Les chefs coutumiers Akan Ivoiriens prêts à accueillir leurs cousins, les Boni de Guyane

Par Harding M’Bra, envoyé spécial à Yamoussoukro« À bras ouverts », les chefs coutumiers Akan Ivoiriens attendent leurs cousins, les Boni de Guyane, descendants d’esclaves africains.

Il y a 24 ans, par l’entremise du journaliste ivoirien de Martinique Serge Bilé, les premiers contacts se sont établis entre les Ivoiriens et les Boni de Guyane, descendants d’esclaves Akan de Côte d’Ivoire. A l’occasion de la sortie de son dernier livre, « Boni », le journaliste-écrivain a entretenu les chefs coutumiers Akan sur l’histoire de ces parents lointains au cours des célébrations de « Paquinou du Bélier » à Yamoussoukro (capitale politique ivoirienne), fête culturelle et folklorique de l’ethnie Baoulé (groupe Akan), détournée de la fête religieuse de Pâques.

Serge Bilé entretenant l’auditoire de Paquinou du Bélier sur l’histoire des Boni que relate son dernier livre, jeudi 29 mars 2018.

Depuis quelques années en Côte d’ivoire, la fête de Pâques n’a plus rien de religieux chez les Baoulé. Ce groupe ethnique issu du grand groupe Akan en a fait un moment de retrouvailles et de célébrations de sa culture et de son folklore. A l’occasion donc, tous les fils et filles Baoulé convergent vers leurs villages pour fêter « Paquinou » (qui signifie pendant la Pâques, en Baoulé). D’où Paquinou du Bélier, manifestation culturelle organisée par le Conseil de cette grande région du Centre ivoirien, terre des Baoulé comptant Yamoussoukro, la capitale politique ivoirienne. Jeudi 29 mars, il est un peu plus 15 heures passé. La chaleur qui a baissé d’intensité n’en demeure pas moins prégnante sur l’esplanade de la mairie de la ville. Dans ces chaudes conditions météo règne là sur cet espace une ambiance des plus animées : une dizaine de chapiteaux est dressée le long de l’asphalte ; sous ces tentes sont réparties autorités politiques et administratives, chefs traditionnels, rois : les autorités coutumières, et des forces vives de la population locale ; en face d’eux, le large espace de cette voie démesurée pavoisée de drapeaux nationaux est aussi occupé par des groupes d’artistes d’autres aires géographiques du pays et de la sous-région qui s’apprêtent bruyamment avant les parades et représentations devant les officiels. En attendant, se succèdent, au pupitre, divers animateurs folkloriques. C’est une ambiance de fanfare, pour tout dire…

Célébrations de Paquinou de Bélier 2018.

Sous le thème « Alliance séculaire Agni-Baoulé, quelles leçons pour la consolidation de la paix en Côte d’Ivoire ? » cette 6ème édition de Paquinou du Bélier interroge les traditions ancestrales sacrées qui unissent ces deux peuples Akan représentés là par leurs chefs coutumiers respectifs venus des différents villages et régions du pays. Bien plus, cette 6ème édition jette particulièrement un regard introspectif sur un pan de l’histoire commune à ces deux peuples : les Boni de Guyane, les descendants d’esclaves Baoulé et Agni dont l’histoire est exhumée et mise au grand jour par le journaliste-écrivain Serge Bilé dans son dernier livre éponyme, « Boni ».

Chefs coutumiers Akan aux festivités de Paquinou de Bélier.

Bien installés sous les chapiteaux, avec la noblesse et le flegme qui les caractérisent, les chefs coutumiers Agni et Baoulé, acteurs principaux de ce Paquinou du Bélier 2018, attendent d’écouter le témoignage de Serge Bilé, invité spécial du Premier ministre Jeannot Kouadio-Ahoussou, président du Conseil régional du Bélier.

Les premiers panafricanistes

Initialement prévue comme une   conférence en bonne et due forme, l’intervention du journaliste de Martinique 1ère face aux têtes couronnées se transforme par les aléas de l’organisation en un long speech, au pupitre. Qu’importe, le laïus du journaliste est bien rodé sur le sujet pour en délivrer le message essentiel. Toute ouïe est donc l’auditoire qui s’est élargi    considérablement sur l’esplanade de l’hôtel de ville jouxtant la célèbre et vaste place Jean-Paul 2 où était monté le « village » Paquinou, épicentre des festivités. Et Serge Bilé, qui s’est affranchi des exigences protocolaires, debout devant l’estrade officielle, micro en main, de relater succinctement l’histoire des Boni de Guyane. Les Boni, ces descendants d’esclaves africains qui doivent leur nom à leur premier chef, Boni, qui au 18ème siècle organisa la révolte des esclaves au Surinam (ex-Guyane hollandaise) et qui, dans le maquis, mena une féroce résistance aux esclavagistes avant de traverser le fleuve avec les siens pour recréer un mode de vie à l’africaine. Constitués d’Agni et Baoulé ivoiriens, de Togolais, de Ghanéens, de Dahoméens, de Congolais…, les Boni ont réussi à constituer une langue commune, le Taki-Taki, mélange des dialectes des uns et des autres, ce qui fait dire à l’auteur qu’ils sont les premiers panafricanistes à avoir existé.

Serge Bilé et les autorités ivoiriennes à Yamoussoukro lors de la fête de Paquinou de Bélier.

