Qu’il s’agisse de l’affaire Adama Traoré, de celle de Théo ou de Madame Kébé, les bavures policières sont de plus en plus dénoncées sur les réseaux sociaux. Sujet tabou, ces relations complexes entre jeunes des banlieues et forces de l’ordre a inspiré le jeune réalisateur Djigui Diarra. Malgré eux est un court-métrage qui dépeint une réalité séculaire ; entre racisme, violence et fatalité il raconte l’histoire d’hommes et de femmes, victimes d’un système inadapté. Un projet cinématographique qui ne s’est pas fait sans obstacles. Entretien.
Pourquoi avoir voulu réaliser ce court-métrage ?
« J’ai terminé un court-métrage d’une vingtaine de minutes qui s’intitule Malgré eux, basé sur les violences policières. C’est un projet qui me tenait à cœur ayant grandi à Grigny (Essonne). Les bavures policières j’en ai toujours vues. Quand j’étais petit, on m’a appris à me méfier de la police, à adopter un certain comportement en sa présence. Je me suis demandé : pourquoi je devrais me méfier des forces de l’ordre qui sont censées me protéger ? J’ai compris par la suite que le problème venait avant tout de ma couleur de peau. Ce que je représente peut faire peur. J’ai donc voulu comprendre ces comportements et les révéler au grand jour. »
Quel est le message de ce court- métrage ?
« Il y a plusieurs messages. Nous avons une justice à deux vitesses. Il y a une justice pour les uns et pas pour les autres. Si on n’a pas le bon faciès, le bon nom de famille, la bonne couleur de peau, c’est perdu d’avance. Je dénonce d’une certaine manière l’institution d’Etat qui est justement protégée par l’Etat et par tous les moyens.
En 2013, on a vu les agresseurs de Madame Kébé, qui a eu l’œil crevé après une intervention policière ou encore des cas emblématiques comme l’affaire Adama Traoré, pour lesquelles les meurtriers sont toujours en service. Je parle de ces affaires car même quand la culpabilité est évidente, il y a une machine, une juridiction qui se met en place pour protéger les forces de l’ordre incriminées.
L’objectif de ce court-métrage n’est pas de dénoncer les méchants policiers et de faire des jeunes des gentils. Rien n’est simple dans les deux camps. Il y a des policiers vertueux. Eux aussi sont victimes de tout cela. Que peut-on faire pour améliorer ces rapports ? »
Quelles ont été les principales difficultés pour la réalisation de ce court- métrage ?
« Dans le cinéma français actuellement, il est très compliqué pour une histoire simple de se faire soutenir financièrement. Que ce soit un court ou un long-métrage, il faut de l’argent ; d’autant plus si on veut aborder un thème épineux, un peu rebutant pour certaines personnes.
Pour convaincre les gens de miser sur moi, ça été très difficile. Au début, j’avais un producteur qui était partant. Plus mon scénario s’affinait, plus je savais où je voulais aller, plus nos visions divergeaient et puis nous avons dû nous séparer. Je ne voulais pas avoir l’œil du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) ou des régions d’autres organismes privés dans la réalisation. Je me suis dit que j’allais me serrer la ceinture et partir avec des clopinettes. Il n’a pas été facile non plus de constituer une équipe mais j’ai usé de mon réseau et j’ai réussi. Une trentaine de personnes ont participé à ce projet et pas moins de 100 figurants. Le résultat est là. »
Le sujet de ton court-métrage est-il tabou ?
Un sujet tabou sans l’être. Il n’y a rien de surhumain dans la manière d’aborder la question. Je sais néanmoins que pour certains c’est un sujet délicat. Il y a déjà eu des courts et des longs-métrages qui abordaient cette question des bavures policières. A chaque fois, elle était édulcorée. C’est fait d’une manière à ce qu’on n’entende pas le cri de colère. Dés que l’on parle de la police, c’est fait pour ne pas heurter les gens et je ne suis pas d’accord. On n’incrimine pas assez les responsables. Je n’ai pas voulu faire comme mes aînés.
Si on veut saisir toute la complexité, la dangerosité des choses, il faut montrer toutes les facettes. Si on veut vraiment faire bouger les choses, il faut le dire et le crier avec la tonalité nécessaire. Il faut montrer les deux côtés et essayer de faire un constat par la suite. Voir quelles seraient les solutions pour régler de tels problèmes. Je pense honnêtement, à notre humble niveau, que nous le faisons mon équipe et moi. »
Clap de fin pour le tournage. Quelle est la suite ?
« Le film est terminé. On va l’envoyer dans des festivals. Comme Black Movie summer. Qui a lieu à la mi- août. Un festival que j’apprécie beaucoup parce qu’il met en valeur des situations, des personnages que l’on n’a pas l’habitude de voir dans le cadre du cinéma français. Il y a des pépites. Mon précèdent film avait été diffusé là-bas et j’ai vu de très belles choses. Y concourir de nouveau ç’est super.
Le film sera également diffusé aux Etats-Unis, en Angleterre et en Afrique. Il y a déjà une version anglaise et une version espagnole en cours. Aux Etats- unis, la question des bavures policières est aussi présente qu’en France, en Suisse et sous d’autres manières et nos visions peuvent converger. Les gens peuvent se reconnaître dans ce court-métrage tout comme moi j’ai pu me reconnaître dans des films comme Fruitval Station. Je me suis grandement inspiré de ce film pour faire le mien.
Début septembre, sont prévues des projections publiques. On n’a pas encore les lieux mais c’est également en cours. »
De nouveaux projets ?
« J’envie de voir grandir mon bébé, l’envoyer dans des festivals, qu’on le regarde dans les collèges et lycées, dans des maisons de quartier par exemple. J’ai de nouvelles idées à poser sur papier- glacé mais je ne me précipite pas. »
Il y’ a quelques années, nous recevions Djigui Diarra dans nos locaux. Il était alors étudiant à la Femis, l’école de cinéma la plus réputée d’Europe: