Mémoire de l’esclavage au Parlement : sortir du « déni d’humanité originel »

La délégation parlementaire Outre-mer conduisait mercredi 14 mars une rencontre importante autour de la question de la mémoire et de l’Histoire de l’esclavage. Un sujet qui englobe notamment la problématique raciale en France hexagonale et sur lequel des personnalités associatives, engagées dans ces combats depuis de nombreuses années, étaient invitées à intervenir. Un échange qui interpellait l’Etat sur son devoir d’accompagnement des actions en faveur de la reconnaissance de cette histoire.

Olivier Serva conduisait ce mercredi soir une audition sur la question des mémoires et de l’histoire de l’esclavage à l’Assemblée nationale. Une problématique toujours d’actualité et extrêmement complexe sur laquelle il auditionnait le Comité de la marche du 23 mai 1998 (CM98), représenté par le Docteur Emmanuel Gordien, maître de conférence des universités – praticien hospitalier Virologue, président du Comité Marche du 23 mai 1998 (CM98), spécialiste des questions de généalogie des descendants d’esclaves; le Professeur Serge Romana, généticien, président de la Fondation Esclavage et Réconciliation (FER). Ainsi que Frédéric Régent, maître de conférence en histoire à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, habilité à diriger des recherches, président du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CNMHE); Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN)  et Claude Ribbe, écrivain, historien, philosophe et président de l’association « Les amis d’Alexandre Dumas ».

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A l’occasion des 20 ans de la marche historique du CM98, il était question des mémoires de l’esclavage et de l’implication encore timide de l’Etat dans l’avancement de la résolution de ces problématiques. Etat qui pourtant, comme l’a rappelé le docteur Gordien, « a aujourd’hui le système le plus élaboré sur les questions d’abolition de l’esclavage. » En deux décennies de lutte sur le terrain, le CM98 a enclenché plusieurs actions concrètes dont l’intégration dans le calendrier national d’une journée dédiée à ces victimes de l’esclavage, le 23 mai. Une démarche de «réhabilitation de l’humain », comme l’a rappelé son ancien président, de laquelle est également née la plateforme Anchoukaj, qui a permis à plusieurs familles Antillaises de reconstituer leur arbre généalogique, actes notariés à l’appui. Forts de leur expérience, ils affirment aujourd’hui que ce travail « apaise le ressentiment ». Un ressentiment à l’égard des anciens esclavagistes et de leurs héritiers que l’association a pourtant réussi à rassembler au sein de la Fondation « Esclavage et Réconciliation » dont Serge Romana est le président. Ils défendent aujourd’hui le projet de l’érection d’une stèle, gravée des noms des esclaves, au jardin des Tuileries. L’occasion de faire entendre la nécessité pour les institutions de s’engager réellement sur le sujet.

La question des mémoires noires dans l’espace français

Toutes les actions engagées par les associations resteront néanmoins limités sans réponse claire de l’Etat et de ses représentations pour faire appliquer et respecter cette mémoire. C’est ce qu’a tenu à rappeler Louis-Georges Tin en évoquant un révisionnisme passif » dans lequel « nous baignons ». Selon le professeur de Lettres, celui-ci s’exprime notamment dans le refus de prendre en compte la tripartie de l’esclavage qui n’est pas un mais trois crimes contre l’humanité, qui commencent par un massacre colonial pour arriver sur l’asservissement de plusieurs millions d’Africains et s’achever sur le travail forcé dans les colonies. Soit trois abolitions pour la continuité d’un seul et même événement. Frédéric Régent a également tenu à éclaircir cet élément, rappelant que la question de l’esclavage comme crime contre l’humanité n’est pas anachronique. L’approche pédagogique de l’histoire de l’esclavage et du devoir de mémoire peine en effet à s’installer au cœur de l’enseignement. Aussi, il a tenu à souligner « un début de différenciation » dans les établissements scolaires où l’on retrouve une courte partie du programme y étant consacrée en lycée général contre tout un trimestre en lycée technologique. Une disparité qui pourrait selon lui insinuer une ethnicisation dans les cursus scolaires. Serge Romana a insisté sur la différence entre Histoire et mémoire, et sur le rapport différent à cette mémoire, citant sa propre expérience en tant que témoignage vivant (comme tous les Antillais) de ce qu’Emmanuel Gordien nomme « déni d’humanité originel ».

Déni et négrophobie

Enfin, cette discussion ne pouvait être complète sans mise en exergue des conséquences actuelles directes de cet héritage pesant. A savoir, la négrophobie. Sur ce point, le président du CRAN a dévoilé son projet de création d’un observatoire dédié au racisme Noir, qui est une forme de discrimination particulière. Une initiative qui permettrait d’entrer dans « une logique vertueuse » avec pour mission, entre autres tâches, d’enquêter sur l’inégalité salariale que subissent les personnes non-blanches. A poste égal, leur rémunération serait inférieure. Selon le laboratoire d’idées France Stratégie, la France perdra environ 400 milliards d’euros (soit 20 milliards par an) si elle ne s’implique pas dans la lutte contre le racisme anti-Noir. Comment donc faire évoluer le combat pour le respect et l’intégration des citoyens français afro descendants, qui passe par la réhabilitation de son histoire et de la mémoire de celle-ci, dans l’espace publique? Plusieurs suggestions ont déjà été avancées, dont des propositions de mesures plus concrètes. Par exemple, faire de ces journées de commémoration des jours fériés. Une façon d’amplifier leur impact et de contraindre la population à regarder en face ce problème. Un point de vue porté par la République insoumise, envers lequel la députée Danièle Obono a redit son engagement. Une requête exhaussée cette année, puisque le 10 mai tombe le jour de l’Ascension. Claude Ribbe a quant à lui invité Olivier Serva et les auteurs parlementaires à la célébration qu’il organise à cette date, sur la Place du général Catroux.

 

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SK est la rédactrice/ journaliste du secteur Politique, Société et Culture. Jeune femme vive, impétueuse et toujours bienveillante, elle vous apporte une vision sans filtre de l'actualité.

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