Younoussa Diallo est jeune cinéaste guinéen. Ce réalisateur de 27 ans, qui a voyagé pour se former aux métiers de l’industrie, vient de sortir Mougnal. Un court-métrage en langue Peule, sous-titré, qui aborde les difficiles questions des violences conjugales et de l’infertilité. Dans cet entretien, celui qui se fait appeler Katrensix nous livre son regard sur l’audiovisuel africain aujourd’hui et la nécessité d’un écosystème viable pour que l’Afrique raconte enfin ses propres histoires.
Que signifie votre pseudo Katrensix ?
Il est tiré de la lettre K et du chiffre 36. La lettre K parce que d’un point de vue atomique, elle représente l’origine, la première couche. Le K c’est aussi la lumière, l’image, le millier… Donc c’est une lettre que j’ai épousée. Le 36 est un chiffre qui me revient souvent, sans que je puisse vraiment l’expliquer. Ce pseudo est très personnel.
Qu’est-ce qui motive votre venue en France ?
Je suis venu en France en 2014 afin de me spécialiser dans la réalisation et obtenir mon diplôme d’assistant-réalisateur. A l’été 2015, j’ai réalisé le pilote d’une série intitulée « La villa 224 », que je n’ai finalement pas diffusée. Entre-temps j’ai fait une pause et dernièrement j’ai sorti Mougnal, mon premier court-métrage.
Comment vous vient cette passion pour le cinéma ?
Vers 2008. Avant ça j’avais fait du théâtre et de la poésie. J’ai commencé à faire quelques apparitions dans les téléfilms. En 2010 j’ai réalisé ma première fiction intitulée « Bonne chance », à Conakry. Début 2011, j’ai créé un collectif de cinéma qui regroupe de jeunes passionnés et amateurs du métier et suivi une formation de technicien spécialisé concepteur et producteur en communication audiovisuelle au Maroc, à l’institut spécialisé de l’audiovisuel.
Quel est l’état des institutions de formation aux métiers du cinéma en Guinée ?
Il reste encore beaucoup de choses à faire sur place. Nous n’avons pas encore de convention collective qui respecte les normes internationales, en dépit du potentiel. Aujourd’hui, avec le numérique, les jeunes se débrouillent et font par eux-mêmes des films et surtout des séries. Ils sont plus orientés comédie et ça promet. Tout récemment, on m’a contacté pour tourner des courts-métrages en Guinée. L’ISAAC, qui forme quelques techniciens au niveau Bac+5, recherche donc des formateurs et des étudiants guinéens. Nous sommes donc en discussion.
Comment y sont perçues les professions artistiques aujourd’hui ?
Elles sont toujours marginalisées. En ce qui me concerne, heureusement, je suis issu d’une famille assez ouverte mais les parents éloignés se demandent ce que je fais vraiment et quelle est ma formation. Pour beaucoup ce n’est pas un métier, en argot on dit « PC », pour désigner tout ce qui n’est pas professionnel. Pourtant, on a besoin de ça. Tout le monde ne peut pas être avocat ou professeur donc il faut développer ce domaine.
Y a-t-il plus d’opportunités pour des collaborations avec d’autres talents d’Afrique de l’ouest ?
Oui, de plus en plus mais ça reste à petite échelle. Ce qui manque vraiment ce sont des structures solides. Les jeunes ont envie de créer, de partager leur passion mais ils ne savent pas comment diffuser leur travail. Ils ne maîtrisent pas les rouages de l’industrie. On n’a pas mal de problèmes avec les droits d’auteur aussi. L’Etat n’accompagne pas, on sait que chez nous la culture est reléguée au second plan. C’est quelque chose qu’il faudrait vraiment remettre sur la table pour en discuter et trouver des solutions. Récemment, une chanteuse a eu des démêlés avec une compagnie téléphonique dont je ne citerai pas le nom, qui utilisait sa musique illégalement sans l’avoir consultée au préalable ni la rémunérer. Autre problème : l’absence de canaux de diffusion. Il y a quelques années, il y avait plusieurs salles de cinéma en Guinée. A Labé, la ville où je suis né, la salle de cinéma a été transformée en un vidéoclub qui diffuse les matchs de foot, ça n’a rien à voir. Il nous faut un vrai canal de diffusion. Les artistes doivent vivre de leurs productions et je crois que c’est l’enjeu actuel sur le contient, car les africains ont vraiment envie de consommer africain.
Les salles Canal Olympia de Bolloré sont-elles une solution à ce problème de diffusion ?
Jusqu’ici je n’ai pas encore mis les pieds dans une de ces salles mais j’aimerais que les Africains eux-mêmes prennent l’initiative de réhabiliter les salles. On a des salles de cinéma mais on laisse les multinationales s’implanter sur place. Le problème c’est qu’on sait que très souvent elles diffusent des productions américaines ou françaises et pas africaines. ça ne colle pas. Il nous faut des productions locales.
