Elvis Adidiema est un entrepreneur dans les médias. Diplômé en commerce et communication, il décide finalement d’embrasser une carrière dans les médias. Enfant d’Afrique, comme il aime à le revendiquer, il a le désir de faire la promotion de la culture du continent, particulièrement de la RDCongo, dont il est originaire. Comprenant que l’espace médiatique français est trop limité pour lui permettre d’imposer sa vision, il entame alors une aventure entrepreneuriale de taille. De la création de son média, Original TV, Elvis se retrouve catapulté rédacteur en chef de Trace tv, à seulement 27 ans pour en être aujourd’hui le directeur artistique. Poursuivant sa fulgurante ascension, il présente aujourd’hui son premier film, un documentaire sur l’artiste congolais Papa Wemba, décédé sur scène le 24 avril 2016. Entretien avec un initiateur de concepts de ambitieux.
Qu’est-ce qui te pousse à créer Original TV ?
J’ai décidé de créer ma propre structure parce que je voulais vraiment faire des choses qui touchent à mon pays d’origine, la République démocratique du Congo, que j’aime beaucoup. Je me suis demandé ce que je pouvais faire d’original, et c’est comme ça que j’ai commencé à tourner des vidéos que j’ai appelé « Original » justement. Ce nom est aussi un clin d’œil au morceau de l’artiste Fally Ipupa. L’idée c’était d’aller sur le terrain pour traiter de sujets socio-culturels et donner un autre visage de l’Afrique que celui qu’on lui connaît. Je pense que pour tous les enfants de la diaspora, c’est important de se rapprocher de nos racines et surtout de voir la réalité des choses sur place, de voir comment l’Afrique évolue, comment le Congo évolue. Je voulais pouvoir m’exprimer pleinement et l’Afrique m’est apparue la solution la plus judicieuse. Il y a énormément de possibilités là-bas, énormément de choses à faire, énormément de choses à montrer.
Dans quel état d’esprit étais-tu à ce moment-là ?
Je savais que ce serait beaucoup de sacrifices, qu’il serait difficile d’imposer le concept Original et de me faire remarquer. Dans ma tête, j’étais parti pour en baver pendant 2 ou 3 ans. Ma volonté était de faire quelque chose qui sorte de l’ordinaire et que les gens apprécient. Je n’avais pas forcément la prétention de penser que ce contenu serait acheté ou diffusé sur de grandes chaînes, mais plutôt de me constituer une carte de visite. Au fond de moi j’avais quand même la conviction que ça allait le faire. J’étais déterminé, j’avais vraiment cette fibre entrepreneuriale. En le faisant je me disais que j’investissais pour moi, pour mon avenir.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans ton aventure entrepreneuriale ?
Je pense que le réel soucis dans l’entrepreneuriat c’est l’équilibre, avec la famille, avec la personne qui partage ta vie. C’est difficile d’expliquer que tu es entrepreneur sans qu’il n’y ait de résultats en face. Dans ce cadre-là moi j’ai eu la chance d’être soutenu. Je me fixais des deadlines et je me disais que si ça ne fonctionnait pas au bout d’un certain temps, je ne m’entêterai pas. Je rappelais à mes proches combien leur soutien est important pour moi. Dès que je faisais une émission, je m’empressais de la leur montrer, comme un gage, un résultat de tous nos efforts. Même si ce n’était pas financier, c’était quelque chose de concret. Je ne leur ai jamais présenté quelque chose qui n’entraîne pas de retour positif et ne me permette pas de me projeter.
Des investisseurs ou partenaires t’ont-ils accompagné dans cette aventure ?
Ah ! D’investisseurs il n’y avait que moi et ma poche ! Toutes mes économies sont passées dans l’achat d’un appareil 5 D puis, j’ai commencé à bosser sur un projet de fin d’études. Par la suite, j’ai été rejoint par Julien, un ami d’enfance. Il y a cru et il m’a accompagné partout, dans tous mes voyages. C’est une personne qui a une âme d’aventurier, un peu comme moi et sa présence m’a permis d’avoir de l’aide sur les tournages.
As-tu reçu du soutien d’autres entrepreneurs de la diaspora ?
