Imaniyé Dalila Daniel, agitatrice culturelle au service de la mémoire martiniquaise

Imaniyé Dalila Daniel est l’auteure de « Zaïre et Théophile, pas de pitié pour les nègres ». Ce livre que nous avions découvert au Salon du livre en début d’année, est le premier ouvrage historique romancé, qui raconte l’histoire vraie d’un amour tragique entre les esclaves Zaïre et Théophile, ainsi que l’esclavage en Martinique et l’instauration de la politique béké sur l’île. La touche-à-tout, fondatrice de la maison du Bèlè, se définit comme une agitatrice culturelle. Entre ses nombreuses activités traditionnelles, elle nous a accordé un entretien placé sous le signe de des Arts et de l’engagement. Rencontre.

Quel est votre parcours ?

Celui d’une agitatrice culturelle dans les domaines de l’art et de la culture, particulièrement la musique et les costumes traditionnels martiniquais dont je suis spécialiste. Je suis créatrice de lieux culturels comme La Maison du Bèlè, l’espace muséal de la vannerie du Morne Des Esses. J’ai réalisé de nombreux spectacles, pièces de théâtre et comédies musicales, réalisé la scénographie et les texte de la visite guidée du tombolo et de l’îlet Sainte-Marie et pas mal d’expositions (Bèlè, Sainte Marie, poupées et figurines).

Je présente des spectacles et des émissions de télévision et je chante également quand je ne compose pas pour d’autres avec qui j’ai produit plusieurs albums. Je suis écrivain, depuis la sortie de « Zaïre et Théophile, pas de pitié pour les nègres », mon premier roman, sorti il y a presque deux ans. En résumé, je suis une artiste originaire du Nord Atlantique où sont jalousement conservées les traditions culturelles les plus authentiques que j’essaye au mieux d’honorer.

Qu’est-ce qui vous pousse à raconter cette histoire ?

C’est mon amie, la poétesse Martiniquaise Hanetha Vété Congolo, chercheure et professeure dans une université américaine qui, lors d’une discussion sur les relations Hommes/Femmes en Martinique attire mon attention sur la solidarité qui existait dans les couples durant l’esclavage. Elle me cite en exemple Zaïre et Théophile sur qui elle a beaucoup écrit et travaillé. Je me plonge alors dans leur histoire et en ressort bouleversée. Et convaincue que l’histoire que j’attendais pour devenir la romancière que je savais être depuis toujours, m’avait rencontrée.

Quelles ont été les principales difficultés dans votre démarche de recherches ?

La plus grande difficulté fut de regarder la vérité en face. J’ai été longtemps journaliste et je sais investiguer et chercher. Mais ce que j’ai trouvé était tellement fort, tellement violent que j’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre. Oui, ce fut cela le plus dur, de voir comment ces gens ont souffert de toutes les manières possibles, avec une telle intensité et en tout temps. Des gens de tous âges livrés aux démons de l’argent et de la sexualité de maîtres absolus, sans contrôle ni limite dans leur cruauté et leur appétit. Ce fut et c’est encore très dur de laisser ce démonisme en dehors de l’histoire que je raconte pour ne pas faire du livre un musée des horreurs. C’est en privilégiant au contraire l’amour, que j’ai découvert omniprésent sur les habitations, que j’ai pu m’en sortir.

Imaniyé Dalila Daniel au Salon du livre 2018 à Paris.

Comment le public a-t-il accueilli ce récit ?

Ce livre a fait l’effet d’une bombe et j’ai été surprise de voir l’intérêt qu’il a suscité, ainsi que l’approbation générale qui l’a accueilli. Tout le monde y a trouvé son compte je dirai et je n’ai eu que des retours positifs jusqu’à présent, ce que je prends pour un cadeau et qui me touche beaucoup.

 

Pourtant, l’idylle de Zaïre et Théophile ne représente qu’une partie infime de l’histoire. Pourquoi ce choix ?

Une partie infime mais si intense ! Etait-il utile d’en dire plus sur eux ? Je ne sais pas. Il y avait autour d’eux le pourquoi ils sont entrés dans l’histoire de cette façon et à ce moment-là. Tant de révélations explosives à faire qui montraient comment ils ont été manipulés toute leur vie jusqu’à leur rébellion contre l’inhumanité de leur condition et tous les mauvais plans montés contre eux… Et leurs descendants.

Pensez-vous que l’histoire de Zaïre et Théophile trouve une résonance dans la situation actuelle des Antilles ?

C’est en parlant de nos difficultés, notamment dans la relation de couple, que nous en sommes remontés jusqu’à eux. Aujourd’hui, Ils sont revenus cent quatre vingt ans après leur mort pour nous raconter notre vraie histoire ; la seule capable de nous permettre de comprendre ce que nous sommes aujourd’hui et qui nous incite à plus de tolérance pour des comportements parfois incompréhensibles de certains vis-à-vis notamment de l’Afrique, de nos ancêtres réduits en esclavage, de nous-mêmes… Oui, cela résonne très fort en nous cette histoire qui nous apprend à connaître, à nous connaître, à nous accepter, et nous imaginer un avenir beaucoup plus apaisé.

Y ‘aura-t-il une suite aux aventures de ces deux amants ?

Oh oui, l’aventure continue ! Le tome 2 est en effet en cours d’écriture. Il s’agira cette fois de revivre avec certains personnages qui ont survécu au drame, et d’autres tout aussi historiques, ce moment décisif où, immédiatement après l’abolition de 1848, jusqu’à l’insurrection du Sud de la Martinique en 1870, on a tenté de remettre les Noirs en esclavage par tous les moyens. C’est une histoire abominable qu’est la nôtre, abominable mais non plus cachée car il faut absolument que les gens voient que notre situation actuelle n’est pas le fruit du hasard ou d’une mauvaise gestion de la liberté par nos ancêtres, véritablement piégés et livrés sans défense dans les mains de leurs anciens bourreaux, dont les sentiments n’ont jamais changé à leur égard. Cette saga est pour moi une manière de réhabiliter la mémoire de ces Ancêtres qui ne devaient certainement pas souhaiter que nous soyons toujours aussi aveuglés qu’eux après presque deux siècles. C’est aussi pour leur force, leur courage, et surtout cet esprit de solidarité et d’entraide incroyable qu’ils ont cultivé pour résister ensemble à leur condition, qu’ils méritent que nous connaissions leurs rêves, leurs luttes et leurs efforts. Cela vaut plus d’un roman.

SK
SK
SK est la rédactrice/ journaliste du secteur Politique, Société et Culture. Jeune femme vive, impétueuse et toujours bienveillante, elle vous apporte une vision sans filtre de l'actualité.

News

Inscrivez vous à notre Newsletter

Pour ne rien rater de l'actualité Nofi ![sibwp_form id=3]

You may also like