Explorez l’histoire méconnue de la ‘Police des Noirs’, une législation de la monarchie française qui réglementait strictement la vie et le statut des personnes dites ‘de couleur’ dans la France du XVIIIème siècle. Découvrez comment cet acte juridique a façonné les vies et l’identité au sein des communautés noires sous l’ancien régime.
La ‘Police des Noirs’ de 1777, ou le racisme institutionnalisé dans la monarchie française
Découvrez l’histoire de la « Police des Noirs », une législation marquante de la monarchie française qui, le 17 août 1777, sous le règne de Louis XVI1, a institué des règles spécifiques régissant la présence des personnes dites « de couleur » dans le royaume de France. Cette troisième et dernière version de la loi visait à contrôler l’entrée et le séjour des Noirs, se basant exclusivement sur la couleur de peau plutôt que sur le statut d’esclave.
Pour contourner l’opposition potentielle du Parlement, qui aurait pu être provoquée par l’utilisation du terme « esclave », le ministre de la Marine de l’époque, Antoine Raymond Juan Gualbert Gabriel de Sartine2, a opté pour une terminologie raciale, désignant les individus comme « Noirs », « mulâtres », ou « autres gens de couleur ». Cette manœuvre législative révèle les fondements raciaux sur lesquels reposaient certaines politiques de l’Ancien Régime.
Voici la fidèle retranscription de la cet acte du pouvoir royal français, daté du XVIII ème siècle :
Déclaration du roi pour la Police des Noirs
Donnée à Versailles le 9 Août 1777.
Registrée en Parlement le vingt-sept Août 1777.
Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France e[t] de Navarre : À tous ceux que ces présentes lettres verront :
Salut. Par nos lettres patentes du 3 septembre dernier, nous avons ordonné qu’il seroit sursis au jugement de toutes causes ou procès concernant l’état des noirs de l’un et de l’autre sexe, que les habitants de nos colonies ont amenés avec eux en France pour leur service ; nous sommes informés aujourd’hui que le nombre des noirs s’y est tellement multiplié, par la facilité de la communication de l’Amérique avec la France, qu’on enlève journellement aux colonies cette portion d’hommes la plus nécessaire pour la culture des terres, en même temps que leur séjour dans les villes de notre royaume, surtout dans la capitale, y cause les plus grands désordres ; et, lorsqu’ils retournent dans les colonies, ils y portent l’esprit d’indépendance et d’indocilité, et y deviennent plus nuisibles qu’utiles.
Il nous a donc paru qu’il étoit de notre sagesse de déférer aux sollicitations des habitants de nos colonies, en défendant l’entrée de notre royaume à tous les noirs. Nous voulons bien cependant ne pas priver ceux desdits habitants que leurs affaires appellent en France, du secours d’un domestique noir pour les servir pendant la traversée, à la charge toutefois que lesdits domestiques ne pourront sortir du port où ils auront été débarqués, que pour retourner dans la colonie d’où ils auront été amenés.
Nous pourvoirons aussi à l’état des domestiques noirs qui sont actuellement en France. Enfin, nous concilierons, par toutes ces dispositions, le bien général de nos colonies, l’intérêt particulier de leurs habitants, et la protection que nous devons à la conservation des mœurs et du bon ordre dans notre royaume.
À ces causes e[t] autres à ce nous mouvant, de l’avis de notre Conseil, e[t] de notre certaine science, pleine puissance e[t] autorité royale, Nous avons, par ces Présentes signés de notre main, dit, déclaré e[t] ordonné, disons, déclarons e[t] ordonnons, voulons et Nous plaît ce qui suit.
ARTICLE PREMIER.
Faisons défenses expresses à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient, même à tous étrangers, d’amener dans notre royaume, après la publication et enregistrement de notre présente déclaration, aucun noir, mulâtre, ou autres gens de couleur de l’un ou de l’autre sexe, et de les y retenir à leur service ; le tout à peine de 3, 000 liv. d’amende, même de plus grande peine s’il y échoit.
II.
Défendons pareillement, sous les mêmes peines, à tous noirs, mulâtres ou autres gens de couleur de l’un ou de l’autre sexe, qui ne seroient point en service, d’entrer à l’avenir dans notre royaume, sous quelque cause et prétexte que ce soit.
III.
Les noirs ou mulâtres qui auroient été amenés en France, ou qui s’y seroient introduits depuis ladite publication, seront, à la requête de nos procureurs ès sièges des amirautés, arrêtés et reconduits dans le port le plus proche, pour être ensuite rembarqués pour nos colonies, à nos frais, suivant les ordres particuliers que nous ferons expédier à cet effet.
