Elle chante, elle danse, elle raconte. Cela fait près de quarante ans que la danse rythme la vie de Chantal Loïal. Elle en a fait son métier. Voici l’histoire d’une Guadeloupéenne qui a quitté sa terre natale pour se reconnecter à celle de ses ancêtres, l’Afrique. Ses talents utilisés à bon escient, la chorégraphe a réécrit l’histoire des danses afro-caribéennes par le biais de spectacles, de représentations mais également via le festival du Mois Kreyol. Retour sur un parcours atypique.
A 4 ans, le bassin déjà en mouvement, Chantal Loïal parcourt les baptêmes et les mariages pour danser sur des airs de Gwoka, danse traditionnelle guadeloupéenne. Cette jeune enfant a le rythme dans la peau et celui-ci écrira son histoire.
« A l’école primaire, on me faisait passer de classe en classe, pour me voir danser du Gwoka. Aujourd’hui quand je vois des vidéos de petites filles en train de faire pareil, ça me rappelle tellement moi. »
La danse ce n’est pas un métier
Chantal Loïal est une enfant issue de la DASS (Direction sanitaire et sociale). Elle passe son adolescence en foyer mais qu’importe, la danse reste son exutoire. Impossible d’imaginer sa vie sans. Toutefois, la réalité la rattrape : « La danse ce n’est pas un métier », lui expliquent ses éducateurs.
Pour autant, ce n’est pas l’école qui la fait rêver mais plutôt Claude François et ses Claudettes :
« C’était un vrai miroir car il y avait déjà quelque chose de très mélangé chez lui au niveau des femmes qu’il mettait sur scène. Elles étaient de toutes origines. Du coup je pouvais m’identifier. »
Sortie des cours, elle s’intéresse à la gymnastique, au patinage. La danse classique l’attire mais elle ne correspond pas tout à fait à la danseuse classique. En effet, son physique atypique li vaudra plus tard le surnom de « la danseuse aux grosses fesses ».
A l’âge de 14 ans son professeur de danse de l’époque, Assaï Samba, lui propose de l’initier aux danses africaines. Elle rencontre Lolita Banbindamana ex-chorégraphe qui lui propose un stage de danse au Ballet national du Lokolé. Ainsi débute sa carrière de danseuse internationale.
Son déhanché la rend populaire et elle devient la coqueluche d’artistes africains de renommée mondiale comme Kanda Bongo man. Chantal voyage ; du ballet congolais Lemba au ballet Nimba qui représentait toute l’Afrique de l’ouest, elle bouge sur le Soukouss du Zaïre ou encore le War a et Zebola. Elle jongle entre les orchestres et les ballets traditionnels de l’Afrique.
« Il y avait très peu de femmes congolaises qui pouvaient intégrer la compagnie. L’obtention des papiers posait problème. Quand j’allais au Congo, on me parlait en lari ou en lingala car on me prenait pour une Congolaise ».
En 1994, avec son amie Nathalie Joco, elle décide de créer sa propre compagnie : Difé Kako. Dix-huit personnes l’accompagnent dans cette aventure. Leur premier spectacle Kakophonies, est un mélange hybride de pas antillais et de ceux assimilés en Afrique.
« On n’avait pas les moyens de se dire on s’installe en Guinée pendant deux ans et on fait que les pas de Guinée ou que de la Martinique avec le bélè par exemple. On a décidé de créer une danse à partir de ça. On a décidé d’être dans une gestuelle hybride entre l’Afrique et les Antilles. »
La chorégraphe va ainsi transformer sa compagnie en laboratoire. L’occasion d’élargir la diversité artistique. D’année en année, l’expression corporelle décryptée, la parole et le langage deviennent ses sujets d’étude : « Les premiers spectacles sont un patchwork de ceux que nous avions montés dans les ballets. Ca s’est fait de façon spontanée et pas forcement réfléchie. C’était un peu l’histoire de ma vie. Inconsciemment je racontais mon parcours. »
Parallèlement à ses activités, la danseuse rejoint d’autres compagnies, notamment celle de José Montalvo. Une romance artistique qui va durer plus dix ans. Les représentations seront sources d’inspiration.
Dans Po Chapé, toujours avec une pointe d’humour, elle dénonce le racisme et les clichés dont sont victimes les habitants de ce quartier populaire de Paris. Dans On t’appelle Vénus, elle rend hommage à Saartjie Baartman dite « La Vénus Hottentote », extirpée d’Afrique pour ses formes opulentes et réduite en bête de foire. Le spectacle aura un succès immédiat. Les salles ne désemplissent pas.
« J’ai toujours été engagée. Ce que j’ai vécu c’est que mes parents ont beaucoup élevé les enfants seuls. Je dénonçai ça. J’ai toujours été dans une revendication de droits pour que l’on puisse être bien. Je pense que ça continuera encore même après moi. Nos spectacles racontent l’amour, la haine à travers la mémoire, des identités très diverses. Comment peut-on accepter notre singularité et en même temps accepter d’être pluriel ? On est tous différents mais on peut quand même vivre ensemble. »
Cette idée de transmettre les valeurs du partage et du vivre-ensemble se transforme en 2017 en un festival baptisé « Le mois Kréyol » :
« L’idée d’un festival a toujours existé dans ma tête depuis très longtemps. Donc j’ai créé le festival l’année dernière. Au départ, ça devait durer un week-end, un temps forts créole. Comme la compagnie était en résidence dans pas mal de lieux, des associations nous ont proposé de collaborer. Nous avons eu beaucoup de propositions entre le mois juin et le mois d’octobre. Cela nous a permis de ne plus être sur un week-end créole mais sur un mois. Ca s’est fait de façon complètement spontanée et ce n’était pas du tout calculé. Le succès était au rendez-vous. On est très contents de pouvoir recommencer. Le plus important est qu’il y ait un vrai partage avec les associations, que ça puisse fédérer le milieu culturel dans l’hexagone mais aussi en province. »
Chantal Loïal est une artiste engagée dont le secret de la réussite est la persévérance: