Par Georges Dominique. Quand la blogueuse culturelle Orphelie Thalmas se rend à une exposition, c’est plus pour l’artiste et ses oeuvres, que pour les boissons gazeuses et les canapés froids.
Portrait d’une jeune femme, qui veut mettre coûte que coûte la culture au cœur du débat.
« J’arrive très vite à prendre ma place ! », lâche d’emblée Orphelie Thalmas, l’entrepreneure culturelle que nous rencontrons ce soir-là.
Même si les vacances privent Abidjan de ses automobilistes râleurs, ses enfants joyeux et ses adolescents flegmatiques, les embouteillages ont laissé planer un certain doute sur ce rendez-vous nocturne qui a finalement eu lieu. Portrait d’une jeune femme, qui veut mettre coûte que coûte la culture au cœur du débat.
ORPHELIE THALMAS OU QUAND LA CURIOSITÉ EST UN VILAIN DÉFAUT
Adossée à un banc en plastique couleur rouge sang, dans ce Régis Glacier situé sur le boulevard Latrille aux Deux-Plateaux, la jeune femme, qui aura trente ans en septembre prochain, pianote sur son téléphone quand nous arrivons.
Les baffes recrachent des morceaux entiers de ndombolo, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de ce glacier, bouchant ainsi les oreilles. Tant pis ! Ce sera l’extérieur, et le froid installé par une petite pluie clémente.
DES « OH ! » ET DÉBATS
« J’aimais beaucoup débattre » se souvient la jeune femme aux cheveux courts.
Deuxième d’une famille recomposée de quatre enfants, la demoiselle aiguise d’abord son sens de la curiosité avec « la collection d’encyclopédies de ses parents », et aussi auprès de son grand-père qui « l’invitait à chercher ce qu’elle ne connaissait pas dans les livres ». Un temps que les moins de vingt-ans ne connaissent guère.
Sans le savoir, ses parents lui inoculent le plus vilain des défauts : la curiosité. « Je voulais être journaliste », en expliquant comme elle réenregistrait de faux journaux télévisés sur les cassettes de son père. Pourtant, après son bac A1, elle opte pour un choix à priori moins risqué et plus rentable financièrement (un journaliste débutant gagne en moyenne 200 000 francs CFA) : ça sera le droit public international.
DROIT DEVANT !
« Je me suis dit aussi que le droit est plus efficace pour faire bouger les choses », précise-t-elle au sujet de son orientation.
Les voitures, qui roulent sur le bitume défiguré, composent la bande-son de cette discussion tandis que les futurs couples ou en froid brisent la glace, à coups de sorbets et de belles paroles.
LA CRISE ÉLECTORALE LUI A OUVERT LES YEUX
Au cours de ces années passées dans un établissement privé, dont la scolarité pourrait financer le gasoil d’un brouteur, Orphelie rencontre « des personnes créatives comme elle », devient responsable de la communication d’une association étudiante mais surtout apprend, pendant la crise électorale (2010-2011) qui a fait officiellement 3 000 morts, que le droit ne suffit pas toujours. Sur ce sujet qui anime les discussions encore aujourd’hui, elle en dit peu. Tout comme sur la perte d’un proche avec qui elle nourrissait de grands projets. Elle reconnaît pudiquement que « ça a été un déclic ».
FLASHING LIGHTS
La diplômée en droit international public fonce, multiplie les candidatures spontanées, puis les stages dans des médias et les coups de force comme ce jour où elle mitraille un rappeur qui faisait tout à la bien.
« La vitre était encore baissée. Mais, Soprano s’apprêtait à partir. Alors, j’ai sauté pour prendre des photos » raconte-t-elle en rigolant.
De ces années payées au lance-pierres, mais « intéressantes », elle en parle avec des yeux qui brillent comme la chaîne qu’elle porte au pied.
L’ART COMME ARME DE SÉDUCTION MASSIVE
Baignant dans le milieu des médias, depuis maintenant certaines années, elle continue à « apprendre à être légitime ».
ORPHELIE THALMAS EN FORMATION CONTINUE
Nous sommes en 2012, pendant que certains fans ivoiriens cherchent le ballon expédié par Didier Drogba au-dessus des buts zambiens, Orphelie envoie un mail à un media musical qui vient de lancer sa chaîne africaine. Elle leur suggère naïvement des aménagements dans leur grille de programme, sans suite. Obstinée aussi, elle décide de contribuer à la médiatisation des arts et la culture en Afrique comme elle peu. Facebook est son premier terrain de jeu. Profil personnel, puis page professionnelle, ensuite blog et enfin son site internet : Culturiche ! Et pendant ce temps-là, les trophées s’accumulent sur sa cheminée : Meilleure blogueuse de Côte d’Ivoire en 2014, Prix média génération entrepreneur en 2015 et enfin Meilleur blog francophone africain en 2016.
Et pendant ce temps-là, elle fait ses premiers pas au sein d’une entreprise qui laisse sa Trace dans la musique urbaine. À mesure qu’elle y gravit les échelons, elle se spécialise dans la création de contenu.
NOUS SOMMES NOTRE PROPRE DIEU
Au sujet de sa carrière qu’elle construit dans les médias plutôt que dans le droit, la blogueuse culturelle reconnaît volontiers : « Je n’ai jamais vraiment cherché ». Ce qu’elle cherche avant tout, ce qui l’anime « c’est de prouver que la culture rapporte ».
Couverture d’évènements, création de contenus pour entreprise, projections en air libre, afterwork culturel, développement d’une marque vestimentaire, son équipe et elle multiplient les projets avec toujours cette volonté de mettre en avant la richesse de la culture ivoirienne mais aussi africaine. « Beaucoup de gens nous ont aidé » précise-t-elle avant de rajouter : « Quand je fais trois offres commerciales adaptées pour des clients différents, je crée ma propre chance, je suis mon propre Dieu ! ».
Alors, elle s’enfonce dans le banc en plastique et admet « avoir une relation pragmatique avec Dieu ». Elle y croit et croit en elle. Pas sûr que cela soit du goût de ces pasteurs qui promettent aux cœurs brisés un mariage dans six mois.
PROLONGATIONS
L’interview touche à sa fin, le bloc-notes rempli à ras bord. Les biscuits supplémentaires pour manger sa glace qu’elle a réclamés au serveur sont finis.
Après la République Démocratique du Congo, le voyage musical se déroule en Côte d’Ivoire.
Les enceintes passent en mode coupé-déchaîné, cette musique qu’elle aime tant. « J’aime la musique, j’aime l’ambiance » avant de conclure : « Et puis, je suis ivoirienne ».
Une ivoirienne qui mentionne les États-Unis et le Nigéria, pour prouver « qu’avec l’art, on peut donner une image plus puissante d’un pays, développer une économie ». Et qu’importe si certains ne partagent pas cette idée puisqu’elle « arrive très vite à prendre sa place ! ».