Il y a six mois jour pour jour, le 26 janvier 2019, le rappeur Valsero est fait prisonnier par les autorités camerounaises. Son délit ? Sa participation aux « Marches Blanches » organisées par l’opposant politique Maurice Kamto et le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC).
Depuis plus de dix ans, celui qu’on surnomme le « Général » est reconnu pour son courage dans ses prises de position. Profondément engagé socialement et politiquement, Valsero n’a de cesse d’interpeller sans filtre ni tabou le gouvernement camerounais quant aux maux qui affectent son peuple. À travers sa musique, le poids lourd du Hip hop camerounais retranscrit avec justesse et précision les cris d’une jeunesse en souffrance. Emprisonné pour avoir exprimé son opposition au système Biya, il est détenu depuis six mois à la prison de Yaoundé.
Depuis dix ans, Valsero dénonce un Cameroun « Politikement instable[1] »
« Ce pays tue les jeunes »
À partir de 2008, l’artiste camerounais Valsero, de son vrai nom Gaston Philippe Abé, prend la voie de l’engagement. Jeune diplômé sans emploi, il ouvre les yeux sur les rouages d’un système qui profite à ceux qui sont installés sur les marches du pouvoir depuis bien trop longtemps. Au micro, il ose dire tout haut que « ce pays tue les jeunes ».
« Lettre au président »
Au fil des années, Valsero est devenu la voix de la dissidence dans l’univers musical. Ces textes corrosifs retranscrivent avec une cruelle véracité la souffrance de la jeunesse camerounaise. Sa musique est censurée dans les radios nationales, ces concerts sont régulièrement interdits ou interrompus, sa voix dérange au sommet. Et c’est précisément à ce sommet qu’il s’adresse en 2008 dans sa « Lettre au Président » en rappelant les promesses présidentielles qui tardent à venir.
Toujours pacifiste bien qu’incisif, Valsero n’a eu de cesse, à travers ses textes et ses actions de terrain, de se battre pour qu’un changement social s’amorce. Parfois contesté, souvent censuré, il a su malgré tout continuer sa lutte pour la dignité des siens. En 2018, lors des élections présidentielles camerounaises, Valsero va encore plus loin et annonce son rapprochement politique avec l’opposition.
« Autopsie[2] » d’un système politique répressif
« Hold-up »
En décembre 2007, lors de son discours de fin d’année à la nation, le président camerounais Paul Biya annonce la modification de la Constitution limitant le mandat présidentiel à deux exercices. En février 2008, le peuple se soulève, réclamant la baisse des prix et son départ. Les manifestants sont violemment réprimés : une centaine de morts et des milliers d’arrestations. Pourtant, le 21 octobre 2011, Paul Biya est réélu pour un sixième mandat consécutif avec 78 % des voix.
Sept ans plus tard, l’histoire se répète inlassablement. Les élections présidentielles d’octobre 2018 qui ont fait l’objet de nombreuses irrégularités se déroulent dans un climat de crise sociale (avec la partie anglophone) et économique (arrivée de réfugiés). Le peuple se sent à nouveau trahi par ses élites, l’impatience grandit et la colère gronde.
« Oui, nous pouvons »
La principale opposition politique incarnée par Maurice Kamto et son « Mouvement pour la Renaissance du Cameroun » (MRC) se présente comme alternative. Animé par sa volonté de changement et déçu par tant d’années d’indifférence de l’État face aux revendications de son peuple, l’artiste Valsero se rapproche donc du parti. En septembre 2018, il annonce officiellement son soutien à Kamto et multiplie les appels à la mobilisation citoyenne.
Mais une fois de plus, à 86 ans, Paul Biya brigue un septième mandat présidentiel. À l’issue du scrutin du 7 octobre 2018, il est réélu à 71,28 %. Dès janvier 2019, des « Marches Blanches » sont organisées par Kamto et le MRC pour contester les résultats. C’est ce pas de plus vers l’engagement qui vaudra à Valsero, Maurice Kamto et une centaine d’autres citoyens camerounais une incarcération arbitraire et abusive.
« L’appel du peuple[3] » n’a pas été entendu
« Je porte plainte »
Le 26 janvier 2019, des manifestations pacifiques ont lieu dans plusieurs villes du Cameroun et ailleurs en Europe, suite à la victoire du président Paul Biya. Sympathisants du MRC ou simples citoyens sont venus dire « non au hold-up électoral », témoigner de leur colère et de leur soif de vivre. Parmi eux, l’artiste Valsero se trouve en marge de la foule avec sa fille de 7 ans.
