L’empire ashanti

Le peuple ashanti (ou asante) vit principalement dans l’actuel Ghana. Il est lui-même un sous-groupe du peuple akan, qui comprend les Agni, Baoulé, Nzema, Fante, Akwapem, etc. de Côte d’Ivoire et du Ghana.

Par Sandro Capo Chichi

L’apparition d’un « peuple » ashanti est cependant récente. Ce nom n’apparaît en effet qu’au XVIIe siècle, dans les textes des marchands européens.

Les origines

L’histoire des Ashanti aurait commencé par la migration de groupes akan vivant sur la côte, peut-être à côté d’ancêtres des Fanti et de Nzema modernes pour établir, au milieu du XVIIe siècle, une série de royaumes et de chefferies dans une région comprenant la ville de Kumasi. Cette région est alors habitée par les Inta, une population qui n’a pu encore être identifiée avec certitude : peut-être appartenait-elle à la population akan ou à la population guan. L’un des groupes akan immigrés, celui des Oyoko, est aussi le dernier arrivé dans la région.
Dans la ville prospère d’Asantemanso, une guerre civile éclate entre Oyoko et Domaa et Aduana d’autre part. Asantemanso est détruite, et ses habitants doivent à nouveau émigrer. Une nouvelle fois, les Oyoko arrivent les derniers sur le territoire de l’actuelle Kumasi, alors appelée « Kwaman » et habitée par des populations vraisemblablement akan, ou du moins « akanisées ». C’est soit sous le règne du chef oyoko Oti Akenten, soit sous celui de ses successeurs Obiri Yeboah et Osei Tutu que la ville de Kwaman fut rebaptisée Kumasi, peut-être en référence à un arbre kum, sous lequel le site aurait été fondé.

L’émergence de la confédération asante

Malgré quelques expansions territoriales autour de Kumasi, et de l’assimilation des populations vaincues, les Oyoko et les autres groupes akan de la région sont, vers 1660, sous la domination du puissant État akan méridional de Denkyira, qui domine aussi des populations plus au sud. L’oppression du Denkyira sur ses tributaires et son monopole du commerce côtier avec les Européens entraînent une volonté d’unité parmi les peuples akan, pourtant disparates, de la région de Kumasi. Cette disparité pourrait être à l’origine du nom « ashanti ».
Se moquant de la mobilisation des peuples de la région de Kumasi, le roi de Denkyira aurait déclaré qu’ils n’existaient qu’« à cause de la guerre » (a san ti en langue locale) contre lui. Ces derniers auraient alors conservé l’expression pour se nommer. A l’arrivée au pouvoir du chef oyoko Osei Tutu, à la fin du XVIIe siècle, les Oyoko vont accroître leur puissance par la conquête, l’incorporation des vaincus, la diplomatie et l’élimination systématique des rebelles.
Afin de renverser le joug denkyira, Osei Tutu parvient à convaincre les autres chefs de la région de créer une fédération pouvant à la fois vaincre le Denkyira, et constituer une puissance unifiée dans le futur.
A l’argument politique s’ajoute un argument mystique. Selon la légende, Okomfo Anokye, le prêtre et conseiller d’Osei Tutu, prédit alors qu’un siège d’or contiendra l’âme de tous les peuples unis et de la future confédération. Après qu’il a fait descendre du ciel le siège d’or sur les genoux d’Osei Tutu, ce dernier est reconnu comme chef de la confédération dont, avec Okomfo Anokye, il établira la constitution.

Osei Tutu était un otage, partie d’un tribut envoyé à la cour royale de l’État du Denkyira. Accusé d’avoir mis enceinte une princesse de sang royal il doit fuir vers l’État d’Akwamu puis vers Kwaman, quand son oncle, le chef Obiri Yeboah, meurt. Il le remplace à la tête de l’État de Kwaman. Au début de son règne, un hors-la-loi fuit le Denkyira pour se réfugier à Kwaman. Le roi de Denkyira, Ntim Gyakari, réclame qu’Osei Tutu le lui rende. Osei Tutu refuse, ce qui déclenche une guerre entre les deux États.
Lors de son exil à Denkyira et à Akwamu, Osei Tutu a l’occasion d’observer et de s’inspirer de ces deux puissances militaires. Ces connaissances, comme le rôle stratégique et mystique d’Okomfo Anokye, joueront un grand rôle dans la victoire décisive de l’Ashanti sur le Denkyira lors de la bataille de Feiyase en 1709. Le Denkyira est alors intégré à la confédération ashanti en tant que tributaire de l’Asanteman (la nation ashanti).

