Il est des rumeurs qui ont la vie dure au point de passer, aux yeux d’un nombre grandissant d’afro pour une vérité absolue. A travers cet article, il s’agira pour Nofi de casser une légende du Net, celle de l’origine supposée esclavagiste du « Black Friday« .
Le « Black Friday » a-t-il un réel rapport avec l’esclavage ?
Chaque année, à l’approche du 23 novembre c’est le même rituel sur les réseaux sociaux. En effet, réglées comme la saison des pluies, des publications au sujet de l’origine supposée réelle du Black Friday font leur apparition telle une nuée de criquets. Pour ceux qui ne seraient pas familier de cet évènement, il s’agit en fait du nom informel donné au jour suivant la fête de Thanksgiving aux États-Unis. Chaque quatrième jeudi de novembre, le Black Friday sonne le début de la saison des achats de Noël du pays depuis 1952. Il convient toutefois de noter que l’utilisation de ce terme ne s’est répandu qu’à partir des années 80 (ou même bien plus tard en France). Ainsi, le jour du Black Friday, la plupart des grands détaillants ouvrent dès le lendemain matin, et proposent de nombreuses promotions ce qui attirent un nombre important d’acheteurs.
Boycott sans conscience n’est que perte de temps
« Et alors, où est le problème? » me rétorquerez-vous sans doute. Et bien le « problème », c’est que beaucoup sur la toile, notamment dans la sphère dite « consciente » relaient annuellement la « fake news » selon laquelle le Black Friday aurait un rapport avec l’époque où les Africains-Américains étaient encore réduits en esclavage. Ainsi, pour certains, les négriers du pays de l’Oncle Sam auraient eu pour habitude d’organiser des ventes au enchère d’esclaves en « solde », chaque dernier vendredi du mois de novembre. Pour d’autres, ces « braderies d’esclaves » se seraient même déroulées tous les vendredi de l’année. La sphère militante afro-diasporique appelle de ce fait et ce chaque année, au boycott du Black Friday. Un boycott, non pas parce qu’il s’agirait d’une flagrante incitation à la surconsommation, ni même pour sensibiliser leur public à la notion de « Support Black Business » qui nous est si chère. Non, il s’agirait de boycotter le Black Friday, par respect pour la souffrance de nos ancêtres déportés aux Amériques.
A première vue, il s’agit d’une démarche digne, d’un acte militant teintée de noblesse. Toutefois, ces affirmations manque cruellement de sources et ne résistent que très mal au tamis de l’analyse objective. C’est ce que Nofi s’attachera à démontrer à travers quelques faits qu’il nous semble pertinent de rappeler :
1° Le terme « Black » dans Black Friday ne concerne pas les Afro-américains :
Il nous parait important de rappeler que la couleur noire (black en anglais) a depuis des siècles une connotation négative. Cela nous a d’ailleurs parfaitement été énoncé dans la célèbre scène du dictionnaire dans l’excellent Malcolm X de Spike Lee :
De ce fait, il ne serait pas étonnant que le « Black » de « Black Friday » n’ai pas tant un rapport avec la population afro-américaine, qu’avec une calamité.
2° Il n’existe pas qu’un seul Black Friday mais une multitude :
Pour appuyer notre premier argument, nous ajouterons qu’il n’existe pas qu’une seule occurrence du Black Friday, mais bien plusieurs. En effet, on dénombre pas moins de 18 événements s’appelant de la sorte. Ainsi Black Friday peu faire référence :
- à l’emprisonnement des sept évêques de l’Église d’Angleterre, le 8 juin 1688,
- au dernier vendredi avant Noël au Royaume-Uni,
- au Vendredi 13 (jour qui porterait malheurs selon des croyances populaires),
- à une célébration chrétienne en commémoration de la crucifixion de Jésus (aussi appelé Vendredi Saint),
- au scandale Fisk-Gould, une crise financière aux États-Unis en 1869 [1],
- au krach de la Bourse de Vienne qui a précipité la crise bancaire de mai 1873 [2],
- au désastre de Eyemouth qui a coûté la vie à 189 pêcheurs en 1881,
- à une manifestation particulièrement violente au suffrage féminin en Angleterre en 1910,
- au 20 octobre 1916, jour au cours duquel une tempête parfaite a frappé le lac Érié en Amérique du Nord, faisant couler quatre navires,
- à la bataille de George Square, une émeute provoquée par des troubles industriels à Glasgow, en Écosse, en 1919,
- à l’annonce par les dirigeants syndicaux britanniques des transports de ne pas appeler à la grève des syndicats pour réduire les salaires des mineurs, en 1921,
- au jour où le marché boursier de New York s’est effondré, marquant le début de la Grande Dépression de 1929,
- à une journée de feux de brousse dévastateurs à Victoria, en Australie en 1939,
- à une attaque désastreuse du Black Watch (Royal Highland Regiment) du Canada près de Woensdrecht pendant la bataille de l’Escaut, en 1944,
- à une opération militaire alliée lors des campagnes norvégiennes de la Seconde Guerre mondiale, en 1945,
- à une protestation contre la « House Un-American Activities Committee » (HUAC), à San Francisco en 1960,
- à un massacre de manifestants en Iran en 1978,
- à une tornade à Edmonton, au Canada en 1987,
- à une série d’explosions à la bombe à Mumbai, en Inde, en 1993,
- à une opération de répression menée par les forces gouvernementales à Malé aux Maldives, en 2004,
- à un événement au cours duquel des étudiants tribaux ont été tués à Meghalaya, en Inde en 2005,
- à une manifestation au cours de laquelle plusieurs sites de poker en ligne ont été saisis à la suite de l’affaire United States v. Scheinberg, en 2011,
- à une série d’attaques terroristes perpétrées le 26 juin 2015 en France, au Koweït, en Somalie, en Syrie et en Tunisie, en 2015 [3].
