Umhlanga, une tradition africaine détournée par le tourisme sexuel et la pornographie

L’Umhlanga ou ‘danse des roseaux’ est une cérémonie traditionnelle d’Afrique australe où de jeunes filles dansent les seins nus. Victime de censure sur les réseaux sociaux, elle entraîne malheureusement aussi un tourisme sexuel et des détournements sur des sites pornographiques.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.media

Le cliché des Africains comme des obsédés sexuels a la vie dure. Un des éléments ayant conduit à le fixer et le consolider est sans doute la nudité de nombre d’Africains, notamment celle des seins d’Africaines. Dans la plupart des cultures occidentales et orientales modernes, les seins étant considérés comme des attributs érotiques, être confronté à leur nudité dans de nombreuses régions d’Afrique a du renforcer le stéréotype d’hommes et de femmes constamment et indécemment obnubilés par le sexe. En réalité, mon expérience personnelle avec des hommes africains m’a suggéré que contrairement aux fesses, les seins sont en Afrique Noire nettement moins érotisés qu’en Occident. En d’autres termes, le port des seins nus était historiquement répandu en Afrique non pas parce que les Africains sont des obsédés, mais parce contrairement à l’Occident et à l’Orient, la poitrine des femmes n’ y est souvent pas considérée comme plus ‘érotique’ que celle des hommes.

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Femmes mangbetu, République Démocratique du Congo (1880-1941) Crédit : Casimir Zagourski

Cette vision ethnocentrée des cultures africaines est probablement à l’origine d’un type de censure à laquelle nombre de community managers intéressés aux cultures africaines traditionnelles ont certainement déjà eu affaire: celle de la censure brutale des comptes montrant des photos de femmes aux seins nus, même dans un contexte non-érotique.

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Protestations contre la censure des seins nus du Umhlanga par les réseaux sociaux Facebook et Google à Durban, Afrique du Sud, 2017

Ce fut notamment le cas, en 2017, lorsque des jeunes swazilandaises se sont plaintes de voir  censurées par Youtube les vidéos de leur Umhlanga.

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Cérémonie de l’Umhlanga, Afrique du Sud (Crédit : Walter Callens)

Cette dernière, aussi appelée ‘danse des roseaux’ est une tradition pratiquée les populations swazi et zulu du Swaziland et d’Afrique du Sud. Chaque année, des jeunes femmes et filles vierges participent à ce qui était traditionnellement une célébration de leur chasteté, de leur loyauté envers le roi ainsi qu’une sorte d’expérience communautaire entre femmes.

Chez les Zulu d’Afrique du Sud, les participantes choisissent  de grandes tiges de roseau avec lesquelles elles font une procession vers le palais du roi zulu puis effectuent une danse devant ce dernier.

Au Swaziland, les participantes se déplacent également également en groupe munies de tiges de roseau mais vers le palais de la reine-mère swazi. Elles lui remettent ces tiges qui seront utilisées dans la rénovation de son palais.

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Participantes à l’Umhlanga, Swaziland (Crédit : Fok media / Youtube)

La participation forcée des jeunes femmes et filles à l’Umhlanga, l’exclusion traditionnelle des femmes non-vierges à cette cérémonie et le possible mariage forcé de ses participantes au roi du Swaziland sont de plus en plus critiqués par le biais de l’idéologie féministe. C’est toutefois la tenue de ses danseuses qui attire le plus la controverse à l’international.

Leurs seins nus et les jupes courtes des participantes passent en effet mal sur les réseaux sociaux où elles sont souvent censurées. Devant les protestations mentionnées plus haut  accusant Youtube et autres Facebook d’ethnocentrisme, d’impérialisme culturel, voire de racisme, Youtube a officiellement suspendu sa censure concernant l’Umhlanga en 2017.

 

Mais la polémique associée à l’Umhlanga et aux seins nus de ses participantes n’en est pas éteinte pour autant.

Chaque année, des touristes, principalement occidentaux  et de sexe masculin se rendraient en Afrique du Sud et au Swaziland pour assister à l’Umhlanga. Derrière des motivations plus ou moins officiellement culturelles se cacherait souvent la recherche d’un ‘tourisme érotique’ inaccessible ailleurs dans le monde : celui de poitrines nues de dizaines de milliers de jeunes filles et femmes à la vue du public sous couvert d’un intérêt pour la ‘culture traditionnelle’. Ce phénomène a conduit les autorités locales du Swaziland à interdire la prise de photographies par des touristes lors de l’Umhlanga.

Malheureusement, un voyage sur place est loin d’être nécessaire pour détourner le message originel de chasteté de l’Umhlanga vers celui de la pornographie.  Les anciennes photos de véritables photojournalistes continuent à se retrouver fréquemment sur des sites pornographiques. Et si les participantes à l’Umhlanga militent elles-mêmes pour diffuser leurs images en ligne, comment éviter qu’elles finissent aussi par se retrouver sur des sites pour adultes?

On voit que la culture africaine se retrouve par le biais de l’Umhlanga prisonnière entre une culture de la pudibonderie et une autre de la pornographie, toutes deux n’étant évidemment que les deux faces d’un même impérialisme.

Malheureusement, l’Afrique ne dispose pour l’instant pas des moyens financiers pour forcer le reste du monde à accepter ses valeurs comme les autorités de la région du monde qui a récemment forcé  l’interdiction des gros plans sur les ‘supportrices sexy’ lors des retransmissions de matches de football.

Il lui reste, en attendant, à hausser la voix pour se faire entendre et faire respecter ses valeurs.

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