L’expansion territoriale

Après quelques conquêtes territoriales, notamment en pays akyem et adanse, Osei Tutu meurt vers 1710, peut-être brièvement succédé sur le trône par un autre roi. Après cette période, qui coïncide avec une défaite des Ashanti contre les Akyem, Opoku Ware et Boa Kwatia se disputent le trône, qui reviendra au premier en 1720.
Les guerres menées par Opoku Ware en territoire fante voient les migrations vers l’est d’une partie de ces populations, ancêtres des Gen-Mina de l’actuel Togo-Bénin.
Alors qu’Osei Tutu en est le fondateur, Opoku Ware est le premier conquérant significatif du royaume. Son règne, qui s’étend jusqu’en 1750, voit une expansion territoriale de l’Ashanti dans toutes les directions. La succession d’Osei Tutu par Opoku Ware a d’importantes conséquences pour la succession des futurs rois ashanti.

À l’origine, le trône de l’Ashanti doit passer de frère en frère ou, le cas échéant, de frère au fils de la sœur.
Toutefois, Osei Tutu n’ayant pas de descendant de sa lignée paternelle, il nomme comme successeur Opoku Ware, issu de sa lignée maternelle. Dès lors, les rois ashanti doivent obligatoirement être des descendants de la mère d’Osei Tutu, et en second lieu de sa lignée paternelle ou de celle d’Opoku Ware.

Alors que la victoire d’Osei Tutu sur les Domaa a conduit à la migration d’une partie de ces derniers vers l’actuelle Côte d’Ivoire, où ils fondent le royaume de Gwaman, le règne d’Opoku Ware voit les Ashanti responsables d’une autre migration. Ainsi, la reine Abla Pokou, parente d’Opoku Ware, aurait émigré dans l’actuelle Côte d’Ivoire où ses suivants formeront le peuple baoulé. C’est peut-être aussi sous ce nom que d’autres Akan originaires du Denkyira et du Tekyiman ont migré en Côte d’Ivoire pour devenir les Agni. La principale conquête du règne d’Opoku Ware est celle des puissants royaumes de Bono, royaume d’origine de tous les Akans, et de Begho.
Ce règne verra aussi l’ouverture de l’Ashanti à de nouveaux marchés tels que celui des esclaves, de l’ivoire et du textile. En raison de l’expansion territoriale du royaume, Opoku Ware tente quelques réformes. Toutefois, celles-ci, impopulaires aux yeux des chefs, entraînent des complots sur la personne du roi. Après un conflit civil, Opoku Ware reprend le pouvoir, mais meurt en 1750 à la tête d’un État fragile.

