Analyse de la situation sécuritaire du Mali avec Mariame SIDIBE

Le massacre du 23 mars 2019 ayant engendré la mort de 160 civils dans la région de Mopti a secoué le Mali. Afin de comprendre les enjeux qui se déroulent dans la région et les forces en présence, Nofi a interrogé Mariame Sidibe. Doctorante à science po Bordeaux, spécialiste des migrations, sécurité et conflit dans le Sahel, Mme Sidibe analyse la situation sécuritaire du Mali.

Quelles communautés peuplent la zone de Mopti? Y-a-t-il des tensions entre elles?

Cette région est majoritaire composée de Dogons, après viennent les peuls, et en minorité les bozos, soninkés et bambaras.

Ces ethnies ont toujours coexisté pacifiquement, même s’il faut reconnaitre que depuis quelques années, le changement climatique a créée quelques tensions entre éleveurs (peuls), agriculteurs (dogons et bambaras), et pêcheurs (bozos), avec la baisse du niveau du fleuve Niger et la rareté des zones de pâturage. Mais ces tensions étaient réglées sans affrontements sanglants.

Le massacre de massacre du 23 mars tuant 160 civils était-il prévisible? Pourquoi?

A mon avis ce massacre était prévisible. Déjà depuis 2014 plusieurs incidents sécuritaires ont éclaté dans le centre du Mali entre les différents groupes ethniques présents dans cette zone afin de s’emparer des bétails et autres biens de valeur des uns et des autres. Par ailleurs depuis 2015, Mopti renferme une mosaïque de groupes armés liés à Al-Qaïda. Aussi, l’absence de l’Etat dans cette zone durant la crise a favorisé la création de groupes d’autodéfense évoluant en dehors de tout cadre normatif et qui, maintenant, échappent totalement au contrôle de l’Etat du Mali. Ces groupes d’autodéfense armés mènent entre eux des luttes sanglantes afin d’avoir le contrôle des ressources pastorales dans le centre. Tous ces faits ont contribué à maintenir une tension vive entre ces différentes ethnies qui a abouti aux massacres du 23 mars.

Est-ce une guerre ethnique qui se déroule entre Dogons et Peuls?

Plusieurs facteurs ont contribué à une exaspération des relations Peuls et Dogons. Les Dogons affirment l’incapacité de l’Etat à assurer leur sécurité face à des groupes armés islamistes dont les peuls sont accusés de complicité et d’appartenance. La thèse d’un conflit ethnique paraît trop simpliste pour expliquer la situation actuelle au centre du Mali, du moment où celle-ci ne prend pas en compte toute la complexité de la dimension politico sécuritaire et religieux au Mali actuellement. La contestation de l’Etat par les leaders religieux est de plus en plus vive. En effet, ces leaders religieux ont une forte capacité de mobilisation et de déstabilisation à travers le Haut conseil Islamique, le Chérif de Nioro, l’Imam Mahamoudou DICKO et le charismatique Madani Chérif HAIDARA. Pour preuve, après les massacres du 23 mars, ils ont manifesté et obtenu le départ du premier ministre MAIGA.

Sur un plan politique et sécuritaire, l’Etat conscient de son incapacité à assurer la sécurité des populations et du centre, a favorisé la création de groupes d’autodéfense exclusivement identitaires (peul, dogon, touareg, sonrhaï….) pour se substituer à lui en assurant à la place la sécurité de la population. De fait l’Etat n’est plus seul détenteur du monopole de la violence au Mali et se trouve contesté voire concurrencé par ces milices. A ce jour l’Etat du Mali est incapable de se désarmer et de contrôler ces milices. Le massacre du 23 mars intervient à une période de l’année ou les pâturages sont rares (saison sèche). Les anciennes récoltes sont finies et les nouvelles n’ont pas encore été cultivées. Un banal conflit d’accès aux ressources qui aurait pu être réglé sans un bain de sang se transforme en massacre par le fait que chaque groupe ethnique est maintenant armé et se donne le droit de régler la question par les armes.

De nombreux acteurs sont impliqués dans la zone: armée malienne, française, MINUSMA, milices…quels sont leurs rapports ?

Au Mali, une mosaïque d’acteurs intervient dans la reconstruction de l’Etat. Toutefois ce projet demeure largement piloté par la communauté internationale. Chaque acteur avec son modèle de reconstruction est près à calquer au cas du Mali. La difficulté est que ces acteurs tiennent très peu compte des considérations culturelles, anthropologiques et sociohistoriques propres à chaque conflit. Aussi, les choix et stratégies de sortie de crise mis en place par ces acteurs externes souffrent d’une appropriation des hommes politiques, de la société civile, des milices armées et du reste de la population de manière générale. Ce qui entrave sérieusement les logiques de sortie de crises mises en place par ces acteurs.

La réponse du président Ibrahim Boubakar Keïta de dissoudre le groupe armé Danna Amassagou était-elle appropriée?

A mon avis cette réponse est loin d’être suffisante. Il ne sert à rien de dissoudre un seul groupe armé. Il faut que l’Etat se donne les moyens d’être le seul détenteur du monopole de la violence sur tout le territoire du Mali, en désarmant et dissolvant l’ensemble de ces milices. Le groupe Danna Amassagou, à travers son porte-parole, déclare refuser d’être la seule milice désarmée. Aussi l’opposition malienne s’est appuyée sur les leaders religieux pour dénoncer l’insuffisance de la réponse de l’Etat face aux massacres du 23 mars et obtenu un changement de gouvernement. Toujours est-il que l’Etat a promis une enquête impartiale et rapide pour punir les coupables de ce massacre mais jusque-là rien d’officiel n’a été fait.

Depuis 2018 le gouvernent malien avait promis d’enquêter et de punir  les coupables de violences  commises au centre et de protéger les communautés vulnérables des violences intercommunautaires en désarmant les milices. Aucune action réelle visant à tenir ces promesses n’est jusque-là faite.

Y-a-t-il des raisons exogènes à la situation actuelle du Mali?

Le Mali se trouve au cœur du Sahel, qui est un ensemble géopolitique interconnecté où la sécurité et la stabilité des uns dépendent fortement de celles des autres. Dans le contexte de la mondialisation, cet espace sahélo-saharien constitue un enjeu géopolitique et géostratégique majeur. Il pose des problématiques assez complexes dont le Mali demeure le centre notamment le terrorisme, les trafics….

 

Nous remercions chaleureusement Mariame SIDIBE d’avoir accepté de répondre à nos questions pour Nofi.media

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