Comme vous le voyez, de nombreux événements ont été appelé « Black Friday » sans avoir aucun rapport que ce soit avec l’esclavage ni même avec les populations afro-américaines. D’ailleurs le premier est plus important Black Friday de l’histoire américaine est celui la crise financière de 1869, mentionné plus haut.
3° La plus ancienne utilisation connue du terme Black Friday pour désigner le 23 novembre date de 1951 :
Il convient de rappeler que la première fois que le terme Black Friday a été usité pour désigner les soldes du lendemain de la Thanksgiving, c’est dans dans le journal Factory Management and Maintenance de novembre 1951. Il était question du Black Friday, décrit en négatif. La légende manuscrite de James A. Garfield indique qu’elle a été utilisée comme preuve devant le Comité des banques et de la monnaie lors des audiences de 1870 l’absentéisme excessif des travailleurs survenu le lendemain de Thanksgiving :
« ‘Friday-after-Thanksgiving-itis’ est une maladie pire que la peste bubonique. Du moins, c’est le sentiment de ceux qui doivent abandonner la production lorsque le « vendredi noir » se présente. La boutique sera certainement à moitié vide, mais chaque absent était malade et peut le prouver. » [4]
Toutefois, le terme Black Friday n’avait que peu d’écho auprès de la population ou des medias américains. C’est en fait le Philadelphia Police Department qui popularisera cette expression, ainsi que celle de Black Saturday (certains diront peut-être qu’il y avait aussi des ventes aux enchères d’esclaves en solde ce jour-là) pour décrire la foule et les embouteillages monstre, marquant le début de la saison des achats de Noël.
« Les embouteillages qui en résultent sont un problème épineux pour la police et, à Philadelphie, il est devenu coutumier pour les agents de faire référence aux jours d’après-Thanksgiving en terme de ‘Black Friday’ et de ‘Black Saturday’. » [5]
Malgré la tentative des relations publiques de la Municipalité de Philadelphie en 1961 de changer le nom de cette journée de solde « Big Friday » et « Big Saturday« , ces deux expressions, sont à jamais tombées dans l’oubli. Là encore, comme nous le disions plus haut, rien ne démontre jusqu’ici que le « Black » de Black Friday est un quelconque lien avec les Afro-Américains ou l’esclavage. En l’espèce, il semblerait que l’adjectif « Black » désigne, comme souvent dans la langue anglaise, une calamité ou une situation négative. En effet cette adjectif sied à ravir à cet évènement au cours duquel le contrôle des foules d’acheteurs est ardu, les blessures légères (ou plus graves), sans parler des nombreuses violences qui éclatent ce jour-là.
Nous pourrions enfin ajouter qu’en 1994, un ancien journaliste du Philadelphia Bulletin, avoue dans un article sa participation à la popularisation du terme Black Friday au début des années 1960 à Philadelphie, avant de se répandre dans tout le pays.
« Le terme «Black Friday» (vendredi noir) vient de l’ancienne équipe de circulation du département de police de Philadelphie. Les policiers l’ont utilisé afin de décrire les pires embouteillages qui se produisent chaque année dans le centre-ville le vendredi après la Thanksgiving. » [6]
4° Naissance d’une « fake news » indécrottable :
Ce n’est qu’à partir de 2013, qu’un hoax a commencé à fleurir sur Internet selon lequel Black Friday tirait initialement ses origines dans le sud des États-Unis avant la guerre de Sécession, du fait de la vente d’esclaves le lendemain de Thanksgiving. Cependant, malgré la destruction en bonne et due forme de cette fake News, (avec des éléments factuels) il en est encore beaucoup (surtout ceux qui ne font aucune recherche sérieuse sur le sujet) [7] qui y croient encore.
