Dans la seconde moitié du 17ème siècle, une grande partie de l’actuel Ghana était sous le joug du royaume akan de Denkyira. Un prince, Osei Tutu, allait, en ralliant autour de lui d’autres chefs soumis à cette domination oppressive, se soulever victorieusement et fonder la confédération ashanti qui deviendra le plus puissant état ouest-africain de la période de la fin de l’Afrique pré-coloniale.
Par Sandro CAPO CHICHI
Origines et jeunesse
Osei Tutu est né à une date inconnue du 17ème siècle en pays amanse, une ethnie akan existant alors dans ce qui est aujourd’hui le Ghana. Son lieu de naissance est probablement l’entrée du village d’Anyinam, près de celui aujourd’hui plus connu de Kokofu dans l’actuelle région ashanti. Les traditions ne sont toutefois pas unanimes à ce sujet et on le fait aussi naître dans la ville de Berekusu près d’Aburi, toujours en région ashanti. Osei Tutu est le fils de Manu Kotosii, la sœur d’Oti Akenten et d’Obiri Yeboah, deux souverains successifs de l’état de Kwaman appartenant au clan Oyoko. Peu de choses sont connues d’Owusu Panin, le père d’Osei Tutu. On sait toutefois que sa lignée paternelle est reliée à la divinité Bosommuru. Les descendants masculins de la division Adufudee de cette lignée sont en effet appelés de manière alternée Owusu et Osei. Manu aurait initialement eu les pires difficultés à engendrer un enfant. De ce fait, elle aurait été consulter les prêtres du temple de Tutu, la déité de la guerre, après quoi elle aurait été guérie de ce mal. En honneur à ce dieu, elle aurait nommé son fils de son nom. A cette époque, l’état de Kwaman, dirigé par Oti Akenten, son oncle, est sous la domination de l’état de Denkyira. En signe de soumission, Kwaman devait envoyer, comme les autres états soumis au Denkyira, un prince otage. Osei Tutu fut donc envoyé à la cour roi de Denkyira Boa Amponsem où il assura le rôle de porteur de bouclier. Une tradition non-royale ashanti explique qu’Osei Tutu, alors appelé Osei Kwame aurait reçu la charge de l’administration de la divinité Tutu et aurait vu son nom modifié en Osei Tutu. Cette tradition, pourtant non-officielle car non-royale chez les Ashantis n’en est pas moins vraisemblable. Les personnages héroïsés ont en effet tendance à présenter leur naissance comme un fait miraculeux pour ajouter à leur légende. A la cour de Denkyira, après avoir commis une offense envers le roi Boa Amponsem, Osei Tutu dut fuir sous peine d’être exécuté. Des traditions mentionnent qu’il se serait engagé dans une relation interdite avec une femme de sang royal du Denkyira, relation de laquelle serait issu un enfant.
Avant la fondation de la confédération ashanti
La fuite d’Osei Tutu du pays Denkyira le mène d’abord à Kwaman, à la cour de son oncle Obiri Yeboah. Ce dernier, furieux du comportement d’Osei Tutu l’aurait envoyé par son à Takyiman. Il y aurait récidivé dans la transgression des mœurs en ayant des relations illicites avec sa reine, la décapitant et en lui volant son or. Puis il se serait redirigé vers Kwaman et aurait permis de mieux se comporter avant d’être envoyé par son oncle en Akwamu, un autre état puissant akan de l’époque. Les raisons de ce choix sont obscures, mais elles pourraient avoir à voir avec un lien historique du clan Oyoko d’Osei Tutu avec la région, et / ou parce que le temple de Tutu qui aurait permis sa naissance y était localisé. La raison la plus évoquée est toutefois la rivalité qui opposait les deux puissants états de Denkyira et d’Akwamu. Sur place Osei Tutu aurait appris, comme il avait déjà fait au Denkyira des éléments fondamentaux de la structure politique et militaire d’un état puissant. Cet apprentissage lui aurait été utile dans la formation des institutions de la future confédération ashanti et pour accéder à son leadership. Le roi d’Akwamu Ansa Sasraku, impressionné par l’élégance et la beauté d’Osei Tutu en aurait fait un de ses favoris.
