Ghyslain Vedeux est le nouveau président du Conseil représentatif des associations noires. Entrepreneur français originaire de Rios dos Camaroes, il est engagé auprès du CRAN depuis de nombreuses années. A l’occasion de cette nouvelle mandature, le successeur de Louis-Georges Tin nous a accordé un entretien dans lequel il revient sur les actions de l’institution, son rôle et la ligne qu’il veut désormais lui donner.
Quel est votre parcours ?
Initialement sportif de haut niveau, je suis aujourd’hui entrepreneur dans le domaine des activités physiques et sportives. J’exerce également en profession libérale comme consultant dans le domaine du coaching et de la prévention en psychopathologie. J’accompagne des sportifs, des salariés et collaborateurs d’entreprises, des chefs d’entreprises, des universitaires, des demandeurs d’emploi, des personnes à mobilités réduites ou encore des autistes avec pour cadre fixer, suivre et atteindre des objectifs sur le plan physiologique et psychologique. Je suis également habilité à suivre et à accompagner des structures associatives pour leur audit et autres suivi administratif.
Qu’est-ce qui vous pousse à vous engager auprès du CRAN ?
En France, ce qu’on ne nomme pas « n’existerait » pas. Notre organisation, le Conseil représentatif des associations NOIRES, si aujourd’hui elle est reconnue d’intérêt public, avons pendant des années dû nous justifier de nous nommer « NOIR ». La doxa républicaine a pendant des années intimé aux Noirs vivant ici de ne pas se nommer. Or, nommer c’est faire exister. Mon engagement s’est donc porté sur cette organisation car elle nomme ici ce qui est considéré comme un « problème ». Bien sûr qu’être africain ou d’origine africaine n’est pas un problème, mais la gestion des populations noires par les pouvoirs Français successifs, des Noirs qui restaient en France, même après avoir servi pendant les guerres, démontre qu’ils ont continué à être considérés comme « un problème ». La Chronologie est sans équivoque et ce traitement des Noirs comme « un problème » qui officiellement pris fin en 1946, démontre que c’est bien des question d’actualité avec hélas des conséquences qui continuent de nous impacter aujourd’hui.
La tendance qui consite souvent à dire à certains héritiers du système colonial« mais ça c’était avant, ça ne nous concerne pas » ou encore « nous ne sommes ou ne nous sentons pas responsables des actes du passé » trouve vite ses limites car bien évidemment il ne s’agit pas d’intimer des responsabilités individuelles. Ce dont il s’agit c’est d’interroger les discriminations, le racisme et l’afrophobie structurels qui ont traversé les âges et qui continuent à bénéficier majoritairement aux personnes dites « blanches ».
Depuis que je m’engage et y compris au CRAN, c’est aussi pour participer à déconstruire les stéréotypes scientifiques racialistes, c’est prendre en compte les aspect historiques, sociologiques, politiques et philosophiques des questions liées aux discriminations et aux diverses formes de racismes que l’on peut retrouver dans le traitement de la lutte contre l’afrophobie.
Quelle fonction y occupiez-vous jusqu’ici ?
J’étais administrateur en charge des relations Police/Société civile depuis début 2016. De ce fait je me suis occupé de plusieurs dossiers. J’ai proposé et créé l’auto-récépissé afin qu’un maximum d’entre nous ait accès à leurs droits les plus basiques lors d’un contrôle de police. A ce jour, ceux qui s’en sont servi lors de contrôles de police témoignent qu’avoir ce document avec eux leur a évité bien des tracas. Nous ne prétendons pas que cela règlera tous les problèmes, mais cela ne coûte rien de l’avoir sur soi en prévention. Nous conseillons donc à tout un chacun d’en avoir toujours un exemplaire avec lui. J’ai aussi participé à l’administration de notre site web, et ce depuis plusieurs années.
Je suis également administrateur du site Stopblackface France que nous avons lancé en février 2018 ainsi que de la page Facebook dédiée.
J’ai également proposé et lancé la campagne STOP au Racisme dans le sport avec une plateforme dédiée sur les réseaux sociaux.
De Patrick Lozès à Louis-George Tin, quelle expérience avez-vous pu faire de ce Conseil ?
Tous les mouvements associatifs et militants connaissent des hauts et des bas. Il est important de rappeler et donc de comprendre les différents courants qui ont traversé le CRAN, de sa création en 2005 à nos jours. De ses membres d’hier à ceux d’aujourd’hui, nous pouvons, à l’analyse des actions passées et actuelles, mieux comprendre le positionnement du CRAN en 2018. De plus en plus de personnes physiques et morales nous suivent depuis 2013 car, suite aux actions de ces quatre dernières années, elles comprennent plus nettement les revendications du CRAN qui s’est clairement identifié et positionné comme un mouvement anticolonialiste mais qui lutte aussi contre les autres formes de discrimination comme les violences policières, les discriminations au logement, les représentations racistes afrophobes etc… Lutter pour les réparations est essentiel mais le CRAN a dû prendre en compte que les personnes qui subissent les discriminations et l’afrophobie du quotidien attendaient aussi des solutions concrètes. Pour l’instant, on ne peut pas être partout mais on se mobilise dès qu’on le peut. Le CRAN ne reçoit aucune subvention de l’Etat français, et est donc totalement indépendant.
