Le royaume de Kouch durant la colonisation égyptienne

Après avoir vaincu les Hyksos qu’ils parviennent à chasser hors de leur pays, les pharaons égyptiens s’attachent à reconquérir la Nubie qui leur échappe depuis la XVIIe dynastie, au profit du royaume de Kouch.

Certaines de leurs anciennes forteresses, notamment celles donnant accès à des mines d’or, sont récupérées et transformées en villes fortifiées. La conquête égyptienne se portera toutefois plus au sud que la seule Nubie, jusqu’à la quatrième cataracte, aux alentours de la ville de Napata. Il s’agira, ici, de nous intéresser aux populations de cette période de la Nubie, à leur gestion administrative et à leur culture. Sandro Capochichi, Paris, le 15/10/13.
I. L’Histoire de la conquête de la Nubie par l’Égypte (XVIe – XIe siècle avant J.-C.)

L’histoire, de la conquête de la Nubie au Nouvel Empire égyptien, est essentiellement connue grâce aux travaux d’archéologues et aux documents écrits égyptiens. L’un d’entre eux, la biographie d’un général égyptien, Ahmose, fils d’Ibana, en exercice sous les règnes des pharaons égyptiens Ahmosis Ier, Amenophis Ier et Thoutmosis Ier, entre 1552 et 1506, nous est particulièrement utile pour la connaissance des débuts de cette conquête.

 

  1. 1. La révolte d’Aata et le début de la colonisation

Après avoir chassé les Hyksos, le pharaon égyptien Ahmosis (1552-1526 avant notre ère) tourne son attention vers la Nubie. Le territoire de Wawat en Basse Nubie est rapidement ré-occupé militairement ; Bouhen, à l’instar d’autres anciennes forteresses, devient une ville fortifiée, nommée centre administratif de l’Égypte en Nubie.

Une campagne est menée vers le Khent en Nefer, un territoire non identifié de Nubie, mais qui pourrait correspondre au royaume de Kouch et à ses environs immédiats[1]. Sa victoire n’est que de courte durée car Ahmosis doit peu après mater une révolte contre un dénommé Aata, qui est peut-être un successeur de Nedjeh à la tête de Kouch. Ahmosis sortit à nouveau victorieux de la confrontation et établit la domination égyptienne sur la Basse Nubie.
1.2. La résistance

Sous le règne d’Aménophis I, le successeur d’Ahmosis en Égypte, la Nubie semble être pacifiée, comme l’attestent les seules mentions d’une campagne contre les archers nomades appelés « Iountyou », et d’une autre campagne contre Kouch.
La situation s’envenime quelque peu sous le règne du pharaon suivant, Thoutmosis Ier. Le roi de Kouch mène alors une révolte sans succès contre l’autorité égyptienne. Thoutmosis attaque la ville de Kerma, dont il détruit la deffufa occidentale, fonde un site fortifié (aujourd’hui appelé Doukki Gel) à un kilomètre au sud de Kerma, et avance jusqu’à la quatrième cataracte où il laisse une stèle démarcative du sud de son territoire.

Le royaume de Kouch existe toutefois toujours, malgré la réduction considérable de son territoire ; la deffufa occidentale est notamment reconstruite après le retrait des Égyptiens.

Le successeur de Thoutmosis I en Égypte, Thoutmosis II, doit également, dès la première année de son règne, mater une révolte menée par une coalition du roi de Kouch et d’autres princes de Nubie plus au nord.

Cette campagne garantit une relative paix en Nubie durant les règnes de la pharaonne égyptienne Hatchepsout. Les armées de son successeur Thoutmosis III détruisent la ville de Kerma et entraînent sa dépopulation vers le site de Doukki Gel. Sous le règne de Thoutmosis IV, les hostilités reprennent pour culminer sous Akhenaton et sa fameuse expédition punitive en Nubie, à la jonction du Nil et du Wadi Allaqi, en réponse à la nouvelle selon laquelle les Kouchites se seraient emparés de provisions. 80 Kouchites y furent empalés, 145 captifs emmenés en Égypte avec 361 têtes de bétail. Il est toutefois intéressant de noter que le père et prédécesseur d’Akhénaton, Aménophis III, lors d’une campagne contre Kouch, aurait fait 30 000 prisonniers qu’il aurait relâchés, sa volonté n’étant pas d’exterminer « la semence de Kouch »[2].

