Booker T. Washington, un homme d’influence

Booker T. Washington, enseignant, écrivain et militant pour la défense des droits des Noirs Américains; était considéré comme l’éducateur noir le plus influent du début du XXe siècle.

D’esclave à enseignant

Booker Taliaferro Washington est né esclave le 5 avril 1859 d’un père blanc et d’une mère noire, travaillant dans une ferme du Sud-ouest en Virginie. Il avait 9 ans, quand à la fin de la guerre de Sécession, il accéda à la liberté et fut affranchi. Dans son autobiographie, il explique que les enfants de son âge ont pu « accéder au paradis » et être enfin autorisés à s’instruire. Pour pouvoir bénéficier d’une instruction, les enfants de l’époque étaient prêts à de grands sacrifices. Ils travaillaient le jour et suivaient des cours du soir. Booker T.Washington raconte que pour se faire admettre à l’Institut Agricole de Hampton en Virginie, institut créé à l’intention des Noirs les plus pauvres, il accepta de balayer l’établissement puis de servir de portier, afin d’être dispensé des frais de pensionnat. Sa détermination le mena à de grands projets en faveur de l’éducation des Noirs, auxquels il consacra sa vie.

Après l’abolition de l’esclavage en 1865, Booker T. est devenu enseignant. Il crée l’institut de Tuskegee en Alabama en 1891, destiné à former les populations noires du Sud à l’enseignement, avec l’approbation du Président de l’Université d’Hampton, le Général Amstrong. Cette école devient la plus célèbre du pays. Il reçu le soutien et la visite de Frédéric Douglass (fervent abolitionniste, et militant pour l’instruction des Afro-Américains et l’émancipation des femmes) en 1892.

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Institut Tuskegee, Alabama, 1981.

L’importance de l’éducation

Dans le contexte post esclavagiste, il estimait qu’il était indispensable de reprendre en main l’éducation des enfants. La fondation Tuskegee était mixte et les élèves devaient recevoir une formation professionnelle parallèlement à l’enseignement plus traditionnel. L’objectif de Booker T. était de donner une qualification aux élèves afin de leur permettre de trouver un emploi, s’insérer dans le milieu professionnel, et de ce fait, progresser sur la voie de l’émancipation.

« Dans notre enseignement professionnel nous avons trois objectifs ; premièrement que l’élève reçoive une éducation qui lui permettra de faire face aux conditions actuelles, dans la partie du Sud des Etats-Unis où il vit, en un mot d’être capable de faire ce dont la société a besoin; deuxièmement, qu’ à la sortie de l’école chaque élève ait une qualification qui lui garantira les compétences, l’intelligence et les qualités morales nécessaires pour qu’il puisse gagner sa vie et subvenir aux besoins de sa famille; troisièmement, que chaque nouveau diplômé ait le sentiment et la conviction que le travail est digne et beau. Il faut que tous aiment le travail au lieu d’essayer d’y échapper. »

De par sa propre expérience, Booker T. était persuadé que seule une bonne instruction permettrait aux Noirs de s’émanciper économiquement et psychologiquement. A la tête de l’Institut, il voyagea dans tout le pays afin d’obtenir des fonds de Noirs ou de Blancs; il est ainsi devenu un orateur très connu.

En plus de l’Institut Tuskegee, Booker T. institua une variété de programmes pour l’extension du travail rural, et aida à créer la National Negro Business League à Boston. Peu de temps après l’élection du Président William McKinley en 1896, un mouvement milita pour que Washington soit nommé à un poste du cabinet, mais il retira son nom, préférant travailler en dehors de l’arène politique.

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Membres du National Negro Business League

Le Compromis d’Atlanta

Le 18 septembre 1895, B.T. Washington est invité à parler lors de l’ouverture de la « Cotton States Exposition » (Exposition Internationale des États producteurs de coton), à Atlanta. Il prononce un discours connu sous le nom de « Compromis d’Atlanta », qui marque le tournant de sa carrière. Devant une assemblée composée majoritairement de Blancs, il expose ses convictions quant à l’émancipation de son peuple, trente ans après la fin de l’esclavage. Pour Booker T., les Noirs ne peuvent obtenir leurs droits constitutionnels qu’à travers leur propre avancement économique et moral plutôt que par des changements politiques légaux. Le fond du discours fut lourdement critiqué par les afro-américains militant pour l’égalité des droits. En effet, Washington avait accepté de renoncer à certains droits civiques, en particulier au droit de vote, en échange de garanties économiques qui devaient être accordées par les hommes d’affaires du Sud:

« Pour tout ce qui est purement social, nous pouvons être aussi séparés que les cinq doigts de la main, mais pour tout ce qui est essentiel à l’avancement des uns et des autres, nous devons être unis comme la main »

La scission des intellectuels noirs

La position de Booker T Washington fut très attaquée par les autres leaders afro-américains, mais elle lui permit d’être écouté dans les milieux institutionnels et de gagner l’aval des Blancs du sud, sans lesquels le soutien des programmes qu’il envisageait d’introduire aurait été impossible.

