Yann Gwet: « C’est vrai qu’une forme d’arrogance, parfois inconsciente d’ailleurs, caractérise cette diaspora sur le retour. »
Yann Gwet est l’auteur de « Vous avez dit retour ? », publié aux éditions Présence Africaine, qui aborde les principales difficultés liées à la repatriation. Diplômé de Sciences-Po et journaliste, entre autres activités, son parcours est celui de beaucoup d’Africains expatriés en France avec la vive intention de rentrer au pays. Ce « livre-combat », écrit dans un ton humoristique, est un essentiel pour ceux qui souhaitent tenter la grande aventure. Le trentenaire désormais basé au Rwanda, nous a accordé un entretien lors du Salon du Livre de Paris 2019.
A votre retour, qu’est-ce qui a été le plus difficile en termes d’adaptation ?
Je retournais régulièrement au Cameroun pour les vacances mais, évidemment, même quand on retourne deux semaines-un mois, on reste coupé du pays, on ne le connaît plus. On en a une vision assez artificielle. Dans tous les cas, l’expérience, lorsqu’on décide d’y retourner définitivement, reste une nouveauté. Ce qui a été différent c’est le décalage entre la culture (façon de faire les choses, de voir la vie, etc.) à laquelle, sans que je n’en sois particulièrement conscient sur le coup, je m’étais finalement habitué durant mon séjour dans le monde occidental, et celle que je retrouvais dans un pays qui, en l’espace d’une vingtaine d’années , contrairement à la vulgate afro-optimiste, avait changé, et en grande partie en mal. Il y avait un écart important entre mes aspirations, j’allais dire mes « préjugés » et la réalité de la société que j’ai découverte sur place.
Le Cameroun avait-il mis en place une politique spécifique pour favoriser le retour de sa diaspora ?
Non, j’allais dire « bien sûr » que non (rires). Il y a toujours eu un lien compliqué entre l’Etat camerounais et sa diaspora, qui a toujours été extrêmement active politiquement, ce depuis les années 1960. Donc ils ne sont pas pressés de nous voir rentrer (rires). Encore moins en ce moment, avec les troubles que connaît le pays.
D’ailleurs, comment avez-vous vécu la dernière présidentielle camerounaise ?
Je pense que dans le contexte de la crise anglophone, d’une présidence désormais totalement illégitime, et d’un système électoral aux mains du régime, cette élection aurait dû être boycottée et l’accent mis sur la constitution d’un large front populaire capable de bousculer l’ordre établi ; ça a été ma position dès le début. Ceci dit, même si son résultat était attendu, elle n’était pas totalement inutile. L’émergence d’un candidat comme Cabral Libii était intéressante d’un point de vue symbolique. Et malgré tout, Biya a réalisé de mauvais scores dans les villes, ce qui donne des indications intéressantes sur le potentiel « révolutionnaire » des villes, et les conséquences politiques de l’urbanisation. . . Aujourd’hui cependant, c’est la gueule de bois ; l’opposition est sévèrement affaiblie, de nombreux leaders importants ont été kidnappés et emprisonnés, la sale guerre dans les régions anglophones se poursuit, l’économie se porte très mal, et il y a ce sentiment général d’impasse. 36 ans c’est beaucoup, surtout lorsqu’ils ont apporté misère et désespoir, et cela ne semble pas près de se terminer.
La diaspora qui rentre se comporte parfois comme les colons. Quel regard portez-vous sur cette problématique ?
« Colon » est peut-être un peu fort, mais c’est vrai qu’une forme d’arrogance, parfois inconsciente d’ailleurs, caractérise cette diaspora sur le retour. Il s’ensuit une sorte de clash culturel, qui constitue une difficulté supplémentaire à la réintégration. Dans le livre, j’analyse en effet, entre autres choses, les ressorts de cette sorte de désillusion chez nombre de ceux qui rentrent, alimentée par des difficultés et contraintes objectives dont on ne peut prendre conscience qu’une fois sur place, dont la nécessité, l’obligation même, de s’adapter ou se réadapter à des comportements, parfois des contre-valeurs, et en tout cas des pesanteurs qui rendent les choses difficiles. Alors dans mon cas, j’ai été entrepreneur, conformément à la doctrine de l’afro-optimisme, dont l’entrepreneuriat est un des piliers idéologiques, durant la majeure partie de mon séjour au Cameroun. J’ai dû affronter des défis liés à cette activité, et que j’explore abondamment dans le livre, et qui parleront sûrement à beaucoup.