En France, c’est aussi à cette période que plusieurs journalistes ont relayé cette fake news, sans jamais évoquer la moindre source, ni le moindre commencement de preuve (c’est généralement comme cela que l’on reconnait une fake news) [8][9].
Ainsi donc seule une publication Facebook de 2013 et des articles au conditionnel, indigents comme celui de Gilles Bernardini servent en réalité de preuves au défenseur de cette légende urbaine…
5° Pourquoi aucun historien afro n’a jamais validé cette fake news ?
C’est en effet, une question intéressante. Où sont les travaux historiques sur les origines esclavagistes du Black Friday ? La communauté Noire outre-atlantique compte de nombreux historiens de renom. Ni John Henrik Clarke, pionnier dans la création d’études africaines dans le monde universitaire du début des années 1960, ni l’historien guyanien Ivan Van Sertima, ou son disciple l’historien Runoko Rashidi. En réalité aucun érudit afro-américain (ou autre) ayant pignon sur rue, n’a jamais évoqué de près ou de loin cette origine esclavagiste du Black Friday.
Au cas où nous commettrions une erreur, nous invitons notre cher lectorat à nous faire parvenir ces informations. Il ne s’agit pas là du plus important des arguments, mais il constitue pour nous un indice supplémentaire nous permettant d’affirmer sans ambage que l’origine esclavagiste du Black Friday est difficilement prouvable par qui que ce soit d’intellectuellement honnête (si ce n’est comme c’est souvent le cas d’inventer soi-même des preuves).
Conclusion :
Ces cinq arguments ci-dessus, auxquels peuvent s’ajouter tant d’autres, ne laissent que peu de doute sur la réalité d’une telle fake news. Il nous apparait, dès lors, aller à l’encontre des règles élémentaires de l’argumentation que d’associer le Black Friday à l’esclavage. Rien, en effet, ne relie l’adjectif « black » aux Noirs des Etats-Unis et il parait plus logique d’associer le terme black aux nuisances sus-mentionnées engendrées par les soldes du 23 novembre. De même, rien ne permet d’associer cette expression à un événement précis, puisque comme nous l’avons affirmé, même l’attentat terroriste de Saint-Quentin-Fallavier a été qualifié de Black Friday par les médias anglophones. En effectuant quelques recherches, les seules sources de cette fake news demeurent au grand dam des chercheurs de vérité, une publication Facebook anonyme et quelques articles reprenant cette information sans n’avoir effectué au préalable aucune étude.
En conclusion, pour nous, rien n’indique que l’origine du Black Friday soit les ventes au rabais d’Africains asservis. Il ne s’agit là que d’un fantasme victimaire utilisé par nombreux « afro-conscients » afin haranguer leur audience et les mobiliser dans le but de boycotter le « Vendredi Noir » qui s’invite depuis quelque année en France. La fin (l’appel au boycott) justifierait ainsi, selon eux, les moyens (à savoir le mensonge). Alors, même si c’est pour la bonne cause, gardons toujours à l’esprit, comme nous l’enseigne un proverbe du contient africain, que « Le mensonge donne des fleurs mais pas de fruits« .
Notes et références
[1] Le scandale Fisk-Gould du 24 septembre 1869, aussi appelé Black Friday est un effondrement spectaculaire du marché de l’or à la Bourse de New York.
[2] La crise bancaire de mai 1873 a été causée par la quasi-faillite de la première banque américaine.
[3] John Lichfield ~ « Paris attacks: We are all victims of Black Friday« , independent.co.uk, publié le 14 novembre 2015
[4] M.J. Murphy ~ « What to do about « Friday after Thanksgiving« , Factory Management and Maintenance, publié en novembre 1951.
[5] « Public Relations News« , publiée le 18 décembre 1961.
[6] Barrett, Joseph P. ~ « This Friday Was Black with Traffic », The Philadelphia Inquirer, publié le 25 Novembre 1994.
[7] David Mikkkelson ~ « How Did ‘Black Friday’ Get Its Name?« , snopes.com, publié le 1er décembre 2013.
[8] « Le « Black friday », le jour où les esclaves étaient bradés sur le marché de la place publique« , culturebene.com, publié le 30 novembre 2013.
[9] Gilles Debernardi ~ « Tous esclaves du « Black Friday » ?« , ledauphine.com, publié le 24 novembre 2017.