Du beau temps (si on de la chance), de la Soca et des chars colorés; le Carnaval de Notting Hill est le deuxième en terme d’affluence après celui de Rio au Brésil. Se tenant annuellement à Londres, la capitale du Royaume-Uni, chaque dernier week end du mois d’août, il est synonyme de fête, de culture et de musique. Durant 3 jours, les participants communient au rythme des sonorités caribéennes et des caribéens auxquels ce festival rend hommage. Mais si aujourd’hui le public y pense comme un temps fort ultra-festif européen, il est en fait né d’une revendication profonde portée par l’activiste Claudia Jones. Laissez-nous vous relater la véritable et puissante histoire de ce carnaval.
Quand on vous dit « Carnaval de Notting Hill », vous viennent alors à l’esprit des images rythmées par la dancehall, la Soca; l’alcool (si vous buvez) et des parades à couper le souffle dans les rues de Londres. La manifestation attire près de 2 millions de visiteurs chaque année au pays du Prince William, venus de toute l’Europe mais, qui connaît la véritable histoire de la naissance de cet événement qui fêtera ses 60 ans cette année ?
Une problématique raciale dans Londres des années 1950…
Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale (1939-1945), le Royaume-Uni connaît une arrivée massive des populations caribéennes de ses colonies (Trinidad et Tobago; Jamaïque; Guyane britannique; Dominique; Bahamas; Grenade; Barbade; Sainte-Lucie…); fortement encouragée par le Windrush. La sortie de la Guerre a laissé un chantier de reconstruction immense qui nécessite plus demain-d’oeuvre, à une période où l’industrie tertiaire a débauché de nombreux d’ouvriers. Aussi, l’Empire britannique organise la migration, comme plus tard Michel Debré en France. Le territoire accueille également de nombreux citoyens issus de l’immigration et expatriés par les Etats-Unis. Cependant, le contexte économique difficile et la lutte des classes sociales fait naître des tensions importantes et certains britanniques voient d’un mauvais oeil cette « invasion » des afro-caribéens. Des groupes extrémistes s’organisent alors ou connaissent un nouveau souffle.
C’est le cas de l’Union Movement, fondé en 1948 par Sir Oswald Mosley, dont la précédente initiative, la Bristish Union of Fascist, avait été interdite durant la Guerre. Lui et ses hommes prônent une union entre les peuples européens blancs et combattent l’immigration avec virulence. Pus moderne et totalement jeune, la bande des Teddy Boys partage cette idéologie du « Keep britain white* ». Fondé dans les années 1950, ce groupe d’ados et de jeunes adultes est surnommé « Teddy Boys » par les médias, du fait du style vestimentaire de ses membres, inspiré de la période édouardienne (les belles années anglaise) sous Edward VII (Teddy étant l’un des diminutifs d’Edward). La situation se crispe jusqu’à l’inévitable: des émeutes raciales entre les communautés afro-caribéennes et les blancs en crise d’identité.
Les émeutes de 1958
Dans ce contexte hostile, les agressions des groupes identitaires envers les populations afro-antillaises se multiplient. Les violences s’amplifient à l’été 1958, ce qui entraîne une vague de troubles dans le quartier de Nottingham (Centre-Est de l’Angleterre); jusqu’à atteindre leur paroxysme à la fin du mois d’août. Jusqu’ici, les forces de l’ordre ne tiennent pas vraiment compte des nombreuses plaintes déposées par les victimes de cette british négrophobie. La source des émeutes serait liée à un événement isolé, survenu au soir du 29 août 1958. Un couple mixte se dispute à la sortie d’une station de métro. La suédoise et son mari jamaïcain décident alors de faire route séparée. Elle est prise à partie par des Teddy Boys et agressée dans la rue. Quelques jours plus tard, plusieurs centaines de blancs dont ces fameux Teddys, débarquent sur l’avenue Bramley Road, dans le quartier de Notting Hill, et sèment la terreur. Ils vandalisent des habitations et s’en prennent à ces populations dont certains représentants se montrent prêts à en découdre. Le quartier entier en sera secoué jusqu’au 5 septembre de la même année. Toutes les habitations des caribéens seront ciblées et vandalisées. Ces émeutes marquent un tournant dans l’histoire du Royaume-Uni.
