Leone Jacovacci, un boxeur afro-italien face à Mussolini

Leone Jacovacci (1902-1983) est un boxeur italo-congolais dont le succès sur le ring a beaucoup embarrassé Mussolini et l’Italie fasciste.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.media

Droit du sol et race en Italie

En juin 2018, un vif échange sur les réseaux sociaux se produisait entre le Premier Ministre Italien Matteo Salvini et son compatriote, le footballeur d’origine ghanéenne Mario Balotelli. A cette occasion, l’ancien attaquant de Manchester City se félicitait du fait que quelqu’un comme lui, originaire d’Afrique, puisse aujourd’hui être capitaine de l’équipe nationale italienne, espérant que cela puisse permettre à l’Italie de faciliter l’intégration de nouveaux migrants originaires de l’autre côté de la Méditerranée. Il  regrettait aussi avoir du attendre ses 18 ans pour obtenir la nationalité italienne, bien qu’il soit né et qu’il n’ait vécu qu’en Italie.

Les commentaires de Balotelli ont entraîné une réponse du co-Premier Ministre italien d’extrême droite Matteo Salvini. Salvini a notamment répondu qu’appliquer le droit du sol, qui verrait une attribution immédiate de la nationalité italienne à chaque enfant né sur le sol italien, n’était ni sa priorité, ni celle des Italiens.

La croyance des Italiens dans le droit du sol, même dans le cadre d’un métissage afro-italien, est un phénomène ancien dans l’histoire du pays. Un cas l’illustrant est celui de Leone Jacovacci, un boxeur de la première moitié du vingtième siècle.

Leone Jacovacci

Leone Jacovacci affronta et battit le Milanais Mario Bosisio en 1928. A cette occasion, le célèbre journaliste italien Adolfo Cotronei, bien que critiquant Leone Jacovacci pour sa ‘race noire’ et car ‘trop éloigné de [l’] esprit latin’, il se voyait obligé d’accompagner ces propos en insistant sur l’italianité incontestable du boxeur, comme si celle-ci relevait du politiquement correct, même durant la période de l’Italie fasciste.

Leone Jacovacci
Leone Jacovacci enfant (Source : Mauro Valeri, Il Nero di Roma))

 

Né en 1902 en République Démocratique du Congo d’un père italien ingénieur et d’une mère congolaise, Leone Jacovacci grandit en Italie. Il quitte toutefois cette dernière à l’âge de 16 ans en raison de la discrimination raciale dont il était victime en dépit de l’ ‘italianité’ qui lui était reconnue. Il migre en Angleterre où il va même jusqu’à se faire passer pour un Indien pour travailler . Il s’enrôle dans l’armée locale avant de se lancer dans la boxe, sport qu’il exerce aussi en France.

Leone Jacovacci
Source : Mauro Valeri, ‘Il Nero di Roma’

Fort de cette nouvelle compétence, il décide ensuite de reconquérir avec ses poings le coeur de son pays, l’Italie. Il s’y réinstalle en 1922. Populaire auprès du peuple, il l’est moins auprès des autorités du régime fasciste. La preuve, la nationalité italienne, qui aurait du lui être attribuée immédiatement en vertu de la loi du sol, ne l’est que quatre ans après. Les deux combats qui allaient opposer Leone Jacovacci à son compatriote Mario Bosisio, apprécié par Mussolini allaient aussi l’illustrer.

Lors du premier combat entre les deux hommes qui a lieu, Leone Jacovacci domine. Pour des raisons fumeuses, la victoire est ensuite transformée en match nul.Lors du combat revanche pour les titres de champion d’Italie et d’Europe qui a lieu en 1928, Leone Jacovacci s’impose une nouvelle fois. Cette fois-ci, la victoire lui est attribuée.

Leone Jacovacci
Mario Bosisio et Leone Jacovacci

 

Mais la victoire est amère. Dans L’Istituto Luce, l’équivalent de l’INA français, aucune vidéo du combat n’est disponible: elle a été censurée. Dans la presse, comme on l’a vu, les journalistes restent silencieux ou déplorent ouvertement la race du vainqueur. Cette censure est accompagnée d’une ostracisation du boxeur par le régime fasciste. Malgré sept années supplémentaires dans le sport, un titre de champion d’Europe regagné et même une incursion dans le catch, Leone Jacovacci sera effacé de la mémoire officielle du sport et de l’histoire italiens.

Leone Jacovacci

Il quitte ensuite l’Italie en espérant rejoindre l’Angleterre, mais son trajet est interrompu en France par l’invasion et l’occupation allemande en 1940. Il épouse Berthe, une Française de confession juive avec laquelle il a une fille. Durant l’Occupation, Jacovacci et son épouse parviennent à éviter la déportation de cette dernière et de leur fille en cachant leurs origines. A la même époque, en Italie, la nationalité italienne est enlevée aux métis. L’ordre n’y reviendra qu’après la guerre, tout  comme Leone Jacovacci.

Désormais  dans l’oubli, Jacovacci vit encore de longues années avant de mourir  en 1983 à l’âge de 81 ans après avoir occupé un poste de concierge.

Leone Jacovacci

C’est donc dans l’obscurité d’un livre d’histoire vierge que le sociologue italien Mauro Valeri  et le cinéaste Tony Saccuci ont reconstruit la trajectoire d’un sportif qui avait, près d’un siècle avant Balotelli, convaincu ses compatriotes que la vie humaine était régie, derrière la couleur de peau, par la même loi du sang.

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