La couronne britannique contrainte de signer un traité de paix avec les Nègres Marrons jamaïcains

Le saviez-vous ? La Première Guerre des Nègres Marrons opposant les Marrons jamaïcains aux troupes britanniques s’est conclue par un traité de paix, du fait de l’incapacité de la puissance coloniale à subjuguer les africains déportés. Focus sur une histoire méconnue.

Un contexte colonial tendu

Tout commença en  1655, lorsque les Britanniques chassèrent les colons espagnols devenant ainsi les maîtres de « la terre du bois et de l’eau » [1]. Les africains déportés et asservis par les Espagnols vaincus s’enfuirent vers le centre de l’île, dans ce qui est aujourd’hui  le Cockpit Country (voir carte ci-dessous) et rejoignirent les populations amérindiennes. Cette vague de marronnage sera la genèse de la communauté d’anciens esclaves en fuite connue sous le nom de communauté des Windward Maroons [2].

Dès lors, les escarmouches entre les forces britanniques et les Nègres Marrons, sans parler des révoltes d’esclaves régulières, furent monnaie courante pendant près de 76 ans. Étant dans l’incapacité de contrôler l’ensemble de l’île, ni de reconquérir Cockpit Country, une bonne partie du territoire jamaïcain resta sous la domination de ces Africains des Amériques.  Les Nègres Marrons utilisaient principalement des techniques de guérilla et utilisaient  beaucoup d’éclaireurs qui faisaient retentir l’abeng (la corne de vache, utilisée comme une trompette) pour avertir de l’approche des soldats britanniques. Cela permit à ces communautés afro-centrées de se soustraire, de contrecarrer, de frustrer, et de vaincre les forces d’un empire colonial.

Localisation du Cockpit Country où s’étaient établis les Nègres Marrons.

Le temps des révoltes

Entre 1673 et 1690, de nombreuses révoltes d’esclaves éclatèrent un peu partout sur l’île. Ces insurrections étaient souvent le fait de ce que l’on appelait les Coromantins, des hommes et des femmes originaires de l’Empire Ashanti, un état hautement militarisé. Deux de ces révoltes sont particulièrement importantes dans l’histoire du marronnage :

  • La révolte de la paroisse de Sainte Ann de 1673, impliquant plus de 200 esclaves, donnera naissance aux Leeward Maroons [3]. Ces derniers s’uniront à des malgaches déportés ayant survécu au naufrage d’un navire négrier et bâti leur propre communauté.
  •  La révolte des paroisses de Sutton et de Clarendon du 31 juillet 1690, impliquant 500 esclaves qui renforceront les rangs des Leeward Maroons.

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La Première Guerre des Nègres Marrons

La situation devenait trop inquiétante pour les autorités britanniques. Elles furent donc dans l’obligation de dépêcher des troupes supplémentaires à la Jamaïque en septembre 1728, afin de mater la rébellion afro. Fidèles à la maxime « diviser pour mieux régner » qui à de multiples reprises leur assurera la victoire, les Britanniques commencèrent dès 1730, à briser les lignes de communication entre les Windward et les Leeward Maroons. Mais comme toujours, le génie militaire et la nature du terrain donnèrent aux Nègres Marrons un sérieux avantage sur leurs ennemis.

nègres marrons
Les Marrons en embuscade sur le Domaine Dromilly, par J. Mérigot d’après François Jules Bourgoin (1801).

Du côté des Windward Maroons, les Britanniques parvinrent tout de même à raser Nanny Town en 1734 [4]. Néanmoins, cela ne fit que disperser les Marrons ailleurs sur l’île. Les Leeward Maroons, sous le leadership du Capitaine Cudjoe (correspondant au nom Akan Kodjo), décrit comme « le plus grand des chefs Marrons » [5], résistèrent vaillamment  aux troupes coloniales, car très entraînés et organisés.

Le traité de paix entre britanniques et Nègres marrons de la Jamaïque

Finalement, le gouvernement britannique finit par se rendre à l’évidence. Il ne pourra jamais vaincre les Nègres Marrons dans cette guerre asymétrique [6]. Un premier accord de paix fut proposé au Capitaine Cudjoe, mais il le rejeta en 1734, puis de nouveau en 1736. Deux ans plus tard, Cudjoe accepta, tout compte fait, de ratifier le traité au nom des Leeward Maroons.

« Pacification avec les Nègres Marrons dans l’île de la Jamaïque » d’Agostino Brunias (1803).

Ce document paraphé par John Guthrie et Samuel Adler  garantissait à Cudjoe et ses hommes un peu plus de 6 km² de terre entre leurs bastions de Trelawny Town et d’Accompong. De plus, les Leeward Maroons bénéficieraient d’une certaine autonomie politique et d’une relative liberté économique. Toutefois, en contrepartie, les Nègres Marrons s’engageaient à :

  • apporter un soutien militaire en cas d’invasions ou de rébellions d’esclaves
  • accepter l’affectation d’un surintendant britannique dans chaque communauté de Nègres Marrons
  • livrer les esclaves fugitifs en échange d’une prime de 30 Shillings par tête

Même si les esclaves fugitifs trouveront, malgré tout, encore refuge dans les communautés Nègres Marrons, cette dernière clause du traité engendra des tensions entre les Marrons et la population noire asservie. « Diviser pour mieux régner » disions-nous plus haut…

« Le vieux Cudjoe faisant la paix » de Robert Charles Dallas (1803).

