La ‘légende de Tèm’: un mythe égyptien ancien en Afrique de l’Ouest?

Une légende ouest-africaine  est considérée par certains égyptologues comme la preuve d’une présence d’Anciens Egyptiens en Afrique de l’Ouest.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.media

C’est le Père Gabriel Lelièvre (1881-1968), missionnaire à Aledjo en pays kabye au Nord du Togo, qui recueillit cette légende.

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Gabriel Lelièvre

Publiée dans le numéro de mars 1932 de ‘Echo des Missions Africaines’, la voici reproduite en intégralité ci-dessous:

« Pourquoi les animaux fuient-ils quand on veut les prendre. Ecoutez tous :

En ce temps-là, il n’y avait personne dans ce pays autre que Tèm et sa femme. Un jour Tèm alla à la chasse. Il grimpa sur un grand arbre pour inspecter les environs et voir s’il n’y avait pas de gibier. Il s’assit sur une branche et vit tomber du ciel une grande peau qui s’étendit à terre, un large siège tomba ensuite et se plaça sur la peau, puis le soleil descendit et vient s’asseoir sur le siège. Tous les animaux se rassemblèrent autour de lui et le saluèrent. « Salut, Père Soleil, nous sommes contents de te voir, nous sommes heureux quand tu viens nous visiter. » Le soleil répondit à toutes les salutations, fit des reproches à quelques animaux qui s’étaient mal conduits, et se mit à juger les palabres qu’on lui soumit. Tout à coup le singe leva la tête, vit Tèm assis sur sa branche et le montra aux autres animaux. Tous regardèrent, et le soleil leur dit : »Celui-là, c’est l’homme, c’est Tèm. Toute la terre est à lui, tout ce qu’il y a sur la terre est à lui, tous les animaux sont à lui. » Disant cela, il fit signe à Tèm de descendre. Tèm descendit et se prosterna devant le Soleil qui lui dit : « Toute la terre est à toi. Tout ce qu’il y a sur la terre est à toi. Tiens, prends cette gourde, et à chaque fois que tu tueras un animal, tu y mettras une goutte de son sang, c’est ma part à moi. Mais ni toi ni ta femme ne regarderez jamais dedans, quand le sang effleurera l’ouverture, tu me l’apporteras. » Tèm prit la gourde, fit une grande révérence au Soleil et s’en alla. Craignant la curiosité de sa femme, il ne lui dit rien, et cacha soigneusement la gourde dans un trou, sous sa natte.
Chaque fois qu’il allait à la chasse, il appelait n’importe quel animal, celui-ci venait, il l’emmenait à sa case, le tuait et mettait une goutte de sang dans la gourde. Un jour qu’il était à la chasse, sa femme balaya la maison, enleva la natte, vit le trou et la gourde au fond. Elle y introduisit la main et la retira. Qu’est ceci, dit-elle, qu’est-ce que mon mari cache-là? » Elle regarda par l’ouverture, vit du sang et laissa tomber la gourde qui se brisa. Le sang coula, coula sur tout le pays et arriva jusqu’à Tèm. Celui-ci comprit que sa femme avait regardé dans la gourde. Il prit le chemin du retour, et arrivé dans sa case, il vit les morceaux à terre, il les regarda tristement, puis les ramassa et alla les porter au Soleil.
« Vois, dit-il, Père Soleil, ce qu’a fait ma femme. » Maintenant, dit le Soleil, que les animaux ont vu le sang, ils savent que tu les tues. Ils fuiront à ta vue, tu devras courir pour les prendre et travailler pour avoir ta nourriture. »

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Femmes à Alèdjo, Togo, lieu de recueil de la légende
Crédit : www.lesfoyersdecharite.com

Le premier égyptologue à avoir étudié ce texte fut le Français Jules Baillet (1864-1953). Baillet remarqua des similarités entre cette légende et celle de la Genèse biblique, comme le nom du personnage de Tèm et celui d’Adam, tous deux pénalisés par Dieu par la faute de leur femme. Toutefois, Baillet rapporte quelques différences avec la Bible. La conception du Soleil comme Dieu et comme juge suprême ne vient selon lui pas de la Bible, mais d’Egypte pharaonique où le Dieu soleil Ré est considéré comme l’être suprême depuis la période de l’Ancien Empire. Baillet rapproche aussi le nom de Tèm avec celui du dieu égyptien Atoum~Toum.

