A partir de 1958, des femmes kom et kedjom du nord-ouest du Cameroun ont mené des révoltes pour défendre leurs intérêts économiques menacés par les colons britanniques. Elles dureront jusqu’à l’indépendance du pays en 1961.
La révolte anti-coloniale des femmes kom et kedjom du Cameroun (1958)
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
En 1929, des femmes igbo (actuel Nigéria) lançaient une révolte pour défendre leurs intérêts socio-économiques face aux autorités coloniales britanniques.
29 ans plus tard, des femmes de femmes du nord-ouest du Cameroun se retrouvaient dans des conditions similaires. Originaires des chefferies kom et kedjom dans la province de Bamenda, où les femmes sont responsables des activités agricoles et les hommes possèdent les animaux, elles réagissaient à des rumeurs selon lesquelles les autorités britanniques s’apprêtaient à céder leurs terres aux Igbo eux aussi sous domination britannique.
Les femmes kom et kedjom étaient aussi en désaccord avec un décret du gouvernement britannique. Ce dernier interdisait la pratique locale de l’agriculture avec adaptation de la forme des champs au relief. Enfin, les femmes kom et kedjom voyaient leur champs ravagés par du bétail dont le passage était autorisé par les autorités coloniales.
L’organisation féminine
Pour manifester leur mécontentement face à ces réformes agraires, les femmes kom et kedjom organisèrent leurs révoltes. Elles étaient dirigées contre les autorités coloniales et certains chefs accusés de ne pas suffisamment défendre leurs intérêts. Elles furent encouragées par le parti anti-colonialiste du KNDP (Kamerun National Democratic Party).
Ces révoltes se basaient sur des modèles d’organisation féminine préexistants. L’Anlu des femmes kom et et le Fombuen des femmes kedjom. L’Anlu est une pratique des femmes kom mise en place pour répondre à des transgressions de l’ordre social. Plus précisément, il s’agissait de leur réponse à des agressions ou des insultes faites à l’une d’entre elles. Qu’il s’agisse de l’inceste, de la violence contre les femmes enceintes, d’abuser de vieilles femmes ou d’utiliser des propos insultant une caractéristique féminine.
Les femmes de la communauté se réunissaient devant la maison du coupable. Là, elles dansaient, chantaient, y urinaient et déféquaient, jusqu’à ce que l’endroit devienne une latrine publique.
Le fombuen était une association de femmes kedjom. Il célébrait leur pouvoirs reproductifs et organisait leurs danses lors de funérailles de membres de leurs familles.
Anlu et Fombuen furent aussi les noms donnés par les femmes kom et kedjom aux révoltes qu’elles menèrent en 1958. A ces occasions près de 7000 femmes se sont mobilisées pour défendre leurs intérêts.
Les chants de la révolte
Dans leur action contre le gouvernement colonial, elles parcoururent 20 kilomètres jusqu’à son siège dans la ville de Bamenda. Durant leurs plus longues protestations, elles campèrent durant deux semaines devant le siège du pouvoir colonial où elles furent responsables de nuisances inspirées de l’Anlu. Chants, danses et déjections accompagnèrent ainsi leurs protestations.
Dans certains de leurs chants, les militantes de l’Anlu rendaient hommage à des chefs kom décédés, Ndi Kuoh et Ngam Kuoh, qui comme eux, avaient lutté pour protéger leur terre. Dans le chant suivant, la bravoure de Ngam Kuoh et de Ndi Kuoh est contrastée avec celle de Ndong Nyang et de Ghajem, des activistes du parti rival du KNC jugé ‘collaborateur’ quant à l’abandon de leurs terres.
« Ngam Nkuoh repose sous terre, Non! Il n’a pas vendu nos terres
Ndong Nyang est venu vendre nos terres.
Ngam Nkuoh repose sous terre, Non! Il n’a pas vendu nos terres
Ghajem est venu vendre nos terres. »
La trahison du parti
Les révoltes des militantes de l’Anlu et leur rapport au KNDP allait contribuer à la victoire du KNDP aux élections de 1961 faisant suite à l’indépendance du pays en 1961. Malgré leurs promesses à l’endroit des militantes de l’Anlu, les autorités du KNDP allaient les abandonner, interdisant la pratique locale de l’agriculture avec adaptation de la forme des champs au relief contre lesquelles elles s’étaient battues. Les militantes de l’Anlu manifestant contre cette loi allaient être sous le coup de la justice désormais détenue par le KNDP. La puissance politique des militantes de l’Anlu allait désormais être presque réduite à néant.
Espérons que les héritiers du combat anti-colonialiste africain feront en sorte que la mémoire à défaut de la puissance perdue de ces extraordinaires femmes perdure. Des femmes, comme l’indique l’un de leurs chants, prêtes à mourir pour leurs ancêtres, leur patrie et leurs enfants:
« Nous irons à la guerre en pleurs pour vous
Regardez nos larmes oh Ndi Kuoh
L’Européen est venu, il est venu, regardez comment il nous marche dessus à nous et à nos coutumes!
Qui possède ce pays? Pas nous!
Nous mourrons toutes pour sauver nos terres!
Nous mourrons toutes pour nourrir nos enfants! »
Références
Susan Diduk / Women’s Agricultural Production and Political Action in the Cameroon Grassfields
Allison Drew / Female Consciousness and Feminism in Africa
Walter Gam Nkwi / Voicing the Voiceless. Contributions to Closing Gaps in Cameroon History, 1958-