IV.
Permettons néanmoins à tout habitant de nos colonies qui voudra passer en France, d’embarquer avec lui un seul noir ou mulâtre de l’un et de l’autre sexe, pour le servir pendant la traversée, à la charge de le remettre, à son arrivée dans le port, au dépôt qui sera à ce destiné par nos ordres, et y demeurer jusqu’à ce qu’il puisse être rembarqué ; enjoignons à nos procureurs des amirautés du port où lesdits noirs auroient été débarqués, de tenir la main à l’exécution de la présente disposition, et de les faire rembarquer sur le premier vaisseau qui fera voile dudit port pour la colonie de laquelle ils auront été amenés.
V.
Les habitants desdites colonies, qui voudront profiter de l’exception contenue en l’article précédent, seront tenus, ainsi qu’il a toujours été d’usage dans nos colonies, de consigner la somme de mille livres, argent de France, ès mains du trésorier de la colonie, qui s’en chargera en recette, et de se retirer ensuite pardevers le gouverneur général ou commandant dans ladite colonie, pour en obtenir une permission qui contiendra le nom de l’habitant, celui du domestique noir ou mulâtre qu’il voudra emmener avec lui, son âge et son signalement ; dans laquelle permission la quittance de consignation sera visée, à peine de nullité, et seront lesdites permission et quittance enregistrées au greffe de l’amirauté du lieu du départ.
VI.
Faisons très-expresses défenses à tous officiers de nos vaisseaux de recevoir à bord aucun noir ou mulâtre ou autres gens de couleur, s’ils ne leur représentent ladite permission duement enregistrée, ainsi que la quittance de consignation ; desquelles mention sera faite sur le rôle d’embarquement.
VII.
Défendons pareillement à tous capitaines de navire marchand de recevoir à bord aucun noir, mulâtre ou autres gens de couleur, s’ils ne leur représentent la permission enregistrée, ensemble ladite quittance de consignation, dont mention sera faite dans le rôle d’embarquement ; le tout à peine de 1000 livres d’amende pour chaque noir ou mulâtre, et d’être interdits pendant trois ans de toutes fonctions, même du double desdites condamnations en cas de récidive ; enjoignons à nos procureurs ès sièges des amirautés du lieu du débarquement, de tenir la main à l’exécution de la présente disposition.
VIII.
Les frais de garde desdits noirs dans le dépôt, et ceux de leur retour dans nos colonies, seront avancés par le commis du trésorier général de la marine dans le port, lequel en sera remboursé sur la somme consignée en exécution de l’article 5 ci-dessus ; et le surplus ne pourra être rendu à l’habitant, que sur le vu de l’extrait du rôle du bâtiment sur lequel le noir ou mulâtre domestique aura été rembarqué pour repasser dans les colonies, ou de son extrait mortuaire, s’il étoit décédé : et ne sera ladite somme passée en dépense aux trésoriers généraux de notre marine, que sur le vu desdits extraits en bonne et due forme.
IX.
Ceux de nos sujets, ainsi que les étrangers, qui auront des noirs à leur service, lors de la publication et enregistrement de, notre présente déclaration, seront tenus dans un mois, à compter du jour de ladite publication et enregistrement, de notre présente déclaration, seront tenus dans un mois, à compter du jour de ladite publication et enregistrement, de se présenter par-devant les officiers de l’amirauté dans le ressort de laquelle ils sont domiciliés, et, s’il n’y en a pas, par-devant le juge royal dudit lieu, à l’effet d’y déclarer les noms et qualités des noirs, mulâtres, ou autres gens de couleur de l’un et de l’autre sexe qui demeurent chez eux, le temps de leur débarquement, et la colonie de laquelle ils ont été exportés : voulons que, passé ledit délai, ils ne puissent retenir à leur service lesdits noirs que de leur consentement.
X.
Les noirs, mulâtres, ou autres gens de couleur, qui ne seroient pas en service au moment de ladite publication, seront tenus de faire, aux greffes desdites amirautés, ou juridictions royales, et dans le même délai, une pareille déclaration de leurs noms, surnom, âge, profession, du lieu de leur naissance, et de la date de leur arrivée en France.
XI.
Les déclarations prescrites par les deux articles précédents seront reçues sans aucun frais, et envoyées par nos procureurs èsdits sièges, au secrétaire d’état ayant le département de la marine, pour, sur le compte qui nous en sera rendu, être par nous ordonné ce qu’il appartiendra.
