Haïti, le prix de la liberté

Quel est le prix de la liberté à Haïti ? Le niveau de pauvreté en Haïti est généralement considéré comme le plus inquiétant de l’hémisphère occidental. Comment la première république Noire de l’époque moderne a-t-elle pu en arriver là ? L’enjeu de cet article est de proposer quelques clés de compréhension et pistes de réflexion sur cette question complexe.

Bien avant que la plus grande catastrophe naturelle de l’histoire d’Haïti n’ébranle Port-au-Prince dans l’après-midi du 12 janvier 2010, cette nation caribéenne de 10 millions de personnes, était l’un des pays les plus pauvres du monde et le plus pauvre des Amériques. La pauvreté en Haïti affecte ses citoyens dans de nombreux aspects de la vie quotidienne, dont :

  • le logement,
  • la nutrition,
  • l’éducation,
  • les soins de santé,
  • les taux de mortalité infantile,
  • l’environnement.

Les maux qui frappent celle que l’on appelait durant la tragique période coloniale française, la « perle des Antilles » poussent quotidiennement des millions de courageux haïtiens dans une dépendance regrettable, vis-à-vis de l’aide alimentaire internationale. toprens (Port-au-Prince pour les francophone),  jadis, fière capitale est désormais envahie par des bidonvilles construits par des travailleurs agricoles sans emploi, ayant émigré en ville à la recherche d’un travail leur permettant de nourrir leur famille. Cependant, cette dégradation progressive vient tout d’abord de l’héritage historique d’Haïti.

De la domination des militaires sur l’état haïtien

L’abolition de l’esclavage de Saint-Domingue en 1793 est le fruit de l’armement massif des esclaves dans le cadre de conflits entre blancs et libres de couleurs, républicains et royalistes, Français, Britanniques et Espagnols. Peu à peu, les militaires vont prendre complètement le pouvoir, se débarrassant des administrateurs civils. En 1796, Toussaint Louverture, un ancien esclave affranchi, lui-même devenu propriétaire d’esclaves, devenu général de la République, prend le pouvoir dans le Nord de Saint-Domingue. En 1800, il se débarrasse de son rival le général mulâtre André Rigaud qui contrôlait le Sud. Toussaint Louverture met en place un pouvoir autoritaire et veut maintenir les anciens esclaves sur leurs anciennes plantations. Il étouffe des révoltes de cultivateurs, grâce à son armée. C’est le caporalisme agraire.

Image extraite du documentaire « Toussaint Louverture and the Levite Revolution« .

Napoléon Bonaparte refusant un général rival noir, envoie une expédition contre Toussaint Louverture, qui dirige alors une colonie quasiment autonome de la France ; Toussaint Louverture est battu et déporté en France, où il meurt en avril 1803, au fort de Joux. Abandonné par ses lieutenants Christophe et Dessalines, ces derniers craignant le rétablissement de l’esclavage et la déportation de tous les soldats de couleur, entrent en révolté contre le corps expéditionnaire commandé par le beau-frère de Napoléon Bonaparte. Ils s’allient avec Pétion, officier mulâtre, second de Rigaud. Profitent des ravages de la fièvre jaune qui ravage le corps expéditionnaire, puis de la reprise de la guerre avec la Grande-Bretagne, Dessalines proclame l’indépendance d’Haïti, le 1er janvier 1804. L’année suivante, à l’instar de Napoléon, il devient empereur. Haïti va alors longtemps être dominé par des militaires, les coups d’état succèdent aux coups d’états. Dessalines, premier chef d’état haïtien est assassinée en 1806.

Suite à la Révolution Haïtienne, l’Empire fut proclamé avant que Haïti ne soit divisée deux entités politiquement opposées :

  • l’Etat d’Haïti pro-mulâtre dirigé par Alexandre Pétion, dans le Sud,
  • le Royaume d’Haïti pro-Noir, gouverné par le Roi Henry Ier, dans le Nord.

Par la suite, entre 1821 et 1844, toute l’île d’Hispanola fut unifiée sous le gouvernement de Jean-Pierre Boyer, avant la perte de la partie espagnole de l’île sous le président Charles Rivière-Hérard. Entre 1849 et 1859, Haïti connaîtra une seconde période impériale sous le règne de Faustin Ier.

Statue de Toussaint Louverture par le sculpteur Ousmane Sow

De l’humiliation des nations occidentales et ses conséquences

La culture et l’histoire de ce territoire sont indéniablement riches et inspirent aujourd’hui plus que jamais tout ceux qui sont épris de Justice, d’Egalité et de Liberté. A l’époque de l’inique domination française, au 16° siècle, Haïti, alors St-Domingue était la colonie la plus florissante et prospère du « Nouveau Monde« . Elle représentait plus du quart de l’économie française.

Près d’un quart des importations françaises. Attention à cette époque le commerce n’est que 10% du PIB, donc il faut nuancer 25% de 10%, c’est 2,5% mais c’est l’élément dynamique de l’économique qui est à 80% agricole.

Après la Révolution haïtienne, la première révolte d’esclaves réussie du monde moderne, qui pulvérisa l’armée napoléonienne en 1803, Haïti devient le premier état décolonisé gouverné par des Noirs et le premier pays des Amériques à abolir l’esclavage, amorçant ainsi une série d’abolitions qui s’achève au Brésil, en 1888.