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Le 18 septembre 1895, le leader Booker T. Washington prononce le célèbre  » Compromis d’Atlanta » à l’inauguration de l’Exposition Internationale des États producteurs de coton à Atlanta.

Le Compromis d’Atlanta de Booker T. engendra des oppositions au sein des intellectuels afro-américains, notamment avec William Edward Burghardt Du Bois dit W.E.B. Du Bois. Tous deux francs-maçons de la loge Prince Hall, mettaient l’éducation des Noirs parmi leurs priorités. Du Bois, militant politique et fondateur du NAACP en 1905, (National Association for the Advancement of Colored People), reprocha à Booker T. de ne pas assez politiser le débat, de faire trop de concessions aux hommes d’affaires du sud et de ne pas lier suffisamment la lutte pour l’éducation des Noirs à celle pour les droits civiques. Contrairement à Booker T.Washington, Du Bois était né libre. Il bénéficia d’une éducation dans un établissement public et put suivre des études universitaires. Diplômé de Harvard, il fut professeur d’histoire, d’économie et de sociologie à l’Université d’Atlanta. De son côté, Booker T. était opposé à la création de la NAACP, qu’il jugeait trop exclusive et radicale.

Des relations privilégiées

Le 16 octobre 1901, Booker T. Washington est invité par le président américain Théodore Roosevelt à diner à la Maison Blanche. Il fut le premier afro-américain accueilli à un si haut niveau. Le jour suivant, la Maison Blanche publie une déclaration intitulée: « Booker T Washington de Tuskegee, dans l’Alabama, a dîné avec le Président la soirée dernière ». La réponse de la presse du sud et des politiciens fut immédiate et foncièrement raciste. Le Sénateur James K. Vardaman du Mississippi s’est plaint que la Maison Blanche soit maintenant, « si saturé de l’odeur de nègre que les rats s’étaient refugiés dans l’écurie »; le journal de Memphis l’a déclaré « le scandale le plus damnable qui a jamais été commis par n’importe quel citoyen des États-Unis » et le 25 octobre celui du Missouri publiait en Une du journal, une poésie ayant pour titre « des Nègres dans la Maison Blanche ».
Comme pour conjurer le sort (ou par ironie?), lors de la victoire de Barack OBAMA aux élections présidentielles en 2008, le sénateur John McCAIN fit référence aux centaines d’années qui s’étaient écoulées entre l’invitation du premier homme africain-américain à la Maison Blanche par le Président Roosevelt et l’élection d’un afro-américain à la plus haute marche politique.

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Le 16 octobre 1901 Booker T.Washington est invité par le Président Roosevelt à la Maison Blanche

La recherche de financement

B.T. Washington devait trouver les financement nécessaires à la réussite de ces ambitions. Pour cela, il choisit une stratégie comportant deux orientations distinctes. La première était d’étendre son réseau personnel au sein de la communauté noire pour s’assurer des appuis qui permettraient le développement de l’institut. La deuxième était de se faire accepter des autorités locales blanches et, plus largement, de faire connaître son projet à l’échelle nationale. Son discours modéré, bien que critiqué par les leaders noirs, était reçu très favorablement par les responsables politiques et économiques blancs. Il devint rapidement un orateur reconnu et l’une des personnalités noires les plus connues du pays. Il parvint ainsi à construire un réseau de riches philanthropes blancs qui comprenait Andrew Carnegie (à droite sur la photo ci-dessous), Collis P. Hungtington, John D. Rockefeller, Henry H. Rogers et Elizabeth M. Anderson. Il se rapprocha également de Julius Rosenwald, qui intégra le conseil d’administration de Tuskegee et travailla durablement avec Washington pour collecter des fonds afin d’ouvrir d’autres écoles normales similaires à celles de Tuskegee et d’Hampton.

Booker T. Washington, un homme d'influence
Le président américain Taft (2ème en partant de la gauche) a rencontré Booker T. Washington et encouragé son programme pour élever des Américains Noirs par l’enseignement et l’esprit d’entreprise. Alabama, 1906.