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Les dieux égyptiens Ré-Horakhty et Atoum

 

L’auteur fait mention du personnage du singe, le seul à être nommé dans la légende togolaise où il montre Tèm aux autres animaux, et qui, notamment, guettent et accueillent par leurs cris l’arrivée du Soleil dans les temples égyptiens. Enfin, Baillet compare la punition par une inondation de sang de la légende togolaise à celle qui à lieu dans le mythe égyptien de la ‘Vache du Ciel’. Dans ce dernier, le Dieu Ré, punit les humains qui complotaient contre lui  en envoyant contre eux la déesse Sekhmet qui les massacre et se régale de l’inondation de leur sang.

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Relief représentant la déesse égyptienne Sekhmet

Pour expliquer la présence des éléments de cette légende qu’il pense d’origine pharaonique, Baillet propose qu’elle aurait été transmise par des ‘aventuriers égyptiens’ au milieu du premier millénaire avant notre ère.

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Gilbert Ngom (1939-2016)

C’est l’égyptologue camerounais Gilbert Ngom, récemment décédé, qui a exhumé, dans les années 90, le texte de la légende de Tèm, pour en faire un argument de la preuve de la parenté culturelle entre l’Egypte ancienne et l’Afrique Noire. Dans l’article ‘Egypte ancienne – Afrique noire : Pensée et Légendes’ publié dans le numéro 4/5 de la revue ANKH (1995-1996), Ngom ajoute d’autres similarités entre les deux civilisations.

Ngom interprète la relation entre Tèm et le Soleil dans la légende comme un fait religieux historique de la civilisation pharaonique. Il rappelle qu’en Egypte Ancienne, avant l’élaboration théologique du dieu Ré et sa promotion à la tête du panthéon de la ville d’Héliopolis, ce dernier était dirigé par Atoum, comme dans la légende, Tèm régnait sur la terre avant l’arrivée du Soleil.

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Le Dieu égyptien Ré devant le musicien Djedkhonsouiouefânkh, premier millénaire avant notre ère

Il rapporte qu’ Atoum était le premier dieu à sortir des eaux primordiales comme Tèm était assis sur la branche d’un grand arbre dans son pays. Selon lui, dans la région du recueil de la légende, Tèm serait considéré comme un dieu devenu homme après avoir révélé le secret des jumeaux. Dans certaines cosmogonies égyptiennes, Atoum crée les divinités par couples de jumeaux.

Outre de nombreux autres éléments de comparaison, notamment linguistiques, Ngom compare également ‘au temps de Ré’, expression utilisée par les Egyptiens pharaoniques pour qualifier des coutumes et événements anciens, comme les habitants d’Alèdjo au Togo faisaient référence au temps du règne du Soleil pour expliquer une coutume ancienne.

Il compare aussi la curiosité de la femme de Tèm au sujet de la gourde de Ré, à celle d’un personnage féminin de la mythologie égyptienne, Isis qui par sa curiosité obtint le véritable nom du dieu-soleil vieillissant.

Si Ngom présente ce texte comme une preuve de l’univers commun des Egyptiens anciens et des Noirs Africains modernes, un autre égyptologue africain, Aboubacry Moussa Lam, l’a  dans son ouvrage les chemins du Nil (1997), utilisé, comme Baillet avant lui, pour supporter son hypothèse personnelle de l’origine égyptienne pharaonique des populations modernes d’Afrique Noire.

Et vous, qu’en pensez-vous?

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