De quelle façon Sciences Po a-t-il compté dans votre projet de repatriation ?
A cette époque, la mode, dans le cercle des grandes écoles était à la Finance. Donc j’étais un peu dans cet esprit de conquête d’une place de choix dans le système financier international. Puis, il y a eu la crise économique, en 2008-2009, qui a changé pas mal de choses pour beaucoup d’entre nous. Tout à coup, notamment les gens qui, comme moi, nourrissaient depuis toujours le désir de rentrer en Afrique, mais s’interrogeaient sur le « bon moment », se sont dit que celui-ci était arrivé. D’autant que le contexte de l’époque était, encore une fois, à un afro-optimisme vigoureux, médias, institutions internationales, et intellectuels appelant tous à la ruée vers un continent dont « l’heure est arrivée ».
Cette formation a-t-elle facilité votre exportation sur le continent ?
Probablement. Ce qui est intéressant, c’est que peu importe sa spécialisation, Sciences-Po reste une formation assez généraliste. Et donc on y acquiert quand même une certaine capacité d’adaptation, cette aptitude à pouvoir faire des choses différentes, exercer dans des domaines variés. Cela aide et en l’occurrence m’a aidé, dans un contexte camerounais (et souvent africain) dans lequel les choses ne sont pas forcément structurées. Il est bon de pouvoir être polyvalent.
Vous choisissez ensuite de vous installer au Rwanda. Pourquoi ?
A l’époque, je collaborais avec le magazine ‘Jeune Afrique’. Dans ce cadre, j’ai été intrigué par des statistiques et études sur le Rwanda découvertes un peu par hasard. Après quelques recherches, j’ai écrit sur ce pays, et m’y suis rendu dans la foulée. J’ai été extrêmement surpris, agréablement, par ce que j’ai découvert sur place : un pays qui, après une expérience absolument tragique, avait décidé non seulement de se relever, mais de se reconstruire sur la base de son propre modèle, de suivre sa propre voie, dont j’estimais qu’elle était la bonne J’ai été enthousiasmé par ce pays qui, à mes yeux, incarne une forme d’espoir pour un continent qui en grande partie se cherche encore.
Y a-t-il eu un décalage entre votre première impression du Rwanda et celle que vous en avez une fois installé sur place ?
Le ressort de mon installation au Rwanda est purement idéologique – je suis en quelque sorte un « migrant idéologique ». Quand j’arrive, je sais que je vais dans un pays qui, contrairement à d’autres états africains, a décidé de se relever, avec un pouvoir qui gouverne dans l’intérêt de son peuple. Tout ce que j’aurais voulu voir dans les autres pays africains, à commencer par le mien (rires). Donc j’étais confiant ; je pensais qu’enfin je me sentirais fier d’être africain, pour des raisons objectives, et donc je me disais que j’essaierais de contribuer à cette belle aventure africaine. J’y suis allé pour voir, comprendre, étudier ce qui s’y passe, et suivre le parcours du président Kagamé, que je trouve très intéressant. A priori, j’y serai jusqu’à la fin de son mandat et après ça, je verrai si j’y reste ou si je retourne m’occuper des problèmes camerounais de nouveau (rires).
Avez-vous déjà entendu parler du Kunyaza, technique rwandaise d’orgasmes assurés ?
J’en ai entendu parler. Je me suis demandé si c’était vrai ou pas. De manière générale, les rwandais sont des gens assez réservés, souvent un peu timides, et les sujets liés à la sexualité, comme partout en Afrique d’ailleurs, sont tabous. Donc je n’ai pas encore trouvé la bonne personne, auprès de qui je pourrais confirmer cette histoire. Mais il est sûr que ça intrigue ; on aimerait en savoir plus.
Quelle place accorde le Rwanda aux autres diasporas africaines ?
C’est un petit pays par la taille, qui en plus est enclavé. Il a donc compris qu’il avait besoin de s’ouvrir, afin de transcender les contraintes naturelles. C’est cet esprit qui a présidé à la création de Rwand’Air, la compagnie d’aviation nationale. Par ailleurs, durant le génocide, la plupart des grandes puissances occidentales ont abandonné le pays. Il se trouve que les militaires et casques bleus restés sur place, parfois au péril de leur vie, ont souvent été des Africains. Donc c’est un pays qui n’a jamais oublié cet héroïsme africain et sait ce que la solidarité africaine n’est pas toujours un vain mot. Par rapport à beaucoup d’autres pays du continent, il y a plutôt une attitude d’ouverture vis-à-vis des diasporas, notamment africaines, même si ambition nationale oblige, les profils véritablement compétents sont privilégiés. Peu d’africains en sont conscients, étonnamment, mais le visa se prend directement à l’entrée de ce pays, et par tous les voyageurs du monde.
