Dans son solo de danse intitulé « On t’appelle Vénus », Chantal Loïal rend un vibrant hommage à la Vénus Hottentote. A travers son langage corporel, elle nous fait revivre son histoire.
Un hommage émouvant à la Vénus Hottentote
Chantal Loïlal dirige sa propre compagnie Difé Kako, qu’elle a créée en 1994. Née à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, elle a tout juste six ans quand elle fait ses premiers pas de danse traditionnelle au sein d’un groupe guadeloupéen. Depuis, elle participe à de nombreuses tournées en France et à l’étranger. Elle s’est notamment représenté lors du festival « Le Mois Kreyol » durant lequel elle a donné une représentation de son solo « On t’appelle Vénus« .
« Je ne savais rien au départ de l’histoire de cette femme. Mais cela a fait écho en moi: mon travail porte beaucoup sur les femmes et également sur le devoir de mémoire. L’histoire de cette femme m’a frappée, profondément touchée et j’ai senti que je devais en faire quelque chose. »
C’est dans un solo poignant mêlant silence assourdissant et poésie que Chantal Loïal propose de nous transporter. A travers le temps et l’histoire, la chorégraphe guadeloupéenne nous fait revivre ce que l’altérité peut provoquer de plus horrible. Elle s’est en effet accaparé l’histoire de cette femme noire, la « Vénus Hottentote ». Celle qui, par ses formes inconnues des Européens et sa couleur de peau, a provoqué les plus méprisables intentions. Nommée Saartjie Baartman, la Vénus Hottentote, fut la proie des plus extrêmes violences. Chantal Loïal les retransmet à travers une gestuelle lente et ondulée, que seul son corps peut dessiner. Avec beauté et charisme, son solo nous ramène à l’époque coloniale. Car c’est à partir de 1870 et son arrivée à Londres, que le cauchemar de la Vénus Hottentote prit une tournure inhumaine.
« L’envie de créer ce solo m’est venue à la lecture de l’ histoire de cette femme qu’on appela de façon antinomique la Vénus Hottentote et dont le physique caractéristique fit la célébrité : une histoire qui à elle seule, résume tous les abus et les tragédies du colonialisme et de l’affrontement de deux mondes. »
Le symbole de l’horreur du colonialisme
Connue en France sous le surnom de Vénus Hottentote, Saartjie Baartman est née esclave dans l’actuelle Afrique du Sud, aux alentours de 1789. Son « maître » la vend à un britannique qui l’emmène à Londres en 1810. Dès lors, elle devient une attraction foraine du fait de sa morphologie. Exposée nue en Grande-Bretagne et en Hollande, elle devient ensuite « la chose » des scientifiques français. Après bien des tortures physiques et psychologiques, ils concluent qu’elle est de la race des singes et orangs-outangs. Exploitée sexuellement et prostituée, Saartjie tombe dans l’alcool.
Après sa mort, le 29 décembre 1815, Georges Cuvier, proche de Napoléon, s’approprie sa dépouille. A l’image de la barbarie qu’elle a subit de son vivant, ce « scientifique » la dissèque « au nom de la science ». Son corps morcelé constituera la preuve de « l’infériorité de la race noire ». Un moulage en plâtre du corps de Saartjie et son squelette seront exposés jusqu’en 1974 au musée de l’homme à Paris. Il faudra le vote d’une loi spéciale en 2002 pour que le corps de la « Vénus hottentote » retourne enfin en Afrique du Sud pour y être inhumé. Le président Thabo Mbeki, après la crémation rituelle, rendit hommage à cette femme, symbole de l’horreur coloniale.
Dans son solo « On t’appelle Vénus », Chantal Loïal témoigne ainsi de l’Histoire. Sans tomber dans la culpabilisation, elle lui redonne vie le temps d’un instant. Ainsi, la situation d’aujourd’hui fait écho au passé. Les rapports à l’altérité, que l’on note tant dans la crise migratoire africaine qu’aux Antilles d’où elle est issue, prouvent que seules les formes changent. Par ailleurs, en tant que femme noire qui assume et exploitent ses formes, la chorégraphe fait une magnifique ode à la féminité. Celle qui fut torturée pour ses formes est aujourd’hui célébrée par une autre femme, qui les sublime.