« C’est la fête qui compte, pas forcément le prix, même si, évidemment, tout le monde est là pour la Palme d’or. »
En 2017, nous vous présentions la comédienne et actrice burkinabé Maïmouna Ndiaye. Depuis le film de Sékou Traoré pour lequel elle partageait l’affiche avec Fargass Assandé, Maïmouna a été recrutée pour un exercice différent et on ne peut prestigieux: celui de juger le travail des cinéastes en lice pour la palme d’or de la 72ème édition du Festival de cannes. Accompagnée des comédiens Elle Fanning, Kelly Reichardt; Alice Rohrwacher; Robin Campillo, Enki Bilal Yorgos Lanthimos et Pawel Pawlikowski et sous la houlette du mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu, elle a enfilé sa casquette de jurée. A cette occasion, elle nous a accordé un entretien entre deux projections.
Quel est l’enjeu de cette 72ème édition du Festival de Cannes ?
Pour moi ce n’est pas une question d’enjeu. Il s’agit d’une confrontation entre deux types de générations ; entre ceux qui font des premiers films, en compétition à Cannes pour la première fois et de très grands noms du cinéma. Je pense que c’est une belle opportunité, ne serait-ce que d’être en compétition avec ces grands noms-là, c’est quelque chose d’énorme pour ces réalisateurs. C’est la fête qui compte, pas forcément le prix, même si, évidemment, tout le monde est là pour la Palme d’or.
En tant qu’actrice, que représente le fait d’intégrer l’institution en tant que membre du jury ?
C’est une grosse responsabilité et un honneur qui m’est fait. C’est une reconnaissance du travail que je fais ; de l’existence des autres comédiennes, les comédiennes africaines. C’est énorme. Il s’agit d’une bonne chose pour le continent, pour les femmes qui se lancent dans cette industrie.
La place et la perception du cinéma africain a-t-elle évolué depuis ces dernières années ?
Elle a beaucoup évolué et de façon positive. Elle a évolué de plusieurs façons selon moi. D’abord par rapport aux femmes. Elles sont de plus en plus nombreuses à embrasser les métiers du cinéma et pas seulement en tant que comédiennes. Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’ingénieures du son, de camérawomen, de scripts, de machinaux femmes etc… Et c’est très bien. Ce qui évolue plus lentement, en revanche, c’est au niveau de l’accompagnement de nos productions cinématographiques qui, à mon avis, ne sont pas encore assez suffisantes pour qu’on puisse avoir une production et une fréquence à la hauteur du continent. Faire un ou deux films par an, par pays pour moi c’est peu. Il faudrait qu’on puisse faire beaucoup plus, même si on n’en fait pas autant que les Américains ou que les Français, parce qu’on n’a pas le même âge donc c’est tout à fait normal. Mais au moins, qu’il y ait un peu plus que le pourcentage qu’il y a actuellement. Il faut aussi que nos films soient compétitifs, pas simplement qu’on se dise « On fait des films et on veut qu’ils soient vus ». Pour qu’un film soit visionné dans les grands cinémas, les grandes salles, il y a des conditions. On prend en compte la qualité, le scénario, la technique ; en somme, tout un ensemble de choses qui comptent et qui ne sont pas remplies pour certains films. Heureusement quelques uns tirent leur épingle du jeu et ont été sélectionnés pour « Un certain regard », « la semaine de la critique » etc. Cette année, c’est la première fois qu’il y a un premier film en compétition officielle à Cannes et ça mérite d’être souligné. Je dis que c’est très positif. C’est un début et il faut bien commencer quelque part et par quelque chose.
Cette édition marque aussi la première du Pavillon Afrique. Que pensez-vous de cette initiative ?
C’est un début. Je pense que l’initiative est venue des Africains eux-mêmes. C’est vrai que Cannes est une grosse opportunité et il ne faut pas toujours attendre non plus que les gens viennent nous proposer de montrer notre travail. C’est aussi à nous d’aller vers eux et de leur dire «Voilà ce qu’on a à montrer, à dire, quelle est la plateforme que vous nous mettez à disposition pour qu’on puisse parler de notre travail ? ». Par ailleurs, on a dit Pavillon Afrique donc in ne s’agit pas d’un seul pays mais bien de tout un continent. Sur ce point, il faut aussi que nous soyons solidaires entre nous, qu’on se tienne la main, qu’on se mette ensemble et que tous les espaces soient représentés : l’Afrique du Nord, de l’Ouest, du Sud etc… Même s’il s’agit de cinématographies différentes, le continent est unique et un. Donc, en se mettant ensemble et en aménageant le Pavillon de sorte que ce soit LE Pavillon Afrique avec un grand « A », là, on sera encore plus forts.
En dehors de la sélection officielle, y a-t-il un film qui vous ait particulièrement marqué cette année ?
Non, pas en dehors des films diffusés lors du cinquantenaire du FESPACO et qui ont été récompensés. Il y a un autre événement qui s’est d’ailleurs créé à Ouagadougou, les Sotigui Awards, et qui récompense tous les comédiens issus de la diaspora et du continent pour le cinéma et pour la télévision. Parce que ce n’est pas du tout la même chose. Il est important que nous-mêmes, en tant que spécialistes du métier, fassions la part des choses. C’est en tout cas une très belle initiative.
Vous creviez l’écran en 2017 dans le film de Sékou Traoré, « L’Oeil du cyclone », qui portait sur la problématique de la réinsertion des ex-enfants soldats. En quoi le traitement cinématographique de ces questions participe de l’amélioration des sociétés ?
Le cinéma en lui-même participe à améliorer les sociétés. Le cinéma est une vitrine pour dire des choses, divertir, sensibiliser, faire bouger les lignes, faire changer les comportements. Je crois que c’est une de ses missions, et c’est le cas de tous les cinémas. Cela est vrai même pour les films que l’on voit en Europe; des films parfois très humains, qui insistent sur les conditions de vie des gens des ouvriers, des gens issus de milieux ruraux comme les films de feu Agnès Varda par exemple. Je crois que c’est le rôle du cinéma justement de parler de certains problèmes, de s’emparer des questions sensibles et pas seulement faire du cinéma sensation ou futuriste. Ça en fait partie, le cinéma c’est tout ça en même temps.
Cette année marque également le 25ème anniversaire de la commémoration du Génocide Tutsi. En quoi diriez-vous que ce film aborde finalement un thème universelle et d’actualité ?
Le film de Sékou ne se déroule pas dans un pays déterminé. Le décor n’a pas de nom, ce qui signifie qu’il peut s’agir de n’importe quel endroit. Et pas seulement de l’Afrique. La question des enfants soldats existe dans tous les espaces où il y a des guerres, des conflits d’intérêts. Il y a des enfants soldats partout donc ce n’est pas seulement lié à l’Afrique. C’est une question universelle.
Où pourra-ton vous retrouver une fois votre casquette de jurée raccrochée ?
Pour l’instant je ne sais pas. Le boulevard est dégagé, la route est ouverte. Je vais voir où va me mener la voiture dans laquelle je suis (rires).