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Que disait le traité ?

Voici, traduit par NOFI, les articles de pacification avec les Marrons de la ville de Trelawney de 1738 [7]:

Au nom de Dieu, Amen,

Alors que le Capitaine Cudjoe, le Capitaine Accompong, le Capitaine Johnny, le Capitaine Cuffee [correspondant au nom Akan Koffi, NDLR], le Capitaine Quaco [correspondant au nom Akan Kwakou, NDLR] et plusieurs autres nègres, leurs personnes à charge et partisans, ont été dans un état d’hostilité depuis plusieurs années, contre notre souverain seigneur le roi, et les habitants de cette île; Et considérant que la paix et l’amitié entre les hommes, et la prévention de l’effusion de sang est agréable à Dieu, conforme à la raison et désirée par tout bon homme; Et considérant que Sa Majesté George Second, le roi de Grande-Bretagne, de France et d’Irlande, et Seigneur de la Jamaïque, Défenseur de la Foi, etc. a,  par ses lettres patentes, datées du vingt quatrième jour de février mille sept cent trente-huit, dans la douzième année de son règne, accordé le pouvoir et l’autorité à John Guthrie et à Francis Sadler, Écuyers, de négocier et finalement de conclure un Traité de paix et d’amitié avec le Capitaine Cudjoe précité, et le reste de ses capitaines, partisans et d’autres hommes; Ils ont mutuellement, sincèrement et à l’amiable accepté les articles suivants :

Tout d’abord,

Que toutes hostilités cessent des deux côtés pour toujours.

Deuxièmement,

Que ledit Capitaine Cudjoe, le reste de ses capitaines, partisans et hommes, seront éternellement ci-après dans un parfait état d’indépendance et de liberté, à l’exception de ceux qui ont été enlevés par eux, ou ont fuit vers eux, dans les deux dernières années, si ceux-ci sont disposés à retourner à leurs dits maîtres et propriétaires, avec plein pardon et garantie de leurs maîtres ou propriétaires pour ce qui s’est passé; À condition toutefois que, s’ils ne veulent pas revenir, ils doivent être soumis au Capitaine Cudjoe et en amitié avec nous, selon la forme et la teneur de ce traité.

Troisièmement,

Qu’ils jouiront et posséderont, pour eux-mêmes et pour toujours, toutes les terres situées et comprises entre la ville de Trelawney et les Cockpits, pour un montant de quinze cents acres [environ 6 km², NDLR], au nord-ouest de ladite ville de Trelawney.

Quatrièmement,

Qu’ils auront la liberté de cultiver sur lesdites terres du café, du cacao, du gingembre, du tabac et du coton, et d’élever des bovins, des porcs, des chèvres ou tout autre troupeau, et disposeront de la production ou du profit des dits produits auprès des habitants de cette île; À condition que, lorsqu’ils portent les marchandises mentionnées sur le marché, ils appliquent les douanes, ou demandent à tout autre magistrat des paroisses respectives où ils exposent leurs marchandises à la vente, pour obtenir une licence pour la vendre.

Cinquièmement,

Que le capitaine Cudjoe, tous ses partisans, et les gens désormais soumis à lui, doivent vivre tous ensemble dans les limites de la ville de Trelawney, et qu’ils auront la liberté de chasser où ils le jugent bon, à moins de trois miles [environ 4,8 km, NDLR] de n’importe quel campement ou enclos; À condition que, dans le cas où les chasseurs du capitaine Cudjoe et ceux des autres communautés se rencontrent, les porcs seront également répartis entre les deux parties.

Sixièmement,

Que le Capitaine Cudjoe et ses successeurs doivent faire tout leur possible pour prendre, tuer, supprimer ou détruire, soit par eux-mêmes, soit conjointement avec tout autre nombre d’hommes, commandé par à ce service par son Excellence, le Gouverneur, ou le commandant en chef pour le moment, tous les rebelles où qu’ils soient, dans toute cette île, à moins qu’ils ne se soumettent aux mêmes conditions d’accommodement accordées au Capitaine Cudjoe et à ses successeurs.

Septièmement,

Que, dans le cas où cette île est envahie par un ennemi étranger, le Capitaine Cudjoe et ses successeurs désignés ou nommés ci-après doivent alors, sur avis donné, être immédiatement affectés dans tout lieu que le gouverneur nomme, afin de repousser lesdits envahisseurs avec la plus grande force possible et de se soumettre aux ordres du commandant en chef à cette occasion.

Huitièmement,

Que si un homme blanc doit faire des blessures au Capitaine Cudjoe, à son successeur ou à l’un de ses siens, il doit s’adresser à tout commandant ou magistrat des parages pour la justice; Et dans le cas où le Capitaine Cudjoe, ou n’importe lequel de son peuple, fera des blessures à toute personne blanche, il se soumettra ou délivrera de tels délinquants à la justice.

