L’incroyable histoire des esclaves abandonnés de l’île de Tromelin

En 1761, au large de Madagascar, un navire de la Compagnie des Indes avec 160 esclaves à son bord, s’échoue sur un banc de sable inconnu. Les geôliers réussiront à reprendre la mer. Les esclaves qu’ils transportaient attendront… quinze ans.

Nous sommes en 1761. Un navire français de la Compagnie des Indes s’échoue sur un îlot de sable au large de Madagascar. En route pour l’île de Rodrigue (comptoir portugais) pour un trafic illicite d’esclaves, ils feront naufrage dans l’océan Indien. Néanmoins, ces geôliers réussiront à reprendre la mer et abandonneront les esclaves survivants à leur sort dans ce milieu hostile à l’Homme.

Le naufrage sur l’île de Tromelin

Tout bascule dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1761. L’Utile, un vaisseau de la Compagnie des Indes censé approvisionner de viande et de riz de l’île de France (île Maurice) depuis Madagascar, se détourne de sa trajectoire pour faire passer en fraude une cargaison de 160 esclaves malgaches jusqu’au comptoir portugais de l’île Rodrigue. En cette fin de 18e siècle, le trafic d’esclaves est très lucratif et le capitaine Jean de La Fargue compte bien en profiter.

Mais vers 22h30, l’Utile percute un îlot de sable non répertorié, il s’agit de l’île qui sera nommée Tromelin des années après. . « La mer nous a pris de travers, écrit l’écrivain du bord, Dubuisson de Keraudic. Enfin, on s’est déterminé à jeter la mâture à la mer […] Mais les coups de talon ont continué, le vaisseau tombait sur le tribord à faire frémir. » Ce n’est que lorsque la coque du bateau finit par se disloquer à l’aube que les derniers survivants purent s’échapper et gagner la rive. Quant aux 160 prisonniers piégés dans la cale par peur d’une révolte, seuls quelques dizaines survivent.

La vie des esclaves ne compte pas

Sur l’île la survie s’organise. Il faut trouver de l’eau d’abord, puis un moyen de quitter ce banc de sable perdu. Blancs et Noirs, geôliers d’hier et esclaves d’antan travaillent ensemble pour sauver leur peau. Le temps d’un instant et face à la mort, tous redeviennent des Hommes en proie à la peur. Ils s’attèlent à la construction d’une nouvelle embarcation avec les restes du navire. Mais une fois achevé, le bateau de fortune baptisé impudemment La Providence ôte brutalement l’espoir d’une partie des survivants. En effet, trop étroit pour contenir l’ensemble des naufragés, La Providence ne protègera que les Blancs. Ainsi, le 27 septembre 1761, ils embarquent avec la promesse d’envoyer rapidement des secours aux Malgaches restés sur l’île.

Les secours arrivent…15 ans après

Enfin, le 28 novembre 1776, La Dauphine, vaisseau de Tromelin (qui donnera son nom à l’île) accoste sur l’île. Il ne reste que des femmes et un enfant: sept femmes et un bébé de 8 mois. Tout ce que l’on sait du destin des survivantes, c’est qu’elles furent affranchies à leur arrivée sur l’île Maurice et refusèrent de rentrer à Madagascar, sans doute par peur d’y être à nouveau mises en esclavage. On pourrait aller jusqu’à se demander si leurs vies fut plus douces loin des plantations et des tortures réservées au statut d’esclave…

L’incroyable résilience des Malgaches

Malgré tout, la vie a suivi son cours durant les quinze années sur Tromelin. Les survivants ont reconstruit une vie, des habitats afin de survivre au quotidien. « Au point le plus haut — 9 mètres au-dessus du niveau de l’océan —, on a retrouvé les traces du « village » : des murets de blocs de corail qui devaient supporter une charpente faite de débris de L’Utile, recouverts par des écailles de tortues. » Les fouilles ont aussi mis au jour des ustensiles (hache, grattoirs, cuillères, récipients) bricolés par les naufragés, qui s’habillaient de pagnes de plumes tressées et se nourrissaient d’oeufs, d’oiseaux, de tortues, de poissons et de coquillages.

Dans un ouvrage collectif explorant la notion de solitude, la psychanalyste italienne Daniela Gariglio a pris l’exemple de Tromelin pour décrire la formidable capacité de résilience dont savent faire preuve les individus dans des situations extrêmes. «Les survivants de Tromelin sont la démonstration scientifique du fait que quand la pulsion de vie s’allie à la pulsion créatrice, on peut survivre en se réinventant une vie», explique la psychanalyste, qui évoque le passage d’une solitude «destructrice» à une solitude «créative» durant le séjour des naufragés.

Sources:

Télérama

Slate

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