De quelle façon le CRAN s’implique-t-il sur le terrain ?
Le CRAN se mobilise pour l’intérêt général, dès que cela rentre dans ses domaines de compétences. Soit lorsque nous sommes saisis par des victimes, ou lorsqu’on nous nous saisissons de certains dossiers. Par exemple, le CRAN tient des permanences juridiques à Paris et à Toulouse. Il soutient la permanence du collectif afroféministe pour traiter les questions liées aux violences faites aux femmes.
Le CRAN collabore-t-il avec d’autres associations ?
L’essence même du CRAN est d’être une fédération de fédérations d’associations.
Je ne peux pas toutes les citer mais il y en a un peu plus de 120.
Si vous deviez dresser un bilan, lequel serait-il ?
Je peux dresser ici un bilan non exhaustif des résultats et nombreuses actions menées par le CRAN et ses partenaires :
- la création de la fondation pour la mémoire de l’esclavage;
- le vote au Conseil de Paris pour le musée de l’esclavage;
- la restitution des trésors pillés pendant la colonisation;
- le vote de la loi sur les actions de groupe;
- des victoires multiples contre Zemmour, Bilalian, France TV, Canal +, Canteloup, Ménard, Laurence Rossignol, MANGO, L’Oréal, Pardon, le Bal nègre, Deguise-toi.com, Polaroïd, l’EDHEC, etc…;
- Le CRAN a participé à permettre que soit écarté le procureur qui avait menti dans l’affaire des violences policières liées au décès de feu Adama Traoré;
- Le CRAN a organisé la grande manifestation en soutien à la famille Traoré en novembre 2016;
- Le CRAN a organisé la grande mobilisation en soutien à Théo Luaka, violé par les policiers;
- Sur une affaire très grave impliquant la police, protégée par les plus hauts représentants gouvernementaux, dans le cadre de l’affaire de feu Bertrand Nzohabonayo tué par les policiers de 4 balles et ensuite accusé de terrorisme, non seulement le CRAN a démontré qu’il n’était pas terroriste mais aussi qu’il s’agissait d’une interpellation injustifiée qui a mal tourné et tout cela lors d’un conférence de presse à la Maison du barreau à Paris le 7 janvier 2015 devant tous les principaux médias:
Dans cette affaire, depuis ce qu’a révélé le CRAN, la police, les autorités judiciaires et gouvernementales pourtant si promptes à s’exprimer au début se sont murées dans un silence lourd de significations…empêchant jusqu’à ce jour, soit plus de 3 ans et demi après, à la maman de feu Bertrand Nzohabonayo et à l’ensemble de sa famille de faire leur deuil. Le CRAN continue de suivre ce dossier en la soutenant.
- Le CRAN est aussi à l’international. Nous soutenons les enfants de Mayotte laissés à la rue et ceux que l’Etat nomme « des migrants » venant des Comores. A Mayotte, il y a bien d’autres exemples de l’engagement du CRAN.
- Le CRAN a participé à la mise à l’écart du directeur de l’hôpital qui est à l’origine de la mort de feu Noami Musenga
- Le CRAN en ce moment même est acteur dans la coordination d’une grande enquête toujours, dans le cadre de l’affaire de feu Noami Musenga, afin de révéler le traitement que les Noirs et les autres minorités subissent de la part du corps médical en France et surtout proposer des axes d’amélioration.
- Le CRAN coordonne actuellement des actions de prévention pour qu’un maximum connaissent et aient accès à leurs droits, notamment par le biais de l’auto-récépissé que nous avons créé.
- Le CRAN est actuellement en train de travailler sur les relations police/société-civile ici en France et avec nos partenaires Européens. Nous travaillons sur les sujets liés aux migrants dans cette coordination internationale.
- Le CRAN se mobilise pour la continuité territoriale.
Nous avons quatre procès en cours contre l’Etat, contre de grandes banques, contre l’armée française pour crime contre l’humanité. Le dernier procès en date est celui contre l’Etat Français du 10 mai 2018 dernier : le CRAN a attaqué l’article 5 du décret Schoelcher, et met en demeure les békés et les Blancs pays. Contrairement à ce qui peut se dire, nous ne restons pas silencieux. Simplement, parce que nous ne suivons aucune mouvance politique, nous ne communiquons pas sur nos intentions mais sur nos actions. C’est un choix assumé. Ainsi, nous ne commentons pas l’actualité. Nous communiquons sur les résultats de nos actions. Ainsi y compris sur la question de nos frères migrants, nous nous mobilisons et nous le ferons de plus en plus. Nous sommes conscients qu’on peut faire mieux, c’est aussi l’un de nos objectifs. Le CRAN propose des solutions quand cela est possible en fonction de ses ressources et moyens. Nous n’avons pas la prétention de dire que nous pouvons tout gérer seuls.
