Frederick Douglass (1818-1895) était un abolitionniste, auteur et orateur américain éminent.
« Le savoir gâterait le meilleur nègre du monde. Si tu enseignes à ce nègre à lire, il n’y aura plus moyen de le tenir. Cela le rendra à jamais inapte à l’esclavage ».
Ces mots, dont se souvient Frederick Douglass, sont ceux prononcés par le mari de celle qui lui a apprit à lire à l’âge de 12 ans.
Métis né esclave, Douglass est balloté dès son plus jeune âge de maîtres en maîtres, parfois « gentils », parfois tortionnaires. Il apprend à ses dépens la condition d’esclave et se forge une opinion sur les rapports humains. Le 3 septembre 1838, âgé de 20 ans, Douglass décide de s’enfuir définitivement. Déguisé en marin et muni de papiers d’identité obtenus d’un marin noir libre, il prend le train de Baltimore et se rend à Havre de Grace dans le Maryland. Il se fait dorénavant appeler « Frederick Douglass » plutôt que « Frederick Augustus Washington Bailey » afin d’échapper à ses anciens maîtres.
Sa conscience politique se développe avec la lecture du journal édité par William Lloyd Garrison, « The Liberator », qui « occupait dans son cœur la seconde place, juste après la Bible ». Pendant 16 ans, il a collaboré à ce journal influent et a acquis une renommée internationale en tant que conférencier et écrivain inspirant et persuasif. De par son incroyable destinée, Douglass est continuellement appelé à raconter son histoire, et certains l’accusent d’être un imposteur. Le travail de Douglass en tant que réformateur allait de ses activités abolitionnistes au début des années 1840 à ses attaques contre Jim Crow et au lynchage dans les années 1890. Dans des milliers de discours et d’éditoriaux, il a lancé une puissante accusation contre l’esclavage et le racisme, a donné une voix d’espoir indomptable à son peuple, a adopté une politique anti-esclavagiste et a prêché sa propre marque d’idéaux américains. Abolitionniste, écrivain et orateur Frederick Douglass devient le plus important leader noir américain du XIXe siècle.
Dès 1841, il devient un membre et un orateur connu du « Mouvement pour l’abolition de l’esclavage », aux côtés de William Lloyd Garrison et de Charles Lennox Remond. Mais en tant qu’ancien esclave, ses témoignages et ses discours avaient une dimension toute particulière. En 1845, il écrit et publie sa biographie, « Récit de la vie de Frederick Douglass, écrit par lui-même » (Narrative of the life of Frederick Douglass, written by himself), qui est imprimée sur les presses du Liberator. Son livre, traduit en français et en néerlandais se vend rapidement et est réimprimé neuf fois dans les trois années qui suivent sa publication. Mais sa nouvelle notoriété l’oblige à fuir une fois de plus pour échapper à son ancien maître. Il se rend en Grande-Bretagne et en Irlande où il poursuit ses activités en faveur de l’abolition de l’esclavage, entre 1845 et 1847. Ses trois autobiographies sont considérées comme des œuvres importantes de la tradition narrative des esclaves, ainsi que des classiques de l’autobiographie américaine.
De retour aux États-Unis, il fonde l’hebdomadaire « The North Star à Rochester » (New York), aidant des esclaves fugitifs à gagner le Canada, collaborant dès 1848 au « Mouvement pour l’égalité des droits des femmes ». Il se distingue cependant, à partir de 1851, du mouvement abolitionniste de Garrison en désapprouvant sa passivité. Il se prononce en faveur de l’accession de la communauté noire des États-Unis à l’exercice d’un pouvoir tant économique que politique, dénonçant les illusions qu’engendrait le mouvement de « retour en Afrique » que certains tels que Marcus Garvey prônaient alors comme solution aux difficultés de la communauté noire aux États-Unis.
Après le déclenchement de la Guerre civile américaine (1861-1865), Douglass est parmi les premiers à suggérer au gouvernement fédéral d’employer des troupes formées d’hommes Noirs. Le 22 septembre 1862, après la victoire sanglante des Nordistes à la bataille d’Antietam, le président Abraham Lincoln publie une première version de la « Proclamation d’émancipation des esclaves » (Emancipation Proclamation). Bien qu’indifférent au sort des Noirs-Américains, il comprend que la dynamique lui échappe et veut garder le contrôle en décrétant que toutes personnes possédées comme esclaves dans un État en rébellion contre les États-Unis, seraient, «désormais, et pour toujours, libres» au 1er janvier 1863.
«Mon objet actuel est avant tout de sauver l’Union, et non de sauver ou de détruire l’esclavage. Si je pouvais sauver l’Union sans affranchir un seul esclave, je le ferais ; si je pouvais la sauver par l’affranchissement de tous les esclaves, je le ferais ; si je pouvais la sauver par l’affrontement d’une partie des esclaves et par l’abandon de l’autre partie, je le ferais encore.»[1]
Toujours est-il qu’un mois après cette déclaration, dans la nuit du 31 décembre 1862, Lincoln prononce officiellement la « Proclamation d’émancipation »qui libère les esclaves de la Confédération, tout en les maintenant dans l’Union . Elle marque un tournant dans la guerre que se livraient les États des États-Unis d’Amérique : il ne s’agissait plus seulement d’une lutte au nom de l’unité nationale, mais bien d’une guerre révolutionnaire pour la liberté des esclaves. En vertu de la « Proclamation d’émancipation », les hommes noirs pourraient également s’engager auprès des forces nordistes en tant que soldats, comme le souhaitait Douglass depuis le début de la guerre.
Frederick Douglass croyait fermement à l’égalité de tous, incluant les descendants d’africains, les femmes, les autochtones, les immigrants, et évidemment tous les autres américains d’ascendance européenne. Brillant, héroïque et complexe, Douglass est devenu un symbole de son époque et une voix unique pour l’humanisme et la justice sociale. Sa vie et sa pensée parleront toujours profondément de la signification d’être noir en Amérique, ainsi que de l’appel humain à résister à l’oppression. Douglass est mort en 1895 après des années passées à tenter de préserver un sens abolitionniste noir et à se souvenir des grands événements auxquels il avait assisté et contribué à façonner.
[1] Traduction tirée de Revue contemporaine, vol. 65, p. 738, 15 nov. 1907
https://nofi.fr/2018/09/haiti/57793