Le XVIIIe siècle

A la mort d’Opoku Ware, le trône est disputé entre son successeur désigné, Dako, et Kusi Obodum, tous deux héritiers de Manu, la mère d’Osei Tutu. Après un affrontement violent, Kusi Obodum accède au trône en 1750. Il hérite de l’équilibre précaire du règne de son prédécesseur : le royaume est menacé au sud par des provinces sécessionnistes qui, par la même occasion, empêchent son contrôle du commerce côtier. L’Ashanti fera appel au royaume de Dahomey dont l’armée – notamment composée de femmes, et peut-être aidée de celle de l’Empire d’Oyo – inflige une sévère défaite aux Ashanti.
Sous la pression de chefs mécontents de sa gestion, Kusi Obodum accepte la destitution. Parce que son règne ne sera pas aussi décisif pour l’histoire du royaume que celle d’Osei Tutu, les prochains rois d’Ashanti, en plus d’être descendants de Manu, devront, à tour de rôle, être issus de la lignée patrilinéaire d’Osei Tutu et d’Opoku Ware, les deux véritables fondateurs de la confédération Ashanti.
Osei Kwadwo, un petit-fils d’Opoku Ware, succède à Kusi Obodum. Son règne est assez obscur. Il semble avoir initié plusieurs changements administratifs. A l’interrègne entre Osei Tutu et Opoku Ware, en 1718, alors que celui-ci était en guerre contre les Akyem, la cité royale de Kumasi fut mise à sac par Ebiri Moro, général de l’État akan d’Aowin. Cette agression pourrait avoir contraint certains membres de la famille royale à se réfugier dans la cité ashanti de Mampon. Osei Kwame, descendant d’une princesse ashanti et d’un chef ashanti de Mampon, succède à Osei Kwadwo. Aidé par l’actuel chef de Mampon de troupes akan d’ethnie bron, il défait les ambitions des autres prétendants : le roi de Kokofu, Kyei Kwame, et l’héritier désigné du trône Opoku Kwame, trop jeune pour régner. Il s’agit donc d’une entrave à l’alternance entre descendants de lignée patrilinéaire d’Osei Tutu et d’Opoku Ware.
On l’a vu, la femme a un rôle primordial dans la royauté ashanti. Le roi doit ainsi descendre de la famille de la mère du premier roi, Osei Tutu. En outre, le roi – et c’est le cas de tous les chefs ashanti – doit régner avec une reine-mère. C’est elle qui choisit un héritier issu de son lignage. Elle n’est ni la mère ni l’épouse du roi, mais plutôt son partenaire de règne. Tant que l’héritier désigné est mineur, c’est elle qui assume le pouvoir.

Le début du règne d’Osei Kwame se déroule dans ce cas de figure. A sa majorité, un conflit l’oppose à la reine-mère Konadu Yaadom, qui entend imposer son fils Opoku Fofie sur le trône. Il existe différentes explications à l’opposition de la reine-mère au règne d’Osei Kwame : un attachement à l’islam, le non-déroulement du festival de l’Odwira en 1802, son déplacement temporaire de la capitale de Kumasi à Juaben, une accusation d’inceste, etc. Toujours est-il qu’Osei Kwame est destitué en 1803 et remplacé sur le trône par Opoku Fofie, qui restaure l’alternance originelle des héritiers de la lignée paternelle d’Osei Tutu et d’Opoku Ware.
Mais le nouveau roi meurt quelque mois plus tard. Osei Kwame est accusé du crime. Il se suicide et Konadu Yaadom place sur le trône un autre de ses fils, Osei Bonsu.

Le XIXe siècle

En 1806 ont lieu les premiers heurts entre Ashanti et Britanniques. Osei Bonsu est en conflit avec un individu d’un État assin tributaire de l’Ashanti. Celui-ci cherche alors refuge en pays fante, au sud du royaume. Le chef fante refusant de se rendre, Osei Bonsu marche sur le pays fante et remporte des victoires sur les Britanniques présents sur la côte. Mais il doit se retirer devant les armes à feu britanniques. Le roi ashanti aurait ainsi perdu plus de 3000 hommes. Les Britanniques acceptent toutefois la souveraineté des Ashanti sur la région fante.

En 1809 meurt la reine-mère Konadu Yaadom. Elle est remplacée par Adoma Akosua. Cette dernière, lors d’une campagne d’Osei Bonsu contre le pays gwaman, aurait tenté de l’assassiner en lui jetant un sort, avec l’aide de certaines de ses épouses. Au retour de sa campagne victorieuse, Osei Bonsu exécute les coupables et remplace sa reine-mère par Amaa Sewaa.
Le conquérant ashanti meurt en 1823 de maladie. Son successeur, Osei Yaw, de peur de se voir ravir le pouvoir par son rival Kwaku Dua, emporte le siège d’or, support de l’âme de la nation et symbole de l’unité de sa population en guerre contre les Britanniques et les Fante. Il y subit une lourde défaite en 1826, lors de la bataille de Katamanso où il perd le siège d’or. Ce dernier est retrouvé par son rival, Kwaku Dua, qui est aussi le fils de la reine-mère Amaa Sewaa. A son retour de cette campagne désastreuse, Osei Yaw sombre dans la déchéance, avant de mourir au terme d’une fin de règne chaotique et contesté, en 1833. Il se verra remplacé par Kwaku Dua. Bien qu’étant issu d’une lignée maternelle légitime, il est le premier roi ashanti à ne pas appartenir à la lignée d’Osei Tutu ou d’Opoku Ware. La reine-mère de Kwaku Dua, Afua Sapon, est sa sœur.
Les deux frères et sœurs veulent installer sur le trône Osei Kwadwo, le fils d’Afua Sapon. Mais la fille d’Afua Sapon, Afua Kobi, convainc Kwaku Dua que sa sœur et son neveu en veulent à sa vie. Elle y parvient, et Kwaku Dua les exile de manière permanente et les condamne à la mort. Il installe Afua Kobi comme reine-mère. Kwaku Dua essaie ensuite d’établir son rôle d’ancêtre royal légitime pour les futures générations de rois ashanti.
Caractérisé par la mise à mort d’opposants politiques, le règne de Kwaku Dua l’est aussi par l’occupation de terres proches de la côte et sous contrôle britannique, ce qui crée des tensions entre les deux puissances.

