Entretien avec Mc Janik, la force tranquille

Par Pascal Archimède. Considéré comme une figure historique des sound systems parisiens, Mc Janik évolue sur la scène reggae francophone depuis les années 90. Également connu pour ses collaborations musicales avec le Secteur Ä avec qui il est actuellement en tournée sur tout le territoire, Mc Janik nous a accordé cet entretien. Il nous fait part de ses débuts, de la place du reggae aujourd’hui dans l’industrie musicale et de l’ambiance qui règne dans les coulisses de la tournée nationale du Secteur Ä.

Comment en es-tu arrivé au reggae ?

J’y suis arrivé naturellement. A un moment donné, tu te retrouves à un âge où tu choisis la musique que tu veux écouter. J’avais 12 ans et pour mon anniversaire on m’avait offert un album de Bob Marley, « Rastaman vibration ». A partir de là, je me suis mis à collectionner ses albums et les autres de Bunny Wailers, tous les roots, tous les classiques du reggae international de l’époque. Puis la musique elle-même a changé, un nouveau style musical s’est développé au sein même du reggae. C’était l’époque où je commençais à sortir, à aller en soirée et cette nouvelle musique, milieu-fin des années 1980, tournait là-bas. Du coup on s’y est mis et c’est à cette période que j’ai commencé à chanter aussi. Sur le plan perso je peux dire que je suis vernis parce que ma passion m’a amené à découvrir d’autres endroits et juste ça, ce n’est pas donné à tout le monde. J’ai eu l’occasion de pouvoir m’exprimer et de trouver des gens qui ont reçu ma parole.

Comment cette passion s’est finalement professionnalisée ?

Au départ j’étais simplement un fan. Je n’avais jamais envisagé de devenir moi-même un artiste. A l’époque, les faces B sont arrivées, avec les instrumentaux faits pour qu’on puisse chanter dessus. Donc avec des copains de l’époque, on a commencé à écrire et à poser sur des instrus jamaïcaines. Puis on a commencé à toucher un peu à la programmation et c’est ce qui a été la genèse du mouvement ragga local, de la dancehall. J’ai commencé à chanter dans les soirées à Fort-de-France (Martinique), et cette musique m’a emmené un peu partout.

Tu es né en Guadeloupe pourtant, tu effectues ton parcours en Martinique. Pourquoi ?

Oui, mes parents sont martiniquais. Ils ont vécu en Guadeloupe et c’est là-bas qu’ils m’ont eu. J’y ai passé mes premières années jusqu’au collège, ensuite j’ai grandi entre Paris et la Martinique. Ensuite, je me suis stabilisé à Fort-de-France avant de faire l’essentiel de ma carrière à Paris.

Que représente le reggae pour toi ?

J’ai été interpellé au-delà du côté musical, par ce caractère, de cette couleur bien particulière. Je parle ici du reggae pur, qui a sa propre définition et sa propre essence. Par exemple, les gens peuvent me parler de reggaeton mais on ne peut pas dire que ce soit une musique originale. Le reggae est précis, c’en est ou ce n’en n’est pas. Dans cela, tu as les constituants du reggae. Cette musique est une potentialité, une puissance, une énergie positive. C’est une vibration positive qui se traduit par le mouvement rasta, les fréquences, les instruments, les effets carrément physiques qu’elle a sur la personne qui l’écoute. Du coup, lorsqu’on dit qu’on est dans le reggae, qu’on en fait, on se met d’un certaine manière dans la position du rebelle, du Neg marron. Le reggae est également une discipline : tu sais à quoi te rattacher, tu n’es pas dispersé. La rythmique elle-même renvoie à des sonorités anciennes, présentes depuis la création de l’univers. Donc automatiquement, au moment où on le reçoit, c’est en réponse à un système.

Dans quel contexte socio-politique te trouves-tu lorsque tu embrasses cette musique ?

Le reggae est une musique anti système ; d’où tout ce qui en découle comme le mouvement ragga muffin où on disait « burn babylone »* et en même temps, « on existe », « liberté ». Même si les revendications changent avec le temps, avec les époques, elles demeurent d’actualité, d’une manière ou d’une autre. Parce que pour l’instant on n’est pas encore dans un monde parfait. A partir de là, toutes les problématiques des Antilles, des Antillais, des Noirs à travers le globe ont évolué mais nous ne sommes pas encore sortis d’affaire. Avec la modernité, d’autres se sont rajoutées comme par exemple le réchauffement climatique, qui a comme conséquence les algues vertes en Bretagne ou les Sargasses aux Antilles. Il y a les problèmes globaux et puis les petits problèmes régionaux, qu’on ne va pas non plus négliger. Donc à l’époque où on commence à chanter, il y a cette nécessité d’avoir une musique comme le reggae, qui fait passer des messages qui ne sont pas simplement de la revendications mais proposent aussi des solutions qui ne soient bêtes et méchantes.

Y a-t-il un événement particulier qui t’as poussé à chanter ?

Le but c’était de faire de la musique tout en exprimant des choses, sans passer par le zouk ou le kompa, qui étaient les musiques dominantes. S’approprier une musique caribéenne qu’est le reggae, en tant qu’Antillais c’est normal ; après, ça ne m’intéressait pas de singer les jamaïcains. On ne voulait pas faire comme eux mais plutôt, utiliser une rythmique qui nous était familière et en faire avec nos mélodies, notre background, nos réalités locales, nos spécificités. Même si je ne veux pas mettre l’aspect social de côté, ne voir que cet aspect reviendrait à dire que tout le monde est légitime à faire du reggae parce qu’il fait du social dans sa musique. Je ne veux pas le réduire à ça mais le laisser dans sa dimension mystique.