Vous avez récemment lancé un questionnaire suite à la mort de Naomi Musenga, le public a-t-il été réceptif ?
Nous avons finalement réussi à aller au bout, en synergie avec d’autres collectifs. Hélas, le cas de feu Naomi Musenga est loin d’être isolé. Comme le constate l’enquête :
« On constate par exemple une surreprésentation des « propos discriminants » pour les individus avec un nom à consonance africaine, arabe ou berbère (38% au lieu de 28%); et des «gestes brusques» plus nombreux pour les personnes se disant perçues comme «non-blanches» (28% au lieu de 23% en moyenne). Tout comme les personnes qui ont un nom à consonance africaine, arabe ou berbère et un accent étranger ou des départements d’outre-mer paraissent subir plus de refus de prise en charge par l’équipe médicale (40% contre 34% en moyenne). Le résultat va nous permettre de préparer d’autres actions dans le domaine médical. Nous communiquerons sur ces actions le moment venu.
Quel est votre programme en tant que nouveau président ?
Pour synthétiser, je dirais simplement que le premier président du CRAN, de 2005 à 2011, avait mis l’accent sur la « diversité ». Le second président, Louis-Georges Tin, a été identifié pour toutes les questions liées aux Réparations en se positionnant comme un mouvement anticolonial. Etant membre du Conseil d’administration depuis 2014, je suis déjà identifié pour les questions liées aux relations société-civil et Police. J’œuvre pour que le CRAN soit aussi un CRAN de terrain, ait les pieds ancrés dans la rue et aussi les mains dans les institutions. Ce que j’appelle terrain englobe le plan local, national et international. Etre dans les institutions est essentiel sinon les décisions sont prises pour nous et sans nous. A nous donc de faire le nécessaire pour être aussi représentés en ces lieux. Ainsi, pour le programme, la méthodologie proposée est la suivante:
- Pérenniser les actions en cours sur les réparations;
- Continuer le travail engagé pour lutter contre les violences policières et toutes les autres formes de discrimination et d’afrophobie;
- Dans l’Outre-mer, la priorité est le dossier sur la continuité territoriale;
- L’autre priorité est aussi le scandale sanitaire lié au Chloredécone;
- Continuer le travail sur les Réparations;
- Proposer des actions de prévention et de formation contre les discriminations et le racisme;
- Développer le volet économique;
- Faire un focus d’actions sur ceux que nos politiques nomment « les migrants ». Cette thématique va aussi être l’un des fil conducteur de cette mandature.
Quelles sont les autres actualités du CRAN ?
Concernant les relations police société civile. Nous poursuivons le travail commencé pour :
-Bannir les techniques létales d’immobilisation (étranglements, « pliages », etc…) qui sont cause de mort lors des interventions policières;
-La mise en place de la parité police/société-civile au sein des instances de l’IGPN;
– Mise en place d’actions de sensibilisation contre les discriminations dans les écoles de police
– Promouvoir l’accès à la connaissance des droits (auto-récépissé)
Concernant les discriminations sont à l’ordre du jour :
-La Création de l’Observatoire du racisme anti-noir/afrophobie
-La lutte contre les inégalités territoriales entre l’hexagone et l’Outre-mer (en mettant en place l’Agence pour la continuité territoriale, et en engageant une action de groupe si l’Etat s’y refuse)
-La lutte contre les inégalités salariales à caractère racial (en mettant en place le rapport de situation comparée, en se fondant sur la méthode François Clerc, validée par la Cour de Cassation)
-La lutte contre les orientations discriminantes à l’Ecole, qui condamnent les destins, entraînent la relégation et empêchent l’épanouissement des nos enfants
-La mise en place de l’agence nationale pour les stages
Intersectionnalité :
Un certain nombre d’actions sont prévues concernant cette question qui est incontournable. Les informations seront disponibles bientôt sur notre site web.
Sur le plan international :
Poursuivre nos coopérations avec les CRAN Afrique et le CRAN Amérique. Continuer notre Coopération avec ENAR sur le plan européen.
Enfin, la grosse actualité c’est notre coopération avec l’Etat de la Diaspora Africaine, qui a été lancé lors du sommet de l’Union Africaine les 1 et 2 juillet 2018 en Mauritanie. Nous sommes fiers que le CRAN ait été à la base du lancement de L’Etat de la Diaspora Africaine. C’est une innovation fondamentale dont, je l’espère, nous pourrons mesurer l’impact très bientôt.