A sa mort, en 1867, son petit-fils et successeur désigné Agyeman Kofi étant trop jeune pour régner, c’est un fils d’Afua Kobi, Kofi Karikari qui monte sur le trône. Sous son règne, des états de la confédération comme l’Adansi et Juaben feront sécession, suite à des désaccords avec Kumasi. L’économie du royaume s’effondre, notamment à cause de la prodigalité du roi et de certains Fante qui, profitant de l’anarchie en cours, se font passer pour des représentants du Royaume-Uni pour collecter d’importantes sommes d’argent auprès du peuple et critiquer l’économie traditionnelle du royaume.
En 1873, après que les Britanniques ont pris le contrôle d’une partie du territoire ashanti revendiqué par les Néerlandais, les Ashanti l’envahissent à leur tour. Les Britanniques répliquent en envahissant, occupant, pillant et en brûlant Kumasi en 1874. Après cette défaite, la plus grande qu’ait connue l’Ashanti, Kofi Kakari est destitué et remplacé par son jeune frère Mensa Bonsu.
Tandis que les chefs de Kumase le poussent à venger la défaite de 1874 contre les Britanniques, le début de son règne, pacifique et prudent, est consacré au rééquilibre des finances du royaume et à une réintégration des états sécessionistes dans la confédération. En 1877, Kofi Kakari, exilé, tente contre son frère un coup d’État qui avorte. Mensa Bonsu lui laisse la vie sauve.
Toutefois, après une tentative d’assassinat, le règne de Mensa Bonsu devient de plus en plus oppressif. Les chefs, soutenus par les Britanniques, se rebellent alors contre le roi qui est destitué. Kofi Kakari revendique à nouveau le trône, mais doit composer avec l’héritier désigné, Kwaku Dua Kuma. Les deux sont en conflit jusqu’à la nomination du second en 1884. Mais deux mois plus tard, Kwaku Dua Kuma meurt de maladie. Et deux semaines après, c’est Kofi Kakari qui est assassiné.

Après un interrègne marqué par de nombreux conflits civils, Agyeman Prempeh est nommé roi en 1888. Il s’attache à restaurer la paix et l’équilibre économique du pays. Il s’unit avec le nouvel empire du Wassoulou de Samory Toure, ce qui va entraîner la méfiance des Britanniques.
Ceux-ci, après les refus répétés de Prempeh que l’Ashanti devienne un protectorat britannique, marchent sur Kumasi qu’ils occupent une seconde fois, en 1896. Prempeh, sa reine-mère Yaa Kyaa et ses proches sont exilés en Sierra Leone puis aux Seychelles. Malgré une tentative infructueuse de rebellion menée par la reine-mère de l’État ashanti d’Ejisu, Yaa Asantewaa, c’est la fin de l’Ashanti indépendant, désormais intégré dans l’empire britannique.

Bibliographie :
Tom McCaskie, State and Society in Pre-Colonial Asante, Cambridge. University Press, 1995.
Gérard Pescheux, Le royaume asante (Ghana) : parenté, pouvoir, histoire, XVIIe -XXe siècles, Paris, Karthala,‎ 2003.

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