Comment s’est faite la connexion avec le Secteur Ä ?

J’étais venu à paris pour les vacances. C’était à l’époque où je commençais à chanter plus ou moins aux Antilles ; j’avais déjà été en Jamaïque pour enregistrer mon premier album. Dans la capitale j’ai rencontré des gens qui travaillaient pour des maisons de disques dans un sound, avec qui j’ai signé des papiers par la suite. C’est à ce moment là que j’ai croisé Doc Gyneco dans les couloirs. Il m’a reconnu et interpellé puis m’a parlé du morceau « Né ici » qu’il sortait sur son premier album. Il m’a proposé de faire avec lui la version reggae. De là, j’ai rencontré Ärsenik, avec qui j’ai fait le son « Un monde parfait ». C’était vraiment une histoire de rencontres, parce qu’on était tous dans le même label à ce moment là. Ensuite j’ai rencontré tout le reste de l’équipe et surtout les gars de l’ombre, Kenzy, Jocelyn, Bouboule. On a sympathisé puis on a travaillé ensemble. Je me dis que d’une certaine manière, si tu fais un truc et que c’est vraiment ton truc, à un moment donné ça finit par se concrétiser.

Avec ton expérience, quel regard portes-tu sur le milieu de la musique ?

La musique n’est pas un long fleuve tranquille, c’est comme les petites ravines qu’il y a aux Antilles ; quand il pleut ça peut devenir un torrent mais quelques heures ou quelques jours plus tard c’est juste un petit filet. Parfois on est dans les petits filets, parfois on est dans les grands torrents mais quoiqu’il arrive, on est toujours dans le tempo.

Selon toi, pourquoi aujourd’hui le reggae est-il aussi peu présent sur les ondes ?

Je pense que le but du jeu est d’abord de donner aux gens ce qu’ils veulent. Peut-être qu’en ces temps, les gens n’ont pas envie d’entendre du reggae. C’est ce que je me dis parce qu’en France, tu te rends compte que les festivals de reggae attirent chacun entre 20 000 et 40 000 personnes minimum par jour, et ce même si ce n’est pas forcément visible sur le net ou en radio. Si on sort de l’hexagone, il a sa place. Aux Antilles, en Martinique par exemple, Saël a sorti un gros son reggae et ça tourne partout même en soirée. Une fois que les gens sont habitués à écouter du reggae, ils ne le lâchent pas. J’avoue qu’au niveau du business, ce n’est pas vraiment bankable. Même au niveau des grands médias. D’après ce qu’on m’a expliqué, les signatures concernent surtout les petits qui font de la musique urbaine, Trap, Hip-Hop. Leur concept est complètement différent du nôtre au niveau des textes, de la musique. C’est aussi une question de réseaux, de canaux de diffusion. C’est un circuit en fait. Ils n’ont donc pas besoin de quelqu’un qui fasse du reggae dans leur carte marine*.

Tu dis que les radios passent ce que le public demande et que les festivals de reggae ne désemplissent pas, cette « discrétion » n’est-elle donc pas illogique ?

Les gens qui vont dans les festivals sont des fans de reggae et je ne crois pas qu’ils attendent la radio pour en écouter. Ce n’est pas underground mais je ne sais pas si la musique qu’on chante n’est pas dans un monde parallèle par rapport à la tendance. Quand tu expliques aux gens qu’il n’y a pas que l’argent, quand mes amis rasta te parlent de I-Tal et que les gens en face parlent de « Vegan », quand dans le reggae tu dis « Yes i, mama Africa » et que les gens te disent « non, ça c’est la mondialisation » quand eux te parlent de Gucci ou je sais pas quoi…D’une manière ou d’une autre, pour la personne qui fait du business, je ne pense pas que ce qu’on chante fasse vraiment tourner la machine.

En tant que précurseur, as-tu endossé le rôle de « grand frère » en parrainant des jeunes qui voulaient se lancer dans la musique ?

Ohlala oui, tu sais, on est une usine à sons. Il y a mon pote Guy Al Mc qui fait des one riddim, ça s’appelle Reyel Riddim. Tu vas voir qu’à chaque fois t’as un petit dessus. Bon maintenant ils ont bien grandi (rires). Tu peux poser la question à Tiwony ou à Straika, il y’en a plein. Ces jours-ci on a un petit qui s’appelle Stikidiboom, il fait partie de nos juniors.

Tu es actuellement en tournée avec le Secteur Ä, comment les choses se passent ?

On est en plein dedans.. C’est cool parce que là il y a toute l’équipe, on est ensemble 24h/24h pour quelques jours et c’est déjà bien.

Quels sont tes prochains projets ?

Notre associée me disait qu’il fallait que j’appelle mon prochain album « Intemporel » (rires). En ce moment on est sur plusieurs choses en même temps. Ne serait-ce qu’avec le quotidien déjà, il y a pas mal de choses à faire. J’ai sorti le titre « 10ème love » avec l’artiste américaine Steph Pokets. Je pense que je vais sortir un ou deux singles, dont « Aucune autre », avec des potes. L’album arrive si dieu le veut, le septième, à priori il est bouclé, il ne me reste que quelques arrangements à faire. Et puis, il faut que je vous donne un bon clip, parce que je ne peux pas sortir un album comme il y a 10 ans. Si c’était comme dans le temps le projet serait déjà sur cassette (rires). Donc pas de date pour le moment mais restez à l’écoute !

 

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