Oui. Lorsque j’ai réalisé ma première émission, j’ai reçu un coup de fil de Roger Musanji, directeur du média Œil d’Afrique. Il m’a d’abord félicité pour mon travail et m’a par la suite accompagné, avec son média. On a créé ce partenariat là assez naturellement et on est devenus de très bons amis. J’ai aussi reçu le soutien de plateformes digitales comme Négronews et Noir&Fier.
Lorsqu’on se lance dans ce type de projet, parfois ce n’est pas forcément d’argent qu’on a le plus besoin mais de personnes qui vous confirment que vous êtes sur la bonne voie, que vous ne perdez pas votre temps. C’est en partie grâce à ces personnes que je n’ai pas lâché, même si j’avoue que sur la fin, je songeais vraiment à tout arrêter parce que ça devenait trop lourd en termes de ressources. Le destin a fait que Trace m’appelle à ce moment-là et que les choses changent radicalement pour moi.
Avant de lancer Original, quels rapports entretenais-tu avec le Congo ?
J’y avais déjà été 4 ou 5 fois avec ma famille. J’avais quelques expériences positives du pays, hormis une, en 1998, où un conflit commençait avec le Rwanda. L’armée française nous avait évacués par avion militaire vers Brazzaville. J’ai vécu pas mal de choses, des bonnes, des mauvaises mais mon attachement est resté le même et depuis peu, j’y vais assez souvent, 3 à 4 fois par an.
Pourquoi avoir pris le parti d’être un média apolitique ?
L’idée n’était pas d’être apolitique mais de me concentrer sur des problématiques qui ne sont pas politiques. Je ne voulais pas être tout le temps dans les mêmes débats. Dans notre communauté, on est toujours dans ces discussions. Je voulais en sortir pour montrer qu’il y a d’autres choses et essayer d’apaiser les esprits, en cette période où le Congo connaît pas mal de troubles.
Pour l’anecdote, le dernier Original que j’ai fait et qui n’est jamais sorti était très politique. J’y ai fait un état des lieux de la situation au pays pour voir comment la jeunesse réagit à tout ce qui se passe entre le pouvoir et l’opposition. Pour ce numéro j’avais interviewé des acteurs politiques comme Lambert Mende, des opposants, des journalistes engagés, des jeunes engagés aussi comme Kyzer Philippe. Sans parti pris, en laissant les téléspectateurs se faire leur opinion. Entre-temps j’ai été recruté et j’ai estimé que ce n’était pas forcément opportun de le faire, étant donné que mon statut avait changé. Peut-être qu’un jour je le sortirai, je n’ai pas spécialement leur de me mouiller sur le sujet car ça reste du travail journalistique.
Original, met beaucoup en avant les artistes congolais. Avais-tu déjà des contacts dans ce milieu ?
Je connaissais les artistes parce que j’écoute énormément la musique du Congo. J’ai grandi avec et c’est ma musique préférée. Mais je n’avais pas de contact direct avec eux. J’y ai été au culot, en commençant par l’artiste-comédien congolais Saï-Saï. J’ai débarqué à Kinshasa et c’est sur place que j’ai cherché son numéro. Finalement, il m’a accueilli pour une interview.
Je me suis rendu compte que ce sont des personnes comme nous, qui sont à l’écoute et peuvent être intéressées par n’importe quel projet qui leur semble solide et cohérent. C’est quelque chose d’assez incroyable de devenir proche de personnes que tu considérais comme inatteignables. Aujourd’hui, j’ai d’excellentes relations avec Koffi Olomide, Fally Ipupa, Ferre Gola, Singuila ou Dadju, qui est un très bon ami. C’est une fierté de pouvoir me dire que j’ai réussi à me constituer un réseau par mes propres moyens et c’est une grande richesse car le réseau c’est ce qu’il y a de plus important pour avancer dans la vie.
A-t-il été difficile pour toi de travailler sur ce terrain que tu ne maîtrises pas ?
