La prison et la violence ont fortement marqué la vie d’Angel LaMere ainsi que celle de toute sa famille et planent comme une menace, même après la libération de la jeune fille, de détruire leur avenir.
Angel LaMere, symptôme d’une Amérique malade
En abordant ce sujet dans « Long Way Home« , Jordana Spiro apporte un éclairage émouvant sur la problématique du taux d’incarcération anormalement élevé des jeunes afro-américaines. Et en la matière, la réalité dépasse la fiction.
« Il y a aujourd’hui plus d’hommes africains-américains en prison ou en détention, en liberté surveillée ou liberté conditionnelle, que de noirs qui furent soumis à l’esclavage en 1850 avant que la guerre civile ne commence. » [1]
Cette déclaration choc de l’écrivain et défenderesse des droits civiques, Michelle Alexander, résume à elle seule la problématique de l’incarcération de masse de la composante noire du pays de l’Oncle Sam. Les afro-américaines ne sont pas, elles non plus, épargnées par ce fléau. En effet, à l’instar des hommes, les femmes noires sont emprisonnées à des taux injustes. Ce taux d’incarcération anormalement haut frappe de plein fouet les familles, leur laissant des blessures indélébiles [2].
Ainsi, le film Long Way Home aborde la question de la détention de mineures. En effet, deux jours avant son dix-huitième anniversaire, Angel LaMere est libérée d’un an d’emprisonnement pour possession illégale d’une arme. Ceci, alors qu’elle avait déjà un casier fourni d’une série d’infractions allant du vol à l’étalage à la consommation de drogue. Selon des statistiques désormais obsolètes, entre 2011 et 2012, les filles noires représentaient 45% de toutes les filles suspendues dans les écoles publiques, de la maternelle à la 12e année et 42% de toutes les filles expulsées. Elles sont même suspendues et expulsées à des taux bien plus élevés que les garçons noirs [3]. La prison semble être la suite logique de ce schéma.
Ce constat est brièvement mentionné dans le film de Jordana Spiro où, lors d’une des discussions entre les deux sœurs Angel et Abby, on apprend que cette dernière s’est déscolarisée. La discipline des filles noires semble être influencée par les stéréotypes et les préjugés raciaux de l’administration scolaire étasunienne. Les filles noires sont plus susceptibles d’être perçues comme perturbatrices ou bruyantes que les autres élèves. Le mythe de l’Angry Black Woman semble avoir la vie dure…
Bien que dans Long Way Home, Angel est plutôt de nature discrète, voire mystérieuse, elle n’a qu’une obsession en tête en sortant de prison : se venger de son père, responsable de la mort de leur mère. Jordana Spiro dénote également des habituels films traitant de la jeunesse noire américaine par le choix de ses deux actrices. Souvent, dans les films et à la télévision, les femmes noires sont décrites comme des personnes minces, au teint clair et aux boucles soyeuses. Dans Long Way Home, nous voyons de vraies filles avec des courbes et des cheveux épais et naturels. La simplicité et le réalisme du film n’en sont que plus rafraîchissants. Ce déséquilibre inique des politiques de discipline à l’école contribue à n’en pas douter à la criminalisation future de milliers de jeunes femmes noires. Par exemple, entre 2009 et 2010, les filles noires représentaient 17% des étudiantes américaines, mais elles représentaient 31% de toutes les filles signalées aux forces de l’ordre et 43% des filles soumises à des arrestations en milieu scolaire.
La question sensible et douloureuse des abus est également pudiquement évoquée dans le film Long Way Home. Nous réalisons rapidement pourquoi Angel est si troublée. En plus de devoir vivre avec le fait que son père ait tué sa mère, et qu’il est libre faute de preuves, une brève scène nous en apprend sur sa vie. Nous découvrons que le passé d’Angel est marqué par de nombreux abus sexuels durant son placement en famille d’accueil, en plus de l’exposition à la violence domestique et à la pauvreté. De plus, Abby, sa sœur cadette, qui n’a que dix ans, vit encore dans une famille d’accueil qui la néglige cruellement. Aux Etats-Unis plus de 40% des femmes noires subissent des violences de la part d’un conjoint ou d’un partenaire au cours de leur vie, le chiffre est de 30,5% pour les femmes blanches. D’ailleurs les femmes noires sont plus susceptibles d’être tuées par leur conjoint ou leur partenaire. Elles risquent davantage d’être victimes d’un homicide commis par des hommes. La mère d’Angel en est l‘illustration. La plupart des victimes noires sont tuées par des hommes qu’elles connaissent, souvent au cours d’une dispute. Notons enfin, que près de 60% des détenues par l’État dans le pays avaient été victimes d’abus physiques ou sexuels.
Les femmes et les filles de couleur constituent la population à la croissance la plus rapide dans les prisons américaines. En 2014, les femmes noires de tous âges étaient deux fois plus susceptibles d’être incarcérées que les femmes blanches, et les femmes noires âgées de 18 à 19 ans étaient quatre fois plus susceptibles d’être incarcérées que leurs homologues caucasiennes. Au pays de l’Oncle Sam, les femmes afro-descendantes sont plus susceptibles que les autres femmes d’être tuées par la police. Les femmes noires représentaient 22,6% des femmes tuées par la police en 2015, bien qu’elles représentent 13% des femmes du pays [3].
A l’instar d’Angel, la sortie de prison ne signifie pas pour autant la fin des turpitudes. Néanmoins, J.Spiro fait le choix de l’espoir. Malgré les épreuves subies et son impuissance face à des situations qui la dépassent, Angel a le choix de changer son destin. A travers l’amour d’une sœur, elle trouve le réconfort pour donner un sens à sa vie.
Notes et références
[1] Michelle Alexander ~ “The New Jim Crow : Mass Incarceration in the Age of Colorblindness”, TheNew Press, 2015
[2] Asha DuMonthier, Chandra Childers, Jessica Milli ~“The Status of Black Women in the UnitedStates”, iwpr.org, publié le 7 juin 2017
[3] “criminal justice fact sheet”, naacp.org