Connaissez-vous le Native Land Act du 19 juin 1913, cette loi du Parlement sud-africain qui visait à réglementer l’acquisition de terres par les populations autochtones ? Il s’agit de la première loi d’une série d’autre qui façonneront l’Apartheid.
Le Native Land Act de 1913 (rebaptisée Bantu Land Act, Black Land Act ou encore loi n° 27 de 1913) fut la première disposition légale majeure visant à la partition ethnique prise par l’Union sud-africaine [1]. Cette loi, adoptée par le Parlement de l’Union entra en vigueur le 9 juin 1913. A travers elle, il s’agissait pour le gouvernement colonial d’agir afin de prendre des dispositions supplémentaires quant à l’achat et à la location de terres par des autochtones et d’autres personnes dans plusieurs parties de l’Union et à d’autres fins concernant la propriété et l’occupation de terres par des autochtones et d’autres personnes.
C’était une loi discriminatoire et visait le contrôle blanc des terres. La loi prévoyait par exemple que seuls 7% environ des terres arables fussent consacrées aux Africains et que les les terres les plus fertiles fussent laissées aux Blancs. Cette loi incorpora ainsi, et de manière claire, une ségrégation raciale et territoriale dans la législation pour la première fois depuis la création de l’Union en 1910 [2].
Avec le Native Land Act furent mis en place des réserves pour les Noirs, ainsi que l’interdiction de vendre des terres se situant dans des zones blanches aux Noirs et vice versa. Une annexe désignait le territoire initialement attribué aux Noirs, avec une disposition selon laquelle une commission devait mener une enquête plus approfondie pour une délimitation plus « conforme à la réalité ».
En effet, plus de 80% des terres allèrent aux Blancs, qui ne constituaient même pas 20% de la population. La loi disposait de plus que les Noirs ne pouvaient vivre en dehors des réserves à la seule condition qu’ils puissent prouver qu’ils avaient un emploi. Malgré le fait que le Native Land Act était applicable à l’ensemble du pays, la loi ne s’appliqua en pratique qu’au Transvaal et au Natal. Dans l’Etat libre d’Orange, une telle législation était déjà en vigueur depuis 1876. Dans cette ancienne république boer du 19ème siècle, l’une des quatre anciennes provinces d’Afrique du Sud, une loi interdisant aux Noirs de posséder des biens au Cap aurait été en conflit avec la constitution de l’Union sud-africaine.
Selon les débats au Parlement, la loi fut adoptée afin de limiter les tensions raciales entre colons Blancs et autochtones Noirs, mais son but semblait clairement de répondre aux demandes des fermiers Blancs pour plus de terres agricoles et leur volonté de forcer les Noirs à travailler comme ouvriers pour eux.
Toutefois, l’histoire du vol des terres par les puissances coloniales blanches ne débuta pas avec l’adoption du Native Land Act de 1913. Elle remonte en fait à l’expansion coloniale hollandaise au Cap. Cette dépossession de terres et de bétail entraîna des guerres contre les Khoikhoi, les San, les Xhosa, les Zulu et les Sotho et un certain nombre d’autres groupes ethniques. Du fait des conflits croissants avec les Africains, la question de la manière dont il fallait traiter avec les peuples africains se posa. C’est ce que le gouvernement colonial appelait la « question autochtone« .
Cette fameuse « Question autochtone » fut vaguement définie dans la Conférence Intercolonial de 1903 comme :
« embrassant le statut actuel et futur de tous les aborigènes d’Afrique du Sud, et la relation dans laquelle ils se tiennent vis-à-vis de la population européenne ». [3]
Alors que la première phase de la dépossession des terres a commencé avec l’annexion et la division du territoire, au fil du temps, des proclamations furent faites et des lois iniques furent promulguées tant par les Afrikaners que par les Britanniques dans le but explicite de déloger les Africains de leurs terres tout en consolidant les zones de colonisation blanche.
Ainsi, au moment de la promulgation du Native Land Act de 1913, l’Afrique du Sud s’orientait déjà depuis un moment vers la ségrégation spatiale par la dépossession des terres (notamment via la loi Glen Grey adoptée en 1894).
Au final, le Native Land Act fut la première étape pour tracer une ligne permanente entre Blancs et Non-blancs. En fait, cette loi foncière devint la pierre angulaire dans la construction d’une Afrique du Sud racialement et spatialement divisée. Des lois additionnelles vinrent renforcer la dépossession et la ségrégation des terres en Afrique du Sud, comme :
- L’Urban Areas Act (1923) qui disposait que les zones urbaines d’Afrique du Sud étaient «blanches» et que tous les hommes noirs des villes et des villages devaient porter des laissé-passer en tout temps. Toute personne trouvée sans pass étaient immédiatement arrêtée et envoyée dans une zone rurale.
- Le Natives and Land Trust Act (1936) puis Bantu Trust and Land Act, ou Development Trust and Land Act, loi réorganisant les structures agricoles du pays au profit de la minorité blanche.
- Le Group Areas Act (1950) qui attribuait les groupes raciaux à différentes sections résidentielles et commerciales dans les zones urbaines dans un système d’apartheid urbain.
L’impact du Native Land sur les terres autochtones (ainsi que d’autres législations qui suivirent) était encore évident dans l’après-Apartheid en Afrique du Sud et encore de nos jours. Une proportion importante de terres reste la propriété des fermiers blancs. Cependant, la redistribution des terres par l’intermédiaire d’un acheteur consentant, une politique de vente volontaire et les revendications territoriales sont toutes des tentatives pour faire face à un héritage de dépossession systématique des terres appartenant au Africains.
https://nofi.fr/2016/03/afrique-sud-25-ans-apres-lapartheid-letat-de-population/27728
Notes et références
[1] « Natives Land Act, Act No 27 of 1913« , sahistory.org.za
[2] « 19 juin 1913 : première loi d’apartheid en Afrique du Sud« , franceculture.fr, publié le 9 août 2013
[3] « Native Life in South Africa« , ethos.colgate.edu, publié le 6 février 2017