Booker T et le Congo

On associe généralement le nom de Booker T. Washington à Tuskegee et à sa philosophie prônant un progrès racial graduel. Néanmoins, son implication dans la question du Congo, est largement méconnue. Or, au moment où le mouvement de protestation contre le régime brutal du roi Léopold II en Afrique centrale gagne une certaine visibilité aux Etats-Unis, B.T. Washington descend dans l’arène en devenant vice-président de la Congo Reform Association (CRA), une organisation fondée en Angleterre en 1903 par E.D. Morel pour promouvoir la réforme des politiques en vigueur au sein du royaume africain de Léopold.

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En 1903, E.D. Morel créé la Congo Reform Association (CRA), une organisation fondée en Angleterre.

Plusieurs séjours au Congo et au Liberia étaient prévus dans l’agenda de Booker T. Mais il ne put en effectuer aucun, soit à cause de tentatives d’intimidations de la part de Léopold II, soit par ses occupations aux États-Unis. Il contribua néanmoins à l’annulation de dettes du Liberia et à lui donner un statut de protectorat que Washington considérait comme souhaitable face à la perspective d’une colonisation imminente du pays par les Européens. Outre-atlantique, Booker T. Washington influença de nombreux Africains attirés tout autant par ses méthodes d’éducation que par ses positionnements militants. Parmi eux, Marcus Garvey.

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Marcus Garvey, fondateur de l’UNIA

L’influence de ses idées

Marcus Garvey a entretenu une correspondance régulière avec B.T. Washington depuis sa demeure en Jamaïque. B.T. Washington se montra encourageant dans une de ses réponses : « J’espère que lors de votre venue en Amérique vous passerez à Tuskegee pour y constater par vous-même ce que nous acharnons à faire au profit des jeunes hommes et femmes de couleur du Sud ». Garvey, à la tête de l’Universal Negro Improvement Association (UNIA) basée à New York, vit dans les écrits de Booker T. un modèle pour la construction d’institutions indépendantes propres aux personnes d’origine africaine. Assez paradoxalement, ce sont les idées de B.T. Washington au sujet des États-Unis, plus que ses positions explicites au sujet de l’Afrique, qui ont attiré la sympathie de son public de la diaspora. Ainsi, malgré son incapacité à se rendre physiquement en Afrique, ses idées, elles, ont beaucoup voyagé.

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Pixley ka Isaka Seme était un avocat et un homme politique et l’un des fondateurs et président du Congrès National Africain (ANC) d’Afrique du Sud.

Booker T et l’Afrique

De nombreux leaders africains du début du vingtième siècle ont été en contact avec Washington, et plusieurs personnalités furent formées à Tuskegee.

En Afrique du Sud, l’Institut Tuskegee eut un impact important. Le Révérend John L. Dube, un disciple de Washington formé aux Etats-Unis au Collège Oberlin, fonda l’Ecole Professionnelle Chrétienne Zoulou à Natal. Davidson D.T. Jabavu, qui passa trois mois à Tuskegee après avoir obtenu son diplôme de l’Université de Londres, fonda le Collège des Natifs d’Afrique du Sud à Fort Hare. De son côté, Pixley Ka Isaka Seme, un Zoulou diplômé de l’Université de Columbia à New-York, fonda le Congrès National Africain (ANC), et cela après avoir visité Tuskegee lors de son séjour aux Etats-Unis. Seme bénéficia de financements en provenance de Tuskegee et de Washington, même si la rencontre des deux hommes à Londres en 1910 fut plutôt tendue.

« Up from Slavery »

L’autobiographie de Booker T. Washington, « Up from Slavery », traduite en français dès 1903 sous le titre « L’autobiographie d’un nègre », fut également traduite dans de nombreuses langues européennes ainsi qu’en Zoulou, Marathi et Telougou, et connut une très large diffusion. Elle raconte son ascension de son enfance dans l’esclavage jusqu’à son Institut Tuskegee en 1881. Au final, l’Institut compta presque 2000 étudiants apprenant des métiers tel que la menuiserie, l’agriculture et la mécanique. Les convictions de B.T. Washington tel que l’amélioration du statut social et économique de l’Afro-Américain réside dans un travail acharné. Cette institution et cette initiative étaient controversés à l’époque. Il était fréquemment critiqué pour son caractère opportuniste. Jusqu’à sa mort, Booker T Washington sera considéré comme un représentant incontournable de la communauté. Il est décédé le 14 novembre 1915 en Alabama à l’âge de 59 ans.

C’est par l’alliance d’une représentation raciale et politique que Washington, Du Bois, Sheppard et beaucoup d’autres influencèrent les militants et intellectuels africains. Cette vision binaire éclairait la situation américaine et jetait les bases d’une identité diasporique, à laquelle l’Afrique contemporaine est toujours attachée.

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Sources:

Medarus.org

Blog de Cécile Révauger

Ira Dworkin: « American Congo », Booker T. Washington, l’Afrique et l’imaginaire politique noir américain

Site Grioo

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