« La bourgeoisie a peur du militantisme de la femme Noire, et elle a de bonnes raisons d’avoir peur. Les capitalistes savent, mieux que de nombreux progressistes, qu’une fois que les femmes Noires commencent à prendre des mesures, le militantisme de tout le peuple noir, et donc de la coalition anti-impérialiste, est grandement améliorée. » Claudia Cumberbatch alias Claudia Jones dans Une fin à la négligence des problèmes des femmes noires!, Political Affairs, 1949.
Claudia Jones et la revendication afro-caribéenne
Ces événements donneront lieu à une nouvelle politique, se voulant plus intégrationniste, dans le pays. Afin de condamner publiquement ces actes de racisme, 9 Blancs seront condamnés respectivement à 5 ans de prison ainsi qu’à 500 livres d’amende. Leur responsabilité dans ces troubles sera reconnue publiquement par une partie des autorités. Ces émeutes ont cristallisé une problématique raciale qui gangrénait la société depuis déjà longtemps. Elles révélaient l’inexistence au niveau culturel, politique et social de ces immigrés Antillais sur le plan national. Pour remédier à cette situation, il fallait donc leur offrir une visibilité, les faire compter, avec l’espoir de réconcilier tous les britanniques, Blancs et Noirs. Le carnaval de Notting Hill serait donc ce moyen. C’est grâce à l’activiste trinidadiene Claudia Jones que le choses vont se mettre en place.
De son véritable nom, Claudia Cumberbatch, cette femme de caractère, comme le monde afro-caribéen en a révélées pléthore, naît à Trinidad et Tobago le 15 février 1915. Alors qu’elle est encore une enfant, la famille émigre aux Etats-Unis. A peine quelques années plus tard, sa mère décède; Claudia reste seule avec son père et ses frères et soeurs. Appliquée à l’école, élève modèle, elle vit dans des conditions misérables, ce qui accentue certainement son regard sur les injustices sociales et les inégalités raciales qu’elle subit. Entre-temps, le sort s’acharne et elle contracte la tuberculose, à 17 ans, à cause de l’extrême précarité dans laquelle elle est plongée. Pourtant excellente élève, les catégories administratives de l’époque la condamnent à des métiers subalternes, en sa condition de femme de couleur émigrée. Claudia se bat et commence alors à militer ouvertement, notamment à travers la presse pour laquelle elle pige régulièrement. Elle obtient même sa propre rubrique dans une publication quotidienne. Puis, elle est engagée comme rédactrice au sein du Daily Workers en 1937, avant d’être promue directrice éditoriale du Negro Affairs en 1953.
C’est aux débuts de son engagement dans la cause qu’elle décide d’emprunter le nom « Jones », afin de protéger sa famille. Claudia intègre le parti communiste et prend la tête de la commission dédiée aux femmes ainsi que du Conseil national pour la paix, au début des années 1950. Dans une Amérique en pleine Guerre froide, qui lutte avec acharnement contre le communisme, les activités de cette femme noire immigrée dérangent le gouvernement. En 1948, elle est condamnée par la justice et emprisonnée en 1951, à l’âge de 36 ans. Malade, elle fait sa première crise cardiaque en cellule. A sa sortie de détention, le 23 octobre 1955, il est décidé par le même gouvernement que cette perturbatrice n’a plus sa place sur le territoire. Il est envisagé de la rapatrier sur son île natale, à Trinidad et Tobago, mais le gouverneur de l’île refuse, de peur qu’elle ne cause des problèmes. C’est donc au Royaume-Uni que la combattante sera déportée.