Il est parfaitement compréhensible que pour la France, perdre une telle manne économique, capituler et négocier l’évacuation de l’île sous 10 jours avec ses esclaves d’hier, a constitué une véritable humiliation. D’autant qu’après la fuite des Français de l’île, dans les premiers mois de l’année 1804, Jean-Jacques Dessalines ordonna rapidement le massacre de la population blanche restante. À partir du mois d’avril 1804, 3 000 à 5 000 personnes furent tuées et les Haïtiens blancs furent pratiquement exterminés.

Ayiti était certes devenue libre, mais elle fut très vite isolée. Craignant l’influence de la révolution des esclaves, le président américain Thomas Jefferson refusa par exemple de reconnaître la République Noire, comme la plupart des nations européennes. Il faudra attendre 1825 pour que la France de Charles X « concède » alors même qu’elle était perdante, l’indépendance à Haïti. Cette concession ne se fera pas sans que le nouvel Etat Noir ne se déleste de la « modique » somme de 150 millions de francs or (environ 17 milliard d’euros) afin de « dédommager les anciens colons ».  Cette somme est fondée sur la valeur des propriétés foncières et non sur celle des esclaves comme l’indemnité de 1849. Il faut noter que Charles X veut effacer l’héritage de la Révolution française qui a aboli l’esclavage en 1794 et confisqué les biens de tous les nobles émigrés et tous les biens du clergé. Il obtient un milliard pour les émigrés. Cette décision provoquera l’opposition des libéraux et des républicains. L’indemnité de Saint-Domingue s’inscrit dans la politique ultra-royaliste de Charles X.

En 1838 cette « dette » sera baissée à 90 millions et entièrement remboursée en 1883. Cette période est, certes peu connue des foules, puisque l’Education Nationale évite soigneusement de l’aborder. Alors que la dette est sur le point d’être entièrement payée, certains chefs d’état haïtiens vont faire des emprunts inconsidérés auprès de banques françaises (voir travaux de Gusti Gaillard).

Néanmoins, ces quelques éléments peuvent constituer un début de réponse non négligeable à la question que pose notre article.

De l’occupation militaire d’Haïti par les Etats-Unis

Dans les premières décennies du 20° siècle, Haïti traversa une importante crise politique et fut lourdement endettée envers la France, l’Allemagne et les Etats-Unis. Craignant une éventuelle intervention étrangère, le président Woodrow Wilson envoya des Marines américaines en Haïti en décembre 1914, peu après le déclenchement de la 1ère Guerre mondiale. Les américains retirèrent alors près de 500 000$ de la Banque nationale d’Haïti pour sa « bonne garde » à New York, donnant ainsi aux Etats-Unis le contrôle de la banque national haïtienne.

Ce chapitre de l’histoire des deux pays reflète la politique étrangère prédatrice du « pays de l’Oncle Sam » envers ses voisins d’Amérique centrale et de la Caraïbe. C’est ce que l’on appelait à l’époque, pudiquement la  « diplomatie de canonnière« , ou la « guerre de la banane« , au début du 20° siècle. Les Marines américaines resteront stationnées à Haïti jusqu’en 1934 (c’est-à-dire 19 ans). Et même si Franklin D. Roosevelt, président étasunien de l’époque, daigna finalement appliquer une « politique de bon voisinage« , les Etats-Unis contrôlaient tout de même l’économie de l’île et influenceraient exagérément les élections en Haïti jusque dans les années 1980.

La « Dynastie Duvalier »

Alors que le pays se remettait à peine d’une crise, en septembre 1957, le docteur François Duvalier fut élu président d’Haïti. Ce populiste et nationaliste noir, tristement connu sous le nom de «Papa Doc» sera initialement populaire. Cependant, les choses changeront vite tout au long de son mandat à vie qui s’acheva par sa mort en 1971.  Papa Doc est certes le président qui en fit le plus pour faire avancer les intérêts des Noirs dans le secteur public haïtien, où les Mulâtres avaient la prédominance et régnaient en élite urbaine éduquée. Il se maintiendra au pouvoir en usant d’une violence impitoyable à l’encontre des ses opposants. Pour ce faire, il mettra sur pied une milice de sinistre réputation du nom de « Tontons Macoutes ». Ces soldats sanguinaires maintiendront l’ordre en terrorisant la population et les contestataires. Les estimations les plus crédibles font état de 40 000 à 60 000 Haïtiens assassinés sous le règne de la « Dynastie Duvalier ». A la mort du père, c’est le fils qui lui succède jusqu’à ce que la plèbe haïtienne ne le détrône manu militari.

La « Dynastie Duvalier » laissera l’économie nationale exsangue. Le pays subira une fuite des cerveaux sans précédent. La période suivante ne fut guère meilleure. Il deviendra difficile pour le pays de se relever et de reconstruire des infrastructures performantes. L’investissement international fondit comme neige au soleil, en raison d’un environnement instable pour les affaires.

Aux points que nous avons soulevé, s’ajoutent multiples autres régimes corrompus, des catastrophes naturelles dévastatrices, de la pollution environnementale et le fléau du VIH. Toutefois, l’histoire de sa création par des militaires et l’affront qu’elle représente encore pour la pensée occidentale coloniale pèse lourdement dans l’embourbement de la situation.

 

Avec la participation de Frédéric Régent, président du Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’esclavage (CNMHE).

Notes et références

Philippe R. Girard ~ « Ces esclaves qui ont vaincu Napoléon: Toussaint Louverture et la guerre d’indépendance haïtienne »

Karen Fragala Smith ~ « Reasons behind Haiti’s poverty« , newsweek.com, publié le 15 janvier 2010

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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