XII.
Et attendu que la permission que nous avons accordée aux habitants de nos colonies par l’article 4 de notre présente déclaration, n’a pour objet que leur service personnel pendant la traversée, voulons que lesdits noirs, mulâtres ou autres gens de couleur demeurent, pendant leur séjour en France, et jusqu’à leur retour dans les colonies, en l’état où ils étoient lors de leur départ d’icelles, sans que ledit état puisse être changé par leurs maîtres, ou autrement.
XIII.
Les dispositions de notre présente déclaration seront exécutées nonobstant tous édits, déclarations, règlements, ou autres à ce contraires, auxquels nous avons dérogé et dérogeons expressément. Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers, les gens tenant notre cour de parlement à Paris, les Gens tenans notre Cour de Parlement de Paris, que ces Présentes ils aient à faire registrer, e[t] le contenu en icelle garder e[t] observer selon la forme e[t] teneur, nonobstant toutes choses à ce contraire ;
CAR tel est notre plaisir, En témoin de quoi Nous avons fait mettre notre scel à cesdites Présentes. DONNE à Versailles le neuvième jour du mois d’Août, l’an de grace mil sept cent soixante-dix-sept, e[t] de notre Règne le quatrième. Signé LOUIS : Et plus bas, apr le Roi, de Sartine. Et icellé du grand sceau de cire jaune. Registrée, oui e[t] ce requérant le Procureur Général du Roi, pour être exécutée selon sa forme e[t] teneur ; e[t] copies ollationnées envoyées aux Baillages, Sénéchaussées e[t] Sièges des Amirautés du ressort de la Cour, pour y être lue, publiée e[t] registée : Enjoint aux Substitus du Procureur Général du Roi d’y tenir la main, e[t] d’en certifier la Cour dans le mois, suivant l’Arrêt de ce jour.
A Paris en Parlement, les Grand’Chambre e[t]
Tournelle assemblées, le vingt-sept Août mil sept cent soixante-dix-sept.
Signé YSABEAU.
A PARIS,
Chez P. G. SIMON, Imprimeur du Parlement,
rue Mignon Saint André-les-arcs,
De l’Histoire à l’action : tirer les leçons de la ‘Police des Noirs’ pour construire un avenir équitable
En revisitant l’histoire de la « Police des Noirs », cet acte juridique de la monarchie française de 1777, nous sommes confrontés à un chapitre sombre de notre passé, où la discrimination basée sur la couleur de la peau était institutionnalisée et légalisée. Cette législation, bien que spécifique à son époque, nous rappelle les racines profondes du racisme systémique qui ont traversé les siècles et continuent d’influencer les sociétés contemporaines.
La prise de conscience et la compréhension de ces lois historiques sont cruciales pour déconstruire les préjugés raciaux persistants et pour bâtir des communautés plus inclusives et équitables. En reconnaissant les erreurs du passé, nous pouvons nous engager dans un dialogue constructif visant à réparer et à avancer vers une société où la dignité et l’égalité de chaque individu, indépendamment de sa couleur de peau, sont pleinement respectées.
L’histoire de la « Police des Noirs » nous interpelle ainsi sur l’importance de l’éducation historique dans la lutte contre le racisme et sur le rôle que chacun peut jouer dans la construction d’un avenir plus juste. Elle nous invite à réfléchir sur notre propre responsabilité dans la perpétuation ou le démantèlement des structures de discrimination et à agir avec courage et détermination pour favoriser le changement.
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Notes et références
- Louis XVI, dernier roi de France avant la Révolution française, a joué un rôle significatif dans l’histoire juridique et sociale de son pays, notamment en ratifiant des actes législatifs influents tels que la « Police des Noirs » le 9 août 1777. Son règne a été marqué par des tentatives de réformes qui, malgré leur importance, n’ont pas réussi à prévenir la chute de la monarchie. ↩︎
- Antoine Raymond Juan Gualbert Gabriel de Sartine, ministre de la Marine sous Louis XVI, est une figure clé dans l’histoire de la législation sur les Noirs en France. Son initiative d’utiliser un vocabulaire racial plutôt que le terme « esclave » pour contourner l’opposition du Parlement à la loi de 1777 révèle les dynamiques complexes de pouvoir et de discrimination raciale à l’époque. Sartine est également connu pour son rôle dans le renforcement de la marine française et dans les affaires de police interne, contribuant à des aspects importants de l’administration et de la sécurité du royaume. ↩︎