Avec BlacKkKlansman, Spike Lee, brillant , propose un film à double versant dans lequel il oppose le point de vue de deux Amériques qui peinent à cohabiter: militants Noirs vs suprématistes Blancs. Au cinéma le 22 août.
BlacKkKlansman est le dernier film du réalisateur Spike Lee, qui sortira sur les écrans de France le 22 août. L’intrigue se déroule à Colorado Springs, dans les années 1970, et s’inspire de l’histoire vraie du policier afro-américaine Ron Stallworth, qui réussi à infiltrer la cellule locale du Klu Klux Klan. Le scénario est sublimé par un casting excellent. Il s’agit de la première performance cinématographique en tant que rôle principal de John David Washington, fils de Denzel Washington, que le public a pu découvrir dans des séries telles que Ballers. Le rooky nous livre une performance efficace dans la peau d’un flic disco à la coupe afro parfaite. On redécouvre également Alec Baldwin en J. Edgar Hoover, patron impitoyable du FBI et un Topher Grace (That’s 70’s show) aussi sérieux que ridicule dans le rôle du vrai David Duke, Grand Sorcier du Klan. Le film se veut léger et comique, mais, même si l’on rit, la lourdeur du sujet force le téléspectateur à réfléchir à une problématique récurrente. Car, entre Blancs persuadés de faire ce qui est juste et légitime pour préserver la patrie d’un sang impur; et Noirs convaincus que leur existence ne s’améliorera que lorsque les rapports de pouvoir seront inversés, qui a raison ?
Black Power vs White Power
A Colorado Springs, c’est la première fois que la police intègre dans ses rangs un élément noir. Si l’hostilité des habitants n’est pas mise en lumière ici, celle des collègues de l’agent Ron Stallworth crève l’écran. Néanmoins, Spike Lee s’est refusé à tomber dans les écueils du manichéisme et nuance son propos avec les personnages du chef de la police, qui semble avoir de la sympathie pour sa nouvelle recrue; et celui de l’agent Flip Zimmerman (Adam Driver),le juif qui fait profil bas. Un coéquipier de choc, qui deviendra son partenaire de planque. C’est que Ron a de l’ambition: dès son arrivée, il convainc ses supérieurs de sa capacité à pouvoir travailler sous couverture. En pleine période de Blaxploitation, Stalworth se voit bien Shaft.
Le contexte et l’époque veulent que les groupes de militants Noirs, disciples des Black Panthers et autres figures emblématiques de la lutte pour l’émancipation de la communauté noire, cristallisent la terreur et la haine. Ce sont donc de fait les ennemis de l’Amérique, contrairement aux « bons Noirs », qui eux, ont accepté la hiérarchie prétendument divine qui leur confère un statut humainement inférieur. Aussi, inévitablement, la mission du jeune policier implique la trahison envers sa communauté, au service de la loi… de la loi négrophobe des Etats-Unis des années 1970…. Ron se retrouve face à un cas de conscience: il est Noir et flic dans un pays raciste, son identité et sa carrière se contredisent et il doit choisir entre faire son devoir et trahir ou, retourner la situation.
Cette position replace dans le débat une question très ancienne amenée par la fin de l’ère de la ségrégation raciale: peut-on être Noir et servir un système qui oppresse les Noirs ? De l’autre côté, la terreur admise: le Klan. Dépeint comme une bande d’arriérés qui se prennent au sérieux, il a tout de même la force de rassembler ses congénères frustrés et bénéficie de puissants soutiens au coeur des officines politiques et judiciaires du pays. Chacun est persuadé d’avoir raison, du moins ses raisons, mais les uns n’existent pas sans les autres et, avec subtilité, Spike Lee nos invite à nous demander si l’existence d’une conscience noire ne serait pas exclusivement le produit d’une réaction envers le dominant Blanc, plutôt qu’une identité propre et absolument intrinsèque. Réunions et meetings des étudiants Noirs vs rencontres et rassemblements secrets du KKK, le film n’a en fait aucune couleur et chacune des parties est libre de prendre le sien.
Une question américaine actuelle
BlaKkKlansman permet d’entrer en immersion dans l’histoire de la construction des Etats-Unis d’Amérique. De la déportation et la mise en esclavage à la lutte pour les droits civiques, la domination des Blancs sur les Noirs et plus tard leur opposition, est l’essence même de la construction de cette nation. La sur-médiatisation des crimes de jeunes hommes noirs par des policiers blancs qui ont affolé la toile ces dernières années sont la somme de toute cette haine, qui est présente des deux côtés de la population. Porté par le film, on en oublie que l’histoire se déroule il y a près de cinquante ans, tant les choses semblent similaires aujourd’hui. On se replonge dans ces combats qui n’ont aboutit qu’à renforcer l’espoir d’un côté et la fureur de l’autre. Mention spéciale à Corey Hawkins qui campe parfaitement un Stokely Carmichael aka Kwame Ture, éloquent prêcheur comme il le fut. Avec le talent qu’on lui connaît, le réalisateur de Malcolm X fait un parallèle avec ces événements tragiques qui ont rythmé l’actualité, sous l’égide de l’actuel président américain. D’attentats en sit-in, les pertes se comptent dans les deux camps et finalement, personne ne gagne à ce jeu pervers. Toutefois, bien qu’il s’agisse-là d’une partie importante du message de ce film, la question sous-jacente après ce lourd bilan serait plutôt de savoir si remettre en question cette suprématie blanche, établie en fait et en droit, est un combat réaliste et sensé. A cela, vous pourrez vous faire votre propre opinion.
Découvrez comment un policier noir a réussi à infiltrer la plus anti-Noir des institutions, en salles le 22 août prochain.