Une fois sur place, avez-vous constaté les séquelles du génocide, qui aura bientôt 25 ans ?
Bien sûr, 25 ans c’est très peu. Le génocide reste présent dans la mémoire des gens. C’est un événement fondateur du pays. En même temps, ce qui est paradoxal et intéressant, est que le Rwanda a aussi décidé de tourner cette page et de transcender, sans l’oublier, cette histoire. Il s’en sert pour construire une mémoire collective et souder le pays (« plus jamais ça »), et en même temps il le dépasse, notamment dans les lois, résolument progressistes, qu’adopte le gouvernement, et dans sa gouvernance à la fois inclusive, ambitieuse, et attentive aux aspirations des plus démunis. Ce double rapport est intéressant. On commémore, donc on se souvient, et en même temps on dépasse, pour aller de l’avant.
Le Rwanda, c’est aussi une histoire complexe avec son voisin, la RD Congo…
C’est un problème compliqué. L’ironie avec le Rwanda est que tout ramène toujours, d’une manière ou d’une autre au génocide des Tutsi. C’est également le cas ici, même si beaucoup de gens sont mal informés. Il se trouve que l’ancien président Mobutu était un allié de l’ancien Président rwandais Juvénal Habyarimana, et bien sûr de la France. A ce titre, il n’a pas hésité à héberger, et protéger, sur le sol congolais, le gouvernement qui venait de commettre le génocide des Tutsi et de nombreux miliciens interahamwe en fuite. Le contentieux entre les deux pays part de là. Après de nombreuses demandes rwandaises, infructueuses, de ne plus soutenir ces génocidaires, qui entre temps, avaient recommencé à attaquer et déstabiliser le Rwanda depuis le Congo, l’armée rwandaise de l’époque a décidé d’envahir le Congo et de régler le problème elle-même.
Ce fut la première guerre du Congo, qui déboucha sur le départ de Mobutu et l’arrivée au pouvoir de Kabila père. Alors après il y a eu des accusations de pillage formulées par le Congo, impliquant le Rwanda, mais aussi d’autres pays voisins comme l’Ouganda, etc. Depuis, il y a une pomme de discorde sur cette question, des activistes congolais accusant régulièrement le gouvernement du Rwanda de « pillage » de ses ressources. Ce que j’en pense c’est que, quelle que soit la réalité de cette histoire, le « pillage » du Congo est malheureusement une affaire qui a commencé, bien avant l’arrivée du gouvernement Kagame, avec la colonisation occidentale, lesquels occidentaux, continuent d’ailleurs massivement à piller ce pays. Le fond du problème congolais n’est certainement pas le Rwanda. Ce n’est pas sérieux de penser cela. D’ailleurs, au passage, le père de l’actuel président congolais, Etienne Tshisekedi, s’était exprimé sur le contentieux rwando-congolais dans les termes que j’ai indiqués. Donc…
Votre livre traite du retour. Dans quel état d’esprit étiez-vous en l’écrivant ?
C’est d’abord une réponse à cet afro-optimiste véhiculé, en tout cas il y a encore quelques années, de façon un peu artificielle, notamment par les médias occidentaux. A mon avis, je l’ai compris après coup, nous Africains, n’étions pas forcément les principaux destinataires de ce discours. Mon livre est une réponse à cette offensive. Il est bon que nous portions notre propre regard, nuancé, sur notre pays ou sur notre continent. Il s’agit également d’un témoignage direct sur le Cameroun, mais qui a une portée plus grande à mon avis, car les enjeux que j’ai rencontrés sur place s’appliquent à beaucoup d’autres pays africains. Quand on y va, en essayant vraiment de faire des choses, voici ce à quoi on est confrontés. En espérant que ceux qui se préparent à rentrer y trouvent matière à réfléchir finement à leur projet de retour.
La maison d’édition Présence Africaine était-elle un choix ?
Ça été l’une des premières maisons que j’ai contactées. Elle a évidemment une histoire qui nous parle à tous. Par rapport au sujet que je traite ici, je trouvais que c’était l’éditeur qui incarnait le mieux cette aspiration. Une maison africaine, avec une posture militante depuis le début et qui a travaillé avec les prestigieux auteurs africains de l’époque. La maison adéquate pour ce livre de combat que je voulais porter.