris comme tout le monde.
« C’est une bonne chose. » redit-elle sans une seule once d’enthousiasme. « J’étais sous le choc ! ». Elle l’est toujours d’ailleurs.
VALIDÉE PAR L’EXTÉRIEUR
Un trio d’amis trop contents de se retrouver en cette pause-déjeuner le fait savoir avec de grands éclats de rire. La lundiose, eux, ils ne connaissent pas.
« Mes parents étaient contents mais ils ont pensé à des trucs d’illuminati. », refermant la parenthèse avant de préciser : « Ma mère et moi, on a dansé au téléphone ! »
La reine des cauris, comme on l’appelle désormais, n’oublie pas pour autant cette époque pas si lointaine où certains la surnommaient à cause de ses cheveux couleur caramel comme la danseuse Zota puis Amina, du nom de cette video vixen qui a volé la vedette au chanteur Ariel Sheney. Ou encore cet incident avec une jeune étudiante qui a repris trait pour trait ses créations, provoquant ainsi un tollé dans la blogosphère ivoirienne.
ÇA M’ÉNERVE !
« Elle m’avait totalement insulté (en faisant ça, NDLR) », encore en colère.
Parmi les autres choses qui l’énervent, il y a notamment : le fait que « 90% de ses clients viennent de l’extérieur ». Comme si il fallait que l’extérieur la valide avant son propre pays. « C’est un héritage colonial. », résume-t-elle.
Il y a aussi, le fait que « Ce soient les afro-américains, en quête de leurs origines, qui comprennent mieux sa démarche. »
Après avoir « habillé » Beyoncé, elle aimerait travailler avec Burna Boy, pleine d’enthousiasme, et Virgil Abloh, le directeur artistique pour hommes chez une célèbre marque à damier, qui nous « représente tous en ce moment ».
Les frites que la jeune femme fièrement africaine a commandées sont encore dans une mini-friteuse noire, près du burger à moitié entamé. Lafaise scrolle sur l’un de ses deux iPhone, sur lequel une photo d’elle en maillot de bain et le visage recouvert de cauris fond sur l’écran. « Merci à Beyoncé ! » ironise-t-elle, prête à rajouter : « C’est une bonne chose. »
[1] L’interview a été réalisée le lundi 29 juillet, date de publication des résultats du BAC.