Les langues nationales comme outils de résistance et d’émancipation

« Tout petits, nous devions utiliser un manuel d’histoire français qui débute par : « Nos ancêtres, les gaulois. » Au début de notre formation, il y a donc eu déformation. Nous avons répété machinalement ce qu’on voulait nous inculquer. » Joseph Ki-Zerbo (1922-2006) « A quand l’Afrique ? », 2003.

La place des langues maternelles en Afrique

En novembre 1999, l’UNESCO proclame la date du 21 février comme étant la « Journée internationale de la langue maternelle ». Elle est célébrée chaque année afin de « promouvoir la diversité linguistique et culturelle ainsi que le multilinguisme ». L’enseignement en langue maternelle s’inscrit en effet dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine en matière d’éducation et de développement. De même, l’Objectif de développement durable n°4 de ONU recommande « d’encourager l’éducation bilingue et multilingue en dispensant les premiers enseignements dans la première langue des enfants ou la langue qu’ils parlent à la maison ».

Ainsi, du 22 au 24 janvier 2019, l’Unesco et l’Institut de la Francophonie pour l’Education et la Formation (IFEF/ELAN), en partenariat avec le gouvernement du Mali, ont tenu un Atelier de formation pour l’utilisation des langues nationales au Mali[1]. C’est donc 40 ans après les indépendances africaines que les Institutions internationales réfléchissent à une réappropriation des langues ancestrales africaines. En ce sens, le directeur du Bureau de l’Unesco à Dakar a concédé que «l’apprentissage dans la langue première de l’apprenant est un gage de réussite pour l’acquisition des compétences (…); tout en constituant une opportunité de valorisation culturelle conformément à l’Agenda 2063 de l’Union Africaine ». Pourtant, au Mali, 99 % des livres de la Bibliothèque nationale sont en français contre 1 % en langues africaines[2]. En effet, les systèmes éducatifs et administratifs ont priorisé l’utilisation des langues héritées de la période coloniale.

Une question de volonté politique

En son temps, le Professeur Cheikh Anta DIOP avait fait des propositions en matière de politique linguistique au Sénégal. Il affirmait notamment que le développement était impossible par ou dans une langue étrangère. De plus, il souhaitait limiter le multilinguisme étatique en Afrique par l’instauration d’une langue par Etat et d’une ou deux à vocation intercontinentale[3]. Mais ce ne fut pas cette proposition qui l’emporta. Comme dans la majorité (sinon tous) les pays francophones, le français est la langue officielle. Elle est donc synonyme d’éducation, de culture, de politique, de médias et d’affaires.

Des aveux même de l’Organisation de la Francophonie, le maintien de la langue coloniale en Afrique est un « moyen d’influence ».

« Au sein du gouvernement français, des milieux sociopolitiques et universitaires, l’inquiétude sur le sort de la langue française en tant que moyen d’influence politique, culturelle et de civilisation sur les pays du tiers monde, ainsi qu’en tant qu’instrument de communication internationale en général, prend de l’ampleur. Cela est également évident dans le domaine de l’économie et des relations commerciales. Paris voit les grandes orientations de ce progrès dans le renforcement de sa présence économique; dans la formation d’une sorte d’union culturelle et linguistique, ainsi que dans le développement de l’expansion culturelle française ».

Les langues nationales comme outils de résistance et d’émancipation

En 2014, près de 55% des francophones étaient africains. En 2018, ils sont 59 %. Cela signifie qu’il y a plus de francophones en Afrique que partout ailleurs dans le monde, y compris en Europe. Les principales raisons de la progression de l’usage du français en Afrique relèvent de la démographie et de la scolarisation. Pourtant, comme en témoignait pertinemment Joseph Ki-Zerbo, l’identité se forge à travers la langue, la culture et l’histoire. Et l’éducation transmet en grande partie cette identité. Ainsi, le professeur sénégalais Fallou Ngom, Linguiste, Anthropologue à l’Université de Boston, affirme quant à lui que l’Afrique ne pourra se développer qu’à travers ses langues nationales[0].

 «On ne peut vivre en Afrique, utiliser une langue qui n’est pas africaine et développer son pays. L’Afrique francophone a négligé ses langues qui sont considérées comme des dialectes. »

Il explique par exemple que certains concepts wolofs n’existent pas en français, et vis-versa. Parce que les réalités ne sont pas les mêmes et les coutumes non plus. Dans le cadre des cours de Wolof qu’il dispense à l’Université de Boston aux Etats Unis, il a déclaré que le Gouvernement fédéral américain a choisi 78 langues prioritaires et construit 12 centres qui travaillent sur les langues africaines.

En constatant la situation actuelle du continent et sa dépendance financière quant aux projets culturels africains, l’histoire aura finalement donné raison à Cheikh Anta Diop. Dans Nations Nègres et Culture, il insistait sur le lien entre langue, civilisation et connaissance.

« Il est plus efficace de développer une langue nationale que de cultiver artificiellement une langue étrangère : un enseignement qui serait donné dans une langue maternelle permettrait d’éviter des années de retard dans l’acquisition de la connaissance. Très souvent l’expression étrangère est comme un revêtement étanche qui empêche notre esprit d’accéder au contenu des mots qui est la réalité. Le développement de la réflexion fait alors place à celui de la mémoire ».

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Sources:

[1] http://bamada.net/langues-nationales-a-lecole-trois-jours-de-renforcement-de-capacite-pour-les-acteurs

[2] http://africultures.com/promotion-et-vulgarisation-des-langues-africaines-13447/

[3] https://www.montraykreyol.org/article/langues-nationales-et-developpement-en-afrique

[0] http://www.seneweb.com/news/Afrique/l-avenir-de-l-afrique-depend-des-langues-nationales-selon-un-linguiste-senegalais_n_84175.html

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