Il aurait rencontré également en Akwamu le mystérieux mais fondamental Okomfo Anokye, un personnage aux pouvoirs surnaturels dont les actions extraordinaires sont associées aux moments clés de la fondation et la consolidation de l’état ashanti. Dans les années 1670-1680, un conflit entre l’état de Kwaman et les populations domaa éclata pour la mainmise sur la région de Kwaman. Le chef de Kwaman, Obiri Yeboah y fut tué et, à la recherche d’un nouveau chef, les représentants de l’état vinrent chercher Osei Tutu en Akwamu. Un récit probablement mythique décrit le départ d’Osei Tutu d’Akwamu à Kwaman comme jalonnée de la présence d’animaux dangereux, l’éléphant, le bélier, le léopard, le calao et la gazelle de brousse. Tuant chacun d’entre eux, il aurait ajouté une partie de leur corps à sa cape, qui deviendra la tenue de couronnement de tous les autres monarques ashantis. Couronné comme chef, il établit ensuite sa capitale dans la ville de Kumasi. Selon la légende, la motivation derrière ce choix serait la suivante. Okomfo Anokye aurait planté la graine de l’arbre kum dans deux lieux, à Kwaman et à Kumawu. L’arbre ayant grandi plus vite à Kwaman qu’à Kumawu, la première fut choisie comme capitale et renommée Kumasi (‘sous l’arbre Kum’ en langue twi). Dès son arrivée au pouvoir, Osei Tutu nourrit l’ambition de venger son oncle et s’applique donc à défaire les Domaa. Après avoir réuni dans une alliance d’autres chefs amanse, il y intègre aussi des chefs aduana comme celui de Kumawu et surtout le plus puissant état de Mampon, qui jouera un rôle important dans le reste de l’histoire de la confédération ashanti comme sa seconde plus importante chefferie après Kumasi. L’alliance parvient à vaincre les Domaa, notamment grâce à la réorganisation de l’armée de Kwaman par Osei Tutu et ses connaissances acquises lors de ses séjours à Akwamu et à Denkyira. Domaa Kusi, le meurtrier de son oncle est tué au cours du conflit. Le dévolu d’Osei Tutu se jette ensuite sur les états de Kaase, de Tafo et d’Amakum qu’il intègre dans sa confédération. Il tue certains chefs et les remplace par leurs cadets ou s’allie avec d’autres en arrangeant des mariages entre membres de leurs familles. Il unifie alors la région de Kwaman sous son autorité. Après cette guerre, son porteur de siège Amankwatia, déjà présent lors de son exil au Denkyira, est nommé général en chef de l’armée de ce qui va devenir la confédération ashanti.
L’émergence de la confédération ashanti et la guerre contre Denkyira
Vers 1694, le puissant roi de Denkyira Boa Amponsem meurt et laisse la place au jeune Ntim Gyakari. Ce dernier est présenté par des témoins européens comme un roi capricieux et indécis. Certaines traditions africaines en font le fruit de la supposée union illégitime d’Osei Tutu et d’une princesse denkyira. Ces traditions denkyira pourraient toutefois être des créations postérieures justifiant la déroute du Denkyira face à l’Ashanti. Le Denkyira n’aurait pas été défait par un véritable roi denkyira, mais par un étranger. Car entre temps, la coalition menée par Osei Tutu s’est renommée ‘ashanti’, probablement en référence à une phrase du roi de Denkyira Boa Amponsem qui aurait décrit ses membres comme unis seulement ‘à cause de la guerre’, expression traduite par ‘oshanti’ en langue twi. La tension s’établit bientôt entre le Denkyira et la confédération ashanti naissante qui bloque ses razzias au nord qui les approvisionnent en esclaves. De son côté, la confédération ashanti se disloque régulièrement en raison des ambitions et des intérêts temporaires de ses différents chefs. Osei Tutu rassemble les chefs de Mampon, Juaben , Nsuta et Kumawu dans la ville d’ Apebosoo où il leur propose une alliance. Son élection est rapportée dans la légende comme ayant été décidée par le siège d’or, nouveau symbole et support de l’âme de la nation ashanti qu’Okomfo Anokye aurait fait tomber du ciel sur ses genoux d’Osei Tutu, apportant de la sorte une légitimation divine au chef de Kumasi.