- Le choc britannique
Claudia Jones arrive dans un Empire britannique secoué par l’arrivée de ses compatriotes des îles. Sur place, décidée à poursuivre dans son militantisme, elle se heurte à cette étrange politique migratoire, au racisme et au sexisme des partis se réclamant pourtant du socialisme dont elle est elle-même partisane. Cela ne l’empêche pas de dénoncer les discriminations, au Royaume-Uni mais aussi à l’international, en soutenant par exemple le leader sud africain Nelson Mandela. Ses activités de presse reprennent également. Afin de diffuser son message, elle fonde le journal WIG (The West Indian Gazette and Afro-Asian Carribean News), en 1958. C’est aux premières loges qu’elle vit la détérioration de la situation entre Blancs et Afro. Comme pour ses semblables, les émeutes la marquent profondément. La fibre militante qui l’anime depuis le plus jeune page la pousse à agir concrètement et rapidement. Claudia Jones se met alors en relation avec tous les leaders antillais du coin, particulièrement les trinidadiens, qui sont les plus nombreux à l’époque. Sa vision est claire: seule la culture peut affranchir les Noirs de ce déni de leur citoyenneté et faire communier cette communauté avec toutes les autres qui peuplent l’Empire. Elle écrira d’ailleurs: » L’art d’un peuple est la genèse de sa liberté ». Autrement dit, en réponse à cette fureur, Claudia Jones et ses compagnons de lutte mettent en place une célébration culturelle annuelle à Notting Hill, épicentre des tensions raciales.
Un carnaval pour réconcilier les peuples
Avant de devenir l’incroyable parade haute en couleurs que l’on connaît, le carnaval de Nothing Hill était intérieur et moins complet. La première manifestation se tient en janvier 1959 et célèbre Mardi Gras, à l’instar des festivités caribéennes du carnaval. Il est acté qu’il se tiendra chaque année, le week end précédent le dernier lundi du mois d’août. Claudia Jones obtient l’autorisation d’organiser cet événement au St Pancras Town Hall, l’hôtel de ville du Conseil d’arrondissement de Camdem London Borough Council. Il est retransmis sur la chaîne nationale BBC et, instauré dans une démarche de réconciliation, la recette est dédiée au paiement des amendes des jeunes émeutiers, Noirs comme Blancs. Il se tiendra ensuite dans d’autres lieux de la capital avant que la première édition du Carnaval extérieur, tel qu’on y assiste aujourd’hui, ait lieu en 1966.
Il s’agit pour les caribéens de montrer l’étendu de leur culture de mettre à l’honneur leurs musiques, leurs costumes, leur art. Si les autorités politiques le perçoivent finalement comme un argument qui prouverait leur volonté d’intégration et le multiculturalisme à l’anglaise; au départ, le carnaval était mal perçu. A partir de la parade ouverte, il devient surtout un lieu d’affrontement entre les forces de l’ordre et les Noirs. Passant à côté de son esprit rassembleur, elles y lisent une parade de revendication, menaçante pour la sécurité. Heureusement, aujourd’hui, le carnaval de Notting Hill est une référence et un événement qui rassemble tous les londoniens et même une grande partie des européens, notamment les français qui effectuent le déplacement chaque année pour vibrer au son des sound system.
La mort de Claudia Jones
Claudia Jones n’assistera pas à l’évolution du projet qu’elle a initié. Elle décède la veille de Noël de l’année 1964, un 24 décembre, des suites d’une crise cardiaque, causée par sa tuberculose. La féministe sera enterrée le 9 janvier 1965, à la gauche d’un de ses modèles d’inspiration, le père du socialisme européen, Karl Marx au Highgate cimetery. Posthume, elle se verra attribuer le titre honorifique de « Mère du Carnaval Caribéen au Royaume-Uni »; posthume également, la rue Portobello Road, à Notting Hill lui sera dédiée avec une plaque hommage. En 1982, la fondation Claudia Jones verra le jour pour venir en aide aux femmes afro-caribéennes. En 2008, la poste du Royaume-Uni éditera un timbre spécial à son effigie. Pour tout ce qu’elle a apporté aux afro-caribéens et aux autres, pour son combat et ses sacrifices, Claudia Jones est célébrée chaque année lors du Black History Month, respecté au mois d’octobre dans le pays.
Si vous allez au carnaval cette année, vous n’en serez que plus fier et déterminé à faire la fête, maintenant que vous connaissez l’origine de cette manifestation sans égal européen.
*Keep britain white: Garder l’Angleterre blanche.