Le Congo est vraiment un pays à part. Lorsqu’on arrive sur place, si on n’a pas les automatismes, on peut vite se décourager ou prendre peur. Je me suis retrouvé dans des situations où la police menaçait de me jeter en prison. Même quand tu as une autorisation de tournage, tu peux quand même être confronté à des tracasseries. Si tu veux filmer en public, c’est toujours problématique. Une fois, je devais filmer le coach des Léopards, Florent Ibengue, pendant un entraînement. Arrivé au stade Tata Raphaël, j’ai été pris à partie par des gens qui m’ont enfermé dans une espèce de cave, éclairée à la bougie. Ils m’ont posé un tas de questions et faisaient tout pour saboter mon interview ou obtenir quelque chose en contrepartie.
Dans ces situations il faut vraiment garder son sang-froid, savoir où tu es, connaître le contexte général et ne pas prendre peur ou t’énerver. C’est ce que j’ai toujours fait et de cette façon je n’ai jamais réellement eu de problèmes. J’ai réussi à comprendre les gens autour de moi et à leur faire comprendre que je suis aussi un enfant du pays, même si je viens de France, et que tout ce que je fais va dans le sens de valoriser le pays. Je pense que leur crainte c’est d’avoir des images qui truquent la vérité et ne présentent que les aspects négatifs. Alors qu’on sait que l’Afrique est en plein développement et que même si la République démocratique du Congo est encore un pays sous-développé, on a de belles choses à montrer au reste du monde.
Avais-tu tenté une carrière dans les médias classiques français ?
A l’époque, j’avais postulé chez BFM et les autres grosses chaînes d’information et je n’ai jamais reçu de réponse (rires). Ni positive ni négative, rien. J’ai tout de suite compris qu’il serait très difficile de s’insérer dans ce milieu, surtout si tu n’as pas de contact, personne pour te pistonner. Je pense que notre génération se rend de plus en plus compte qu’il y a beaucoup de difficultés à s’imposer sur le marché professionnel en France. En particulier dans le milieu du journalisme où tirer son épingle du jeu est assez compliqué. Il n’y a pas vraiment de stabilité, on est toujours dans des histoires de piges ; ce n’était pas ce que je voulais. Donc je n’étais pas fataliste, juste réaliste. J’étais sûr que travailler comme ça, en tant qu’entrepreneur, commencer les choses moi-même, ne pouvait que me donner de la crédibilité pour un jour être repéré par une chaîne. Ça été le cas avec Trace plus tard.
Dans quelles circonstances te retrouves-tu rédacteur en chef chez Trace tv ?
C’est du hasard total. En faisant mes capsules, j’ai été repéré puis contacté par quelqu’un qui souhaitait créer une application qui devait être rachetée par Trace sur le court terme. C’est comme ça qu’un jour j’ai croisé Olivier Laouchez, PDG de Trace, avec qui j’ai discuté de sujets qui me touchent comme l’Afrique, la jeunesse, l’entrepreneuriat. Il m’a ensuite fait passer plusieurs entretiens. Comme il était à la recherche d’un rédacteur en chef, il m’a proposé le poste. Tout le travail que j’ai réalisé avant a joué un grand rôle dans ce recrutement. Je ne m’étais jamais imaginé travailler pour un grand média aussi rapidement. C’était une opportunité que je ne pouvais pas refuser. Avoir une chaîne comme Trace qui m’offre la possibilité de devenir rédacteur en chef à moins de 30 ans, c’est quelque chose qu’il faut vivre.
Qu’est-ce qui a été le moins évident dans ce changement de statut ?
Le plus compliqué ça été le management. On ne naît pas manager, on le devient. Ça été le premier choc, d’avoir des gens au-dessous de moi, qui pour la plupart ont le même âge que moi. Ça m’a perturbé au début mais il a fallu se mettre au diapason rapidement et montrer que j’étais là pour faire changer les choses, apporter quelque chose de nouveau.
Dirais-tu que c’est un aboutissement ?
Oui c’est un aboutissement quelque part, mais je suis un éternel insatisfait donc je vise toujours plus haut. Même si je n’ai pas encore une idée claire de ce que je veux faire, je sais en tout cas que je veux aller plus loin. J’aimerais pouvoir continuer la mission principale que je me suis donnée lorsque j’ai créé Original, à savoir, faire rayonner la culture africaine dans le monde et sensibiliser les jeunes de la diaspora sur l’Afrique, avec Trace ou non. En tout cas, c’est une très belle expérience, ça m’a énormément forgé, j’apprends énormément. Trace est plus qu’une chaîne, c’est une institution. Lorsqu’on est en Afrique, on se rend compte que c’est l’un des médias les plus regardés et donc de la responsabilité qu’on a quant aux contenus qu’on diffuse. Nous avons un impact énorme sur la jeunesse africaine. Récemment, on a eu un entretien exclusif du président Emmanuel Macron lors de sa tournée africaine, ça prouve l’importance de Trace sur le continent et c’est une chose dont je suis vraiment fier.