En 1699, les Ashantis sont décrits par le voyageur néerlandais Bosman comme ayant ‘la guerre en tête’ et que les armes à feu étaient le principal marché de l’époque. Bosman rapporte le climat qui précède le conflit entre Denkyira et Ashanti :
« Les habitans de Dinkira étoient devenus si orgueilleux par leurs richesses et par leur grande puissance, qu’ils estimoient moins que rien les Nègres des autres pays, et les traitoient comme si ils avoient été leurs esclaves, ce qui les rendit si odieux, que tous en général attendoient avec impatience leur ruine ; cependant personne n’osoit s’opposer à eux, jusqu’à ce qu’enfin le roi d’Asianté, dont le Pays, qui n’est pas éloigné du leur, ayant été offensé par leur chef, entrepris d’en prendre leur chef de manière sensible (sic). »
Le Denkyira, géographiquement situé entre l’Asante au nord et d’autres états tributaires au sud d’Adum, de l’Akannya, d’Aowin, Twifo et de Wassa des difficultés à s’approvisionner en armes. Ces états, en contact direct avec les Européens sur la côte souhaitent se libérer du joug denkyira se gardent de renforcer ce dernier en armes, espérant leur défaite. La tradition africaine rapporte qu’après qu’Osei Tutu eut refusé de rendre un otage échappé du Denkyira échappé en Ashanti, Ntim Gyakari aurait exigé de l’Ashanti qu’il lui envoie un tribut composé de chacune des femmes favorites et des mères des chefs de l’Ashanti avec un bassin d’or. Les chefs de l’Ashanti, réunis autour d’Osei Tutu, rejettent la demande et massacrent les envoyés de Ntim Gyakari. La guerre est alors déclarée entre Ashanti-appuyé par le puissant Akwamu- et Denkyira, relativement isolé dans ses alliances. Osei Tutu, peut-être par superstition, ne commande pas ses troupes lors de la guerre. Le Denkyira parvient toutefois à obtenir des armes de la part du gouverneur hollandais. Les premiers combats ont lieu en 1701 vers Adunku où les troupes ashanti sont vaincues et se rabattent sur Feyiase. Au bout de trois jours, le conflit tourne en faveur des Ashantis et Ntim Gyakari est tué par le roi de Juaben, Adaakwa Yiadom. Sa tête revient à Osei Tutu et ses pieds au roi de Mampon. Osei Tutu installe le neveu de Ntim Gyakari, Boadu Akafu à la tête de Denkyira, mais le fait tuer à son tour après qu’il se soit rebellé. Le Denkyira est pillé et intégré à la confédération ashanti auquel il doit désormais s’accorder d’un tribut. Le règne d’Osei Tutu ne dépasse pas selon les diverses estimations 1712 ou 1717. Bien qu’il ait nommé comme son héritier présomptif Boa Kwatia, un autre neveu d’Obiri Yeboah, celui-ci ne montera pas sur le trône à cause de son opposition à la puissante chefferie de Mampon. Certaines traditions font mourir Osei Tutu en 1717 lors d’une campagne répressive contre les Akyem. Il est toutefois plus probable qu’il soit mort en 1712, des sources contemporaines font part de la mort d’un ‘Zay’ (Osei) en 1712 qui aurait auparavant fait cesser le commerce avec les Anglais, impliquant son successeur ait aussi été prénommé Osei.
Osei Tutu sera considéré à juste titre comme le fondateur de la confédération ashanti, qui deviendra le plus puissant état d’Afrique de l’Ouest au 19ème siècle. Ses souverains devront tirer leur légitimité à partir de Manu, la mère d’Osei Tutu. Tel fut le destin extraordinaire de cet homme, délinquant voire criminel dans sa jeunesse, qui aura su faire preuve du leadership nécessaire pour unifier des peuples d’horizons différents et leur donner un avenir commun .
Bibliographie
Gérard Pescheux, Le royaume asante, Ghana : parenté, pouvoir, histoire, XVIIe-XXe siècles, Paris : Éd. Karthala, 2003, 582 p.
Ivor Wilks, Asante in the nineteenth century [Texte imprimé] : the structure and evolution of a political order, London ; New York : Cambridge University Press, cop. 1975: 1 vol. (XVII-800 p.)
T. C. McCaskie
The Journal of African History, Vol. 48, No. 1 (2007),
Londres : Cambridge University Press, pp. 1-25