Par Sewa Sourou. Longtemps considéré comme un secteur réservé aux illettrés et aux déscolarisés, le business de l’agro-alimentaire béninois connaît depuis quelques années l’arrivée de jeunes diplômés décidés à faire bouger les lignes. Nous sommes allés à la rencontre de Nicarette Ablawa Gomido, promotrice des jardins agro-écologiques Agri-Fresh. Avec son processus de transformation des produits maraîchers, elle apporte une innovation importante dans le secteur, auquel pourtant, rien ne la prédestinait.
Qu’est-ce qui vous pousse à entreprendre dans le secteur agricole ?
Mes premiers pas dans le monde entrepreneurial remontent à mes années collège. Je mettais mes vacances à profit pour de petites activités commerciales, bien qu’étant prise en charge à 100% par mes parents. Après l’obtention de mes diplômes universitaires et quelques expériences en entreprise en tant que stagiaire, j’ai décidé de me mettre à mon propre compte et de me consacrer à ma passion: l’horticulture maraîchère.
Comment fonctionnent les jardins Agri-Fresh ?
Agri-Fresh est une entreprise de production maraîchère et de transformation. Plus précisément, nous faisons de l’agro-écologie. C’est-à-dire que nos légumes sont cultivés sans pesticides et sans engrais chimiques. Nous transformons aussi nos carottes en prêtes-à-cuisiner et nos herbes aromatiques en infusions. D’autres légumes suivront.
De tous les processus agricoles existant, pourquoi avoir choisi la transformation ?
Plusieurs raisons m’ont motivée pour me lancer dans la transformation de mes légumes. D’abord, quand j’ai lancé mon entreprise de production maraîchère, j’ai voulu faire comme tous les maraîchers de la place: produire et vendre aux grossistes intermédiaires du marché ou directement aux petits détaillants. Mais très tôt j’ai été confrontée à la dure réalité du secteur maraîcher béninois, caractérisé par une très grande spéculation. Ce sont, la plupart du temps, les acheteurs qui fixent le prix d’achat ce qui, vous en conviendrez, est généralement en dessous du coût de production. J’enregistrais aussi d’énormes pertes post-production.
Il fallait que je trouve une solution à tous ces problèmes. Aussi, de ma position de femme « moderne », je sais qu’il n’est pas toujours évident après de dures journées de travail de se mettre à éplucher, triller les légumes. Nous ne pouvons plus continuer comme à l’époque de nos grands-mères. Il fallait repenser la façon de commercialiser nos produits locaux afin de nous faciliter le plus possible la tâche à la cuisine. Ainsi, j’ai commencé par les carottes que je commercialise dans des barquettes nettoyées, coupées et prêtes à cuisiner. Puis s’en est suivi ma gamme d’infusions réalisée avec nos herbes aromatiques.
Quels sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontée?
Je peux citer les difficultés liées à ma technique de transformation. Je n’ai pas encore de machines, nous faisons tout de façon manuelle. Il y a aussi la concurrence déloyale des produits importés.
Quels sont vos projets pour l’avenir?
Pouvoir acquérir des machines afin d’augmenter ma capacité de transformation; racheter et transformer les productions des autres maraîchers de la coopérative dont je suis membre afin de leur permettre de vivre décemment de leur activité; commercialiser mes produits sur tout le territoire national et dans les pays de la sous-région et lancer de nouvelles gammes de légumes prêts à être cuisinés.
Vous êtes aussi présidente d’une ONG, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette organisation?
Oui, je suis la présidente de l’Organisation Non Gouvernementale « Action pour un monde meilleur ( A2M) ». Je mène avec mes membres et les maigres ressources dont nous disposons, des actions à destination des écoliers. Nous les sensibilisons sur le civisme et les petits gestes du quotidien qui contribuent à la protection de l’environnement. Nous sommes persuadés que si nous voulons éradiquer les maux qui minent nos sociétés d’aujourd’hui, si nous voulons un monde meilleur pour les générations futures, nous devons éduquer, former et modeler la base (les enfants). Nous avons aussi en projet d’étendre vers les femmes de certains marchés, nos séances de sensibilisation à l’éco-citoyenneté.
En plus d’être cheffe d’entreprise et présidente d’ONG, vous êtes femme et mère. Comment faites-vous pour assurer efficacement tous ses rôles ?
Ce n’est pas toujours facile mais je m’organise du mieux que je peux. Généralement, mes journées commencent à 5h du matin et s’achèvent autour de minuit. En semaine, je me consacre en grande partie à mon entreprise. Quant aux activités de mon ONG je les mène les samedis. Mes journées du dimanche sont spécialement réservées à mes enfants et à mon époux. Voilà un peu comment je m’organise.
Quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes femmes qui souhaitent se lancer dans le monde de l’entrepreneuriat?
Aux jeunes femmes qui veulent se lancer dans le monde de l’entrepreneuriat, quel que soit le secteur choisi, je dirai que ce ne sera pas facile mais qu’elles peuvent réussir brillamment. Il leur revient de ne pas s’arrêter aux barrières liées au genre, de se considérer comme des êtres humains à part entière capables de décider, d’agir, d’impacter et de s’imposer.