« Tu as écouté le dernier son d’Arafat ? », demande régulièrement ton pote, en pleine conversation sans fil. Depuis le lundi 12 août dernier, le chanteur prolifique, qui aura marqué les esprits et jeté les mélomanes sur les pistes pour qu’ils cassent carreaux, dansent jusqu’à épuisement, est mort plongeant la Côte d’Ivoire et l’ensemble de l’Afrique dans un sommeil profond et un deuil national. Explications.
Par Georges Dominique
LA TOILE TISSE SON ÉMOTION
Les bouchons, qui encombrent les voies et délient la langue des automobilistes furieux, ont sauté !
En ce jour férié, lendemain de la Tabaski, Abidjan est bizarre comme dirait l’autre. Alors, l’information se propage à vive allure : « Arafat est mort ! », reprennent certains internautes, dont la grande émotion se lit facilement derrière leur écran. Selon nos informations, il y aurait eu plus de 80 000 tweets à ce sujet.
Déni national
« Sa mort est brutale ! », reconnaît cette jeune ivoirienne contactée par WhatsApp. Oui, la mort d’Ange Didier Houon, son nom à l’état civil, est brutale ! La vidéo de son accident a beau avoir été commentée, disséquée et malheureusement partagée, pourtant personne ne veut y croire, n’y croit. Quoi de plus normal dans un pays où les rumeurs circulent plus vite que les navettes salaires ! Si certains sont toujours dans le déni, c’est sans doute parce que le roi du coupé-déchaîné avait déjà été victime de plusieurs accidents de la route auparavant et qu’il avait toujours survécu.
« Tout le monde est ébranlé actuellement », analyse froidement la blogueuse culturelle Orphelie Thalmas, contactée par WhatsApp.
L’omniprésence de son nom dans les conversations, et l’emploi du présent de l’indicatif par quelques-uns témoignent du choc émotionnel et surtout de l’attachement à celui qui avait été révélé par Jonathan.
https://www.youtube.com/watch?v=HvnPPWYK3pg
ENFANT BÉNI
Pendant que les Chinois, surnom des fans de l’artiste défunt, pleurent leur champion, d’autres lui rendent hommage à leur manière.
Assinie aussi pleure
À Assinie, les quelques clientes de cet hôtel, au ponton qui fait office de restaurant, ont glissé des baffles dans leurs valises. Ils passent en revue la carrière de DJ Arafat dans le bruit et la joie sans que personne ou presque ne trouve rien à redire. Aujourd’hui, c’est le jour de son jour ! Parce que le deux fois koraman, un autre de ses nombreux surnoms, a fait partie de la vie de nombreux Ivoiriens même ceux qui ne partageaient pas ses valeurs.
La marque Arafat
« Je suis vraiment triste…Je ne m’attendais à l’être parce que c’est pas un personnage que j’aime », reconnaît cette autre jeune ivoirienne, qui vit en France, que nous avons contactée. Puis, elle poursuit : « Aujourd’hui, Arafat, ce n’est pas juste un nom, c’est vraiment une marque, une identité ! ».
Des titres inoubliables
Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Arafat – appelé ainsi par ses amis libanais qui le trouvaient « chaud » comme feu le leader palestinien – aura dominé le coupé-décalé pendant une quinzaine d’années, traversant les générations, enjaillant la Nation.
Aregueder, Chebeler, mais également Kpankaka, Kpangor, mais aussi l’émouvant Djessmidjeka et ce « Ils ont voulu me tuer mais je reste toujours vivant », ou encore les récents Dosabado et Moto Moto, Arafat a probablement plus de titres que le Paris Saint-Germain !
PARTI LIKE A ROCK STAR
« (La mort d’Arafat, ndlr) c’est la conclusion classique d’une vie d’excès », précise Orphelie avant d’ajouter : « Jusqu’au bout, il est resté fidèle à lui-même ». Isolé, empêtré dans des clashs qu’il provoquait avec d’autres artistes du coupé-décalé (Bébi Philipp, Debordo, Serge Beynaud, Ariel Sheney, Safarel Obiang, etc.), raillé sur les réseaux, les derniers mois d’Arafat auront ressemblé à une longue descente aux enfers en mondovision.
« Ça ressemble à la mort d’un président contesté », glisse-t-elle subtilement.
Un tragique épisode final
Dire qu’il y aura un avant et un après Arafat est un doux euphémisme. Rares sont ceux qui comme lui ont : utilisé les réseaux sociaux pour créer une relation fusionnelle avec des fans jusqu’au-boutistes, enrichi le langage avec des expressions sorties de nulle part (Manci, Monde Mondial, On fait pas un peu ?, etc.) et autant incarné un style musical.
Ambassadeur malgré lui
Interviewé lors d’une émission consacrée à l’artiste, le journaliste Robert Brazza admettait volontiers : « D’une certaine manière, Arafat a fait entré le coupé-décalé dans son ère industriel ». Au sujet de cette dimension spéciale, l’auteur de « Douk Saga ou l’histoire interdite du coupé-décalé, un destin fracassé », le journaliste Usher Aliman dévoile : « Beaucoup d’agences m’ont appelé. J’aurais voulu que cet intérêt-là soit porté au niveau de sa carrière ».
L’épisode final brutal de la vie d’Arafat qui a démarré sa carrière comme DJ dans un maquis avant de s’envoler vers les sommets en fait une rock star. « Douk Saga est parti, Arafat est arrivé, un autre arrivera. Chacun écrit sa légende », conclut Orphelie.
La légende raconte qu’en ce moment même, un ami dit à un autre : « Tu as écouté le dernier Arafat ? ».
Adieu l’artiste! #RIP