Neuvièmement,

Que si les nègres échappent ci-après à leurs maîtres ou à leurs propriétaires, et tombent entre les mains du Capitaine Cudjoe, ils doivent immédiatement être renvoyés au magistrat en chef de la paroisse la plus proche où ils seront capturés; Et ceux qui les amènent doivent être satisfaits par rapport à leurs ennuis, au moment où le législateur les arrangera [L’assemblée a accordé au Nègres Marrons une prime de 1.7€ pour chaque esclave fugitif ramené chez son propriétaire, NDLR].

Dixièmement,

Que tous les nègres capturés, depuis la levée de ce parti par le peuple du Capitaine Cudjoe, doivent immédiatement être renvoyés.

Onzièmement,

Que le Capitaine Cudjoe et ses successeurs doivent être au service de Son Excellence, ou du commandant en chef, si cela s’avère nécessaire.

Douzièmement,

Que le Capitaine Cudjoe, durant sa vie, ainsi que les capitaines qui lui succèdent, auront le pouvoir d’infliger tout châtiment qu’ils jugent approprié pour les crimes commis par leurs hommes entre eux, la mort exceptée; Dans ce cas, si le Capitaine pense qu’ils méritent la mort, il sera obligé de les porter devant un juge de paix, qui précédera à leur procès équivalent à celui d’autres nègres libres.

Treizièmement,

Que le Capitaine Cudjoe avec son peuple, doivent couper, nettoyer et garder les routes ouvertes, larges et praticables dans  les villes de Trelawney, de Westmorland et de St. James, et si possible à St. Elizabeth’s.

Quatorzièmement,

Que deux hommes blancs, nommés par Son Excellence, ou le Commandant et Chef pour le moment, doivent constamment vivre et résider avec le Capitaine Cudjoe et ses successeurs, afin de maintenir une entente amicale avec les habitants de cette île.

Quinzièmement,

Que le Capitaine Cudjoe sera, durant sa vie, le Commandant en chef de la ville de Trelawney; Après son décès, le commandement sera transmis à son frère, le Capitaine Accompong; Et en cas de décès, à son frère suivant, le Capitaine Johnny ; Et, à défaut, le Capitaine Cuffee lui succédera; Qui devra être remplacé par le Capitaine Quaco; Et après toutes leurs démarches, le gouverneur ou le commandant en chef, pour le moment, nommera, de temps à autre, celui qu’il juge approprié pour ce commandement.

En témoignage de ce qui précède ci-dessus, nous avons signé de nos mains et scellé du jour et de la date indiquée ci-dessus.

Signé :

John Guthrie

Samuel Sadler

La marque « X » du Capitaine Cudjoe

Conséquences

Avec le temps, Cudjoe fut de plus en plus désabusé. Les querelles avec ses lieutenants et les autres communautés de Nègres Marrons se multiplièrent. Pour ce vieux Coromantin, fatigué par des décennies de conflits armés, le traité de paix constituait une sortie de crise honorable. Un an plus tard, les Windward Maroons, encore bien plus farouches que leurs frères Leeward de la ville de Trelawny signèrent eux aussi un traité. Mais le mécontentement face à ces accords de paix mena à la Seconde Guerre des Nègres Marrons (1795-1796), mais ça c’est une autre histoire…

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Notes et références :

[1] Le nom Jamaïque vient de Xamayca (prononcé « Chamaïca » en espagnol ancien). Ce terme signifie « la terre du bois et de l’eau« , en langue Arawaks,  ce peuple d’Amérique du Sud qui a colonisé l’île vers les années 1000.

[2]  Les Windward Maroons ou Nègres Marrons « au vent« , indiquant qu’ils se trouvaient du côté d’où souffle le vent en direction en Jamaïque. Ils ont résisté avec détermination à leur conquête lors des deux Guerres des Nègres Marrons.

[3] Les Leeward Maroons ou Nègres Marrons « sous le vent« , indiquant qu’ils se trouvaient du côté opposé à celui d’où souffle le vent en Jamaïque.  Ils ont résisté avec détermination à leur conquête lors des deux Guerres des Nègres Marrons.

[4] Old Nanny Town était un village du nord-est de la Jamaïque. Il faisait figure de bastion des Nègres Marrons jamaïcains. Cette communauté était sous l’autorité de la Reine Nanny. Après avoir farouchement résisté aux assauts des forces coloniales Nanny Town fini par être détruite en 1734. [2]

[5] J. A. Rogers ~ « Captain Cudjoe, World’s Great Men of Color, Volume 2« . Simon and Schuster (2010).

[6] Une guerre asymétrique est un conflit opposant la force armée d’un État à des combattants matériellement insignifiants. Ces derniers utilisent les points faibles de l’adversaire pour parvenir à leur but souvent politique. Lorsque l’on parle de guerres asymétriques, on fait généralement référence aux  guerres d’indépendance, au terrorisme ou la guérilla.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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