Ces marches, interdites par le pouvoir, ont été sévèrement réprimées. Celsetin Ndjamen et Michèle Ndoki, notamment, ont été blessés par balles et écroués. Aussi, Maurice Kamto, Valsero et plus d’une centaines d’autres manifestants ont été interpellés. Emprisonnés depuis maintenant six mois, ils font l’objet de huit chefs d’accusation[4] :
- Hostilité à la patrie
- Complicité
- Rébellion en groupe
- Incitation à la révolte
- Association de malfaiteurs
- Attroupement
- Insurrection
- Trouble à l’ordre public.
A l’instar d’une politique d’État qui condamne toute opposition, ces chefs d’accusation révèlent le degré de liberté d’expression toléré dans un pays où la corruption trône en reine…
« 3e Lettre à Mr le Président »
En mai 2019, Valsero et ses compagnons d’infortune sont appelés à comparaître au cabinet du juge d’instruction militaire[5]. Deux mois plus tard, le Tribunal militaire est jugé « compétent » pour s’emparer du dossier, quand bien même il s’agissait d’un mouvement pacifique et citoyen devant être traité par la justice civile. Stupéfaite, la défense témoigne[6] :
« Le 11 juillet, le juge d’instruction du Tribunal militaire de Yaoundé a décidé du renvoi de 104 personnes devant cette juridiction d’exception, pourtant juridiquement incompétente, pour y être jugées d’infractions fantaisistes… »
Le 16 juillet, la défense annonce qu’elle fait appel de cette décision affirmant que cette dernière illustrait « l’acharnement du pouvoir et le caractère totalement abusif de ses poursuites ». La date du procès devant le Tribunal militaire reste encore inconnue.
En somme, le réel crime de Valsero et de ses compatriotes Camerounais emprisonnés a été de dénoncer l’immobilisme politique, d’oser critiquer le pouvoir en place et d’avoir le courage d’exprimer publiquement la douleur de tout un peuple.
#FREEVALSERO !
Prisonnier depuis six mois jour pour jour, Valsero risque la peine capitale pour s’être prononcé en faveur de la dignité des siens. Rappelons qu’il s’agit d’un artiste, pas d’un criminel. Valsero est un rappeur dont le seul rapprochement d’avec l’opposition en a fait un ennemi de l’Etat.
Les soutiens, bien que trop rares, lui donnent la force de résister. Le présentateur Claudy Siar et l’artiste Koppo, font partie de ceux qui l’ont publiquement soutenu. De même, l’ONG Amnesty International a initié une pétition : https://join.amnesty.org/page/41188/petition/1?locale=fr-FR
« Valsero est un musicien et militant politique camerounais. Il est l’une des plus de 130 personnes qui ont été arrêtées pour avoir manifesté pacifiquement contre le gouvernement. Valsero risque désormais la peine de mort pour s’être exprimé. Dites au Cameroun de cesser de réprimer la dissidence »
Une cagnotte est disponible pour soutenir le rappeur Valsero dans son combat pour la justice: https://www.gofundme.com/f/free-valsero-liberez-valsero
Une source proche de l’artiste, nous a témoigné de son état moral altéré : « je suis dans le couloir de la mort », lui a-t-il confié. Elle en appelle à la solidarité de tous, dans le pacifisme et l’organisation.
À l’instar de sa décennie de combat par les mots, sachons trouver ceux qui mettront en lumière ces injustices. Au Cameroun et ailleurs, partageons et diffusons l’information!
#Freevalsero !
[1] « Politikement instable » : album Valsero_2008
[2] « Autopsie » : album Valsero_ 2010
[3] « L’appel du peuple » : album Valsero_2012
[4] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/01/31/au-cameroun-huit-chefs-d-accusation-contre-l-opposant-maurice-kamto_5417166_3212.html
[5] https://www.lebledparle.com/actu/politique/1107685-affaire-mrc-l-artiste-valsero-attendu-au-tribunal-ce-mardi
[6] https://information.tv5monde.com/afrique/cameroun-la-defense-de-l-opposant-kamto-fait-appel-du-renvoi-devant-la-justice-militaire