Selon vous, comment expliquer le manque d’intérêt des institutions locales sur cette question ?
Pour elles, cela ne fait pas partie des priorités. Lorsqu’on leur parle de développement, elles mettent d’abord en avant les infrastructures, l’autosuffisance alimentaire, l’agriculture et tout ce qui va avec. Mais il ne faut pas négliger l’importance du cinéma. Si l’Amérique s’exporte dans le monde entier c’est grâce à Hollywood. Le cinéma c’est l’art de retranscrire le quotidien des gens en émotions. On en a besoin, que ce soit pour le tourisme, l’artisanat ou l’agriculture. Le cinéma est là pour prédire l’avenir, il offre une perspective éventuelle de ce que pourrait être la société d’ici une quinzaine ou une vingtaine d’années. On sait qu’il touche la jeunesse aussi, ce qui est primordial pour un continent aussi jeune.
Y a-t-il une solidarité entre les professionnels de l’audiovisuel sur place ?
Oui, mais il faut que les choses évoluent. Je pense surtout à toutes ces personnes de la diaspora qui ont eu cette chance de recevoir des formations en cinéma et qui devraient se réunir sous forme d’association ou de collectif pour venir en aide à ces jeunes qui veulent vraiment réussir dans le milieu. Pour ma part, j’ai vraiment envie de retourner en Guinée afin de partager mon expérience.
Le milieu du cinéma français est plutôt fermé. En aviez-vous conscience avant d’arriver ?
Oui. Je ne vais pas tout mettre sur la couleur de peau mais je pense que très souvent, ça coince au niveau du point de vue. Ce milieu a établi des règles et s’est convaincu que la société française ne peut pas être sensible à certains sujets. C’est ce qui complique davantage la tâche. Ici, tu es obligé d’être un cinéaste-entrepreneur en fait. Tu dois jongler avec différentes casquettes, tu ne peux pas te concentrer uniquement sur ta passion. Pour autant il ne faut pas se décourager car tu sais qu’il y a forcément un public pour ton film. On a besoin de raconter nos histoires et de les mettre à disposition des spectateurs. Je ne parlerai pas au nom du cinéma français mais le public, en tout cas, a envie de découvrir autre chose. Cette diversité qui fait la France doit s’exprimer en dehors du « politiquement correct ». Il faut regarder la réalité en face et dépasser tout ça, le décomplexer.
Votre troisième film, Mougnal, traite du sujet tabou de l’infertilité. Pourquoi ce choix ?
Récemment, nous avons été témoins de plusieurs faits divers intra-communautaires qui traitaient des violences faites aux femmes dans l’intimité du foyer. Je ne dirais pas que ça m’a inspiré mais ça m’a motivé à faire le film en tout cas, car, c’était une idée qui avait germé dans mon esprit il y a très longtemps. On ne traite pas de cela dans nos sociétés, qu’il s’agisse de la fertilité, la sexualité, la condition de la femme. Ce sont des choses qu’on ne veut pas évoquer, surtout les mamans, qui refusent que leurs filles soient initiées à ces questions. Par ailleurs en Afrique, on ne doit pas contredire la parole d’un ancien, il faut être soumis à l’autorité. Pourtant, le problème de l’infertilité ne concerne pas seulement la femme. Je me suis donc dit que j’allais traiter violences conjugales et infertilité dans le même film, pour voir les réactions. Nous, hommes africains, devons reconnaître que nous avons un ego démesuré. Il faut qu’on l’accepte. Dans Mougnal, l’homme passe son temps à accuser la femme, à la rendre responsable alors qu’en fait c’est lui qui est impuissant. Chez nous, pour un homme, c’est très mal vécu, c’est une honte. C’est aussi pour ça que j’ai décidé de le diffuser gratuitement. Je recherche plus de visibilité.
Pourquoi avoir choisi de faire le film en langue Peule ?
Je me dis qu’il n’appartient aux autres de traduire en images nos réalités. Cela passe aussi par nos langues. Chez nous, il y a encore ce complexe qui dit que si le film n’est pas tourné en français c’est qu’il n’est pas fait par des professionnels. J’ai voulu déconstruire ce cliché. Pour Mougnal, je voulais des personnes qui parlent le Pular. Je fais souvent la remarque quand je tourne avec des Africains qui vivent en France. Pourquoi ne pas tourner directement dans nos langues ? ça va plus vite, c’est naturel et tu mets des sous-titres. C’est ce que fait Bollywood. Finalement, j’ai travaillé avec des Youtuber et ça s’est très bien passé.
Quelle est votre actualité ?
Je travaille sur une mini-série de deux saisons, qui tourne autour de la même problématique que Mougnal. Sinon, j’ai envie de me lancer sur les projets de longs-métrages. Vous pouvez retrouver mon travail sur mon site Katrensix.com