Avec éloquence, le journaliste-écrivain natif de la région d’Aboisso (sud ivoirien) expliquera les particularismes culturels (noms, us et coutumes) des Boni d’avec les Agni et Baoulé de Côte d’Ivoire et dont il remet en place les pièces du puzzle dans son dernier essai. « J’ai tressailli de joie à l’écoute de ce témoignage de Serge Bilé », a réagi plein d’enthousiasme Boni Oua Boni Noel alias Nanan Bédia II, 75 ans, chef du Canton des Agni Ahali de Tiémélékro dans le département de Bongouanou (centre-est ivoirien).

« Je me réjouis de ce que mes aïeux qui ont été déporté par la force des esclavagistes ont pu se retrouver autour de nos traditions ancestrales. C’est vraiment original, et rien que pour ça, je tiens absolument à avoir des attaches avec eux. Comme quoi, on ne perd jamais sa source quelque soit l’endroit où l‘on peut se retrouver ».

A sa droite, son congénère Nanan Allou du canton Assiè à Bongouanou, lui, retient la morale  panafricaniste de l’histoire :

« Aujourd’hui, on parle de plus en plus de panafricanisme sur notre continent. Les Boni nous montrent l’exemple. S’ils sont d’accords pour nous tendre la main, nous sommes également d’accord pour leur tendre nos mains voire même les accueillir à bras ouverts ! ».

Manifestement marqué par son homonyme avec les descendants d’esclaves en Guyane, le chef Boni Oua Boni brûle d’impatience de les rencontrer.

« J’ai hâte de les envoyer chez moi au village, les plonger dans nos traditions et échanger avec eux !» claironne l’ancien instituteur. « Les retombées ne seront pas qu’aux Agni et Baoulé mais à toute la Cote d’ivoire », ajoute Nanan Assiè, toujours dans sa logique d’unité.

 

Démarche de contrition et sacrifices expiatoires

De façon générale, ce qui marque les gardiens des traditions Baoulé et Agni rassemblés à cette cérémonie, c’est la faculté des Boni à avoir su garder ces us et coutumes Akan dans lesquels ils se retrouvent et qui renforce en eux le sentiment d’attaches communes d’avec les habitants des bords du fleuve Maroni. Nanan Kamonou Kouassi, membre du comité régional de la Chambre des rois et chefs traditionnels pour la région de l’Iffou dans le département d M’Bahiakro a une lecture spirituelle de la situation particulière des Boni issus de l’esclavage:

« Le hasard n’existe pas. Vous savez, les Baoulé croient beaucoup aux « Houmien » (les esprits). Ce sont les esprits qui nous parlent à travers nos frères les Boni de Guyane. Le fait qu’on réussisse à les retrouver aujourd’hui doit nous faire comprendre que nous avons un nécessaire besoin de contrition et de sacrifices expiatoires pour nous faire pardonner. Car s’ils se sont retrouvés loin de leur terre d’origine, c’est aussi à cause de nous qui avons participé à les vendre pendant le trafic de l’esclavage. Il faut donc des sacrifices pour solder ces comptes du passé et sanctifier ces retrouvailles », explique le chef de 68 ans, Maître d’hôtel et restaurateur à la retraite.

Homme de médias, ancien enseignant de Lettres, José Ayité valide aussi cette thèse du pardon et de l’exorcisme:

« Il faut nécessairement procéder à des cérémonies pour exorciser tout ce mal qui leur a été fait  afin qu’on se retrouve. Les liens, c’est à nous de les renforcer afin qu’ils s’habituent à venir ici à la source de leur culture, car c’est remarquable qu’ils aient conservé ces traditions et rites à travers des siècles », estime le sexagénaire qui a pris connaissance de l’histoire Boni 24 ans auparavant lorsque Serge Bilé promouvait leur première visite en Côte d’Ivoire via son documentaire à eux consacré.

Entre la chefferie Akan de Côte d’ivoire et ses « cousins » les Boni de Guyane, les bases des retrouvailles sont manifestement posées. La prochaine rencontre après celle historique de 1994 pourrait intervenir au mois d’octobre 2018, à l’occasion de la «  semaine des Boni » que compte organiser Serge Bilé. Le journaliste a profité en effet de cette cérémonie populaire pour annoncer son projet  – qui devrait être marqué par un concert, des expositions d’art plastique, et des échanges autour du livre qui retrace leur histoire, question, soutient—il ,de refaire la leçon aux nouvelles générations – comme Kouadio Kouamé, restaurateur à Yamoussoukro- qui ignorent encore cette histoire méconnue que révèle son dernier livre. Serge Bilé a, à l’occasion, lancé un appel au soutien des autorités politiques présentes dont l’accord de principe exprimé sur le projet reste à être traduit en actes. Ainsi, saluant unanimement en la personne du journaliste-écrivain, « un digne ambassadeur ivoirien auprès des Boni », le Premier ministre Jeannot Kouadio-Ahoussou, président du Conseil régional du Bélier, a passé à son invité spécial le message à transmettre aux Boni qu’ « on se retrouvera très bientôt ». « Nous les attendons, ils seront les bienvenus » a dit, pour sa part, Augustin Thiam, Gouverneur du District de Yamoussoukro, descendant du président Félix Houphouët-Boigny.

Par Harding M’Bra, envoyé spécial à Yamoussoukro.

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