Tu présentes aujourd’hui ton premier film, un documentaire sur l’artiste Papa Wemba. Comment le public l’a-t-il reçu ?
L’accueil a été surréaliste. C’est mon premier film et c’est avec une grande émotion que je l’ai présenté à un public averti, car le public congolais est très exigeant donc il y a toujours un peu d’appréhension. Ça s’est très bien passé et ça me tenait à cœur. Dès le décès de Papa Wemba il y a eu une véritable onde de choc et je me suis rendu compte du caractère intergénérationnel de cet artiste, qui a autant touché mes grands-parents que mes parents et moi-même. J’espère qu’il touchera aussi les générations à venir.
Pour moi c’était logique de faire ce film sur lui. Je l’ai fait avec grand plaisir. C’est l’histoire de ma vie, le film de ma vie. J’ai eu la chance de recueillir une trentaine d’interviews dont beaucoup d’exclusivités, notamment de sa veuve Mama Amazone et d’autres artistes de renom comme Koffi Olomide, qui est l’une des découvertes de Papa Wemba. C’était une aventure exceptionnelle entre émotion, musique et relations humaines. C’est quelque chose que je n’oublierais jamais.
Comment t’es venue l’idée de ce documentaire ?
C’est un projet que j’ai démarré à l’époque où je venais d’arriver chez Trace. On était quelques mois après son décès, qui m’avait beaucoup affecté. J’avais proposé cette idée et on me l’a accordée. C’est un artiste énorme qui a fait un apport considérable à la musique congolaise, à la musique africaine, à la world music. C’est aussi un personnage qui était haut en couleurs, il y avait vraiment quelque chose à faire en termes de story telling, d’anecdotes, d’intervenants qui l’ont côtoyé. Cela prouve à quel point Papa Wemba était personnage central et aimé.
Pourquoi as-tu choisi de le montrer d’abord au Congo, et particulièrement au Congo Brazzaville ?
D’abord, par respect pour la famille Papa Wemba, parce que sa veuve et ses filles sont au Congo. Il me semblait logique que la famille voie le film en premier. On a choisi de commencer par Brazzaville par ce que cette capitale est souvent défavorisée par rapport à sa sœur de l’autre rive donc on voulait essayer de rétablir l’équilibre.
Quels conseils donnerais-tu à un jeune qui aspire à s’établir dans les médias comme toi?
Je veux d’abord remercier chaleureusement ceux et celles qui suivent mon parcours avec admiration. Ensuite, je dirais que c’est beaucoup de boulot, il faut s’accrocher et ne rien lâcher. Quand on est Noir et qu’on vit en France, on rencontre toujours plus d’obstacles. Il faut que les jeunes issus de la diaspora en soient conscients, qu’ils acceptent que ça restera comme ça et qu’ils commencent à envisager l’Afrique. Qu’ils réalisent que le fait d’avoir cette double-culture sera un avantage, tôt ou tard. Aujourd’hui, c’est grâce à ça que je suis sur le devant de la scène ; c’est aussi ce qui m’a permis de présenter un film au Congo. Il faut être patient et savoir s’en servir à bon escient. Il ne faut pas hésiter à revendiquer nos racines africaines et à travailler pour l’Afrique, en Afrique s’il le faut. Comme on le dit souvent, même si c’est un cliché, l’Afrique est le futur.
Le film documentaire « L’histoire de Papa Wemba » a été projeté en avant-première à Brazzaville le 23 avril et à Kinshasa le 25 avril. Il est disponible sur la chaîne trace Kitoko depuis le 24 avril, date anniversaire de la mort de Papa Wemba. Découvrez-le sur France Ô mardi 1er mai à 22h50 et sur TV5 à partir du mois de juin.