Quelques années plus tard, sur les reliefs de la tombe du pharaon Horemheb, sont dépeintes des populations méridionales emmenées comme captives en Égypte en tant que partie des « bénévolences » venant du Sud, et ne sont donc probablement pas à interpréter comme le résultat d’une campagne militaire[3]. Sous les pharaons Séti Ier et Ramses II, c’est le pays d’Irem, à la localisation incertaine mais dont la frontière méridionale s’étend vraisemblablement jusqu’à la cinquième cataracte, qui se soulève contre le pouvoir pharaonique mais voit en contrepartie, sous les deux règnes, la déportation de plus de 7 000 prisonniers. Sous Merenptah, leur successeur, ont lieu de nouvelles révoltes dans les pays d’Irem et d’Akita[4].

 

Le dernier témoignage nous étant parvenu d’une révolte nubienne, à la fois des populations de Wawat et de Kouch, provient du règne de ce roi.
1.3. Déclin et fin de la domination égyptienne sur la Nubie

Plus tard, à la fin de la XIXe dynastie, les conflits entre Égypte et Nubie se manifestent plutôt par le biais d’un « partage » du territoire pharaonique entre prétendants au pouvoir égyptien. Ainsi, Amenmes, qui est probablement un fils de Seti II, conteste le pouvoir de ce dernier en Haute Égypte, puis en Nubie. Plus tard, sous le règne du pharaon Ramses XI, Panehesy, le dernier fils royal de Kouch, intervient en Haute Égypte avec des troupes kouchites pour rétablir l’ordre en Haute Égypte, où il prend le pouvoir. Celui-ci est toutefois remis en question par Herihor, officiellement Grand Prêtre d’Amon mais, de facto, le souverain de l’Égypte. Ne pouvant tolérer la présence politique de Panehesy, il lui déclare la guerre. Panehesy est le dernier fils royal de Kouch, et la colonisation égyptienne de la Nubie se termine dans ce climat d’instabilité politique.

 

L’organisation politique de la Nubie sous colonisation égyptienne

Lors de sa reconquête par les pharaons du Nouvel Empire, son administration est confiée au « fils royal (de Kouch) », qui, contrairement à ce qu’indiquerait son nom, contrôle, au nom du pouvoir égyptien, les territoires de Wawat et de Kouch. Recruté dans l’administration égyptienne et possédant une résidence principale en Égypte, il administre parfois les troupes égyptiennes stationnées en Nubie[5]. Il est également secondé par un député de Wawat et un député de Kouch, qui sont, eux, souvent de souche indigène[6].

Le contrôle de la région, riche en or et en produits exotiques, est basé sur la confiscation des terres et la fin de leur exploitation par des populations locales, ce qui semble avoir été fructueux pour le pouvoir central égyptien[7].

 

La population de la Nubie durant la colonisation égyptienne

Il n’y a aucune raison de supposer que le noyau ethnique de la Nubie égyptienne est différent de celui précédant la colonisation. En Basse Nubie, le territoire de Wawat, autour des chefferies de B3kt (Kuban), de Miam (actuelle Aniba) et de Teh-Khet (Debeira), devait être essentiellement composé de populations du Groupe C, d’une langue et d’une culture similaires à celles des ancêtres des Nara de l’actuelle Érythrée. De récentes études archéologiques ont montré qu’il s’agissait de populations réputées pour leurs qualités militaires mais aussi sportives, telles la danse[8].

À côté se trouvent aussi des témoignages des populations de culture « Pan Grave », qui correspondent peut-être aux Medjay des textes égyptiens, populations guerrières du désert oriental qui auraient notamment contribué à la victoire des Égyptiens sur les Hyksos.

Les populations Medjay ont été rapprochées des Bedja de l’actuel Soudan[9] et, plus récemment, bien que de manière plus spéculative, des ancêtres des Somalis modernes[10].

En Haute Nubie, on peut penser que le cœur de la population n’était pas différent de celui de la période du Kerma classique où les crânes des populations semblent avoir été plus proches dans un ordre de similarité, des populations du groupe C, que des Tigre de l’actuelle Éthiopie, des populations somaliennes et kényanes modernes, et d’Égyptiens anciens[11].

La colonisation égyptienne de la Nubie a d’abord vu l’immigration de populations égyptiennes apparemment en minorité, bien que détentrices du pouvoir[12]. Bien plus marginales encore semblent avoir été l’immigration de populations externes, tels que les Cananéens établis par Amenophis III à Kouch, ou celle des Tjemehu (Africains au nord-ouest de la Vallée du Nil) capturés par Setau, le fils royal de Kouch, pour les aider à construire un temple.

 

Les langues en vigueur

À côté de la langue des Kouchites (l’ancêtre du futur méroïtique), de la langue du groupe C (appartenant à la famille nilo-saharienne) et celle des populations de culture « pan graves » (peut-être de la famille afro-asiatique), on peut penser qu’auraient peut-être existé les prémisses d’une nouvelle variété locale de l’égyptien ancien, appris par les populations locales, appelée « napatéen ».

 

La culture en Nubie égyptienne

L’une des sources majeures de la période de la colonisation égyptienne en Nubie ancienne est le site de Doukki Gel, situé à 1 kilomètre de Kerma, et appelé Pnoubs (littéralement le jujubier) en égyptien ancien[i]. Cette ville, investie par le pharaon Thoutmosis Ier après sa prise de Kerma, était, semble-t-il, un site d’importance pour les Kouchites avant leur arrivée.

 

L’étude archéologique du site semble mettre en évidence des fortifications autour du site. Elles auraient ensuite été détruites lors de la reprise du pouvoir d’un roi local, puis rebâties, probablement par les Égyptiens. Elles perdureront pendant le reste de la colonisation égyptienne et au-delà.

 

D’un point de vue de l’archéologie religieuse, une série de temples de tradition égyptienne semble coexister avec un temple de tradition typiquement kouchite. Ce maintien d’un temple indigène témoigne peut-être d’une volonté des conquérants de concilier les faveurs des populations locales[ii].

À l’échelle de la Basse Nubie, se sont maintenus des cultes égyptiens tels que celui du roi égyptien Sesostris III, ou de formes géographiques du Dieu Horus d’Anuket, Satet, Ddwn, des déités bien connues des Égyptiens mais qui auraient été d’origine « nubienne ». Ces cultes sont notamment matérialisés par la construction de temples qui sont aussi témoins du pouvoir royal égyptien, tels que les temples d’Abou Simbel bâtis par Ramsès II.

 

En Haute Nubie en revanche, le nombre de cultes égyptiens en Nubie semble avoir été davantage réduit. Le Dieu Amon semble avoir été assimilé à (une ?) des divinités locales à forme de bélier dans les sites de Pnoubs, de Gematon et Kawa, cette syncrétisation étant à l’origine de la forme de bélier que prendra souvent le Dieu égyptien à partir de cette époque, et le mythe de son origine dans la Montagne Pure, le Djebel Barkal à Napata au Soudan. Le nom indigène de cette divinité était peut-être du type de/saka/[13].

 

Un autre cas de déité kouchite mentionné dans les textes égyptiens de cette époque est peut-être/shapu/, associé par les Égyptiens de l’époque des Ramessides au Dieu Osiris.
Il a été postulé qu’il s’agirait d’une forme ancienne du nom du dieu Sebioumeker qui signifierait « le dieu Sebiu » dans la langue des Kouchites de l’époque du Royaume de Méroé[iii].

 

Après la colonisation…

 

Après la perte de contrôle de l’Égypte sur la Nubie, celle-ci entre dans une période de transition obscure, à la fois du point de vue des sources écrites que de l’archéologie, qui durera de 1069 à 795 avant notre ère et débouchera sur la conquête de l’Égypte par une dynastie kouchite originaire de Napata, traditionnellement mais improprement appelée celle des « Pharaons noirs ».

 

 

[1]              Anthony J. Spalinger (2006), Covetous Eyes South : The Background to Egypt’s Domination of Nubia by the reign of Thutmose III, in Eric H. Cline & David Bourke O’ Connor (eds), Thutmose III : a new biography, Ann Arbor: The University of Michigan Press pp. 344-369.

[2]              Urkunden IV 1666.10

[3]              Donald B. Redford (2004), From slave to pharaoh: the black experience of Ancient Egypt, Baltimore (Md.) : Johns Hopkins university press, p. 40.

[4]              Pays à la localisation indéfinie mais présentée dans un texte égyptien comme possédant des mines d’or mais sans eau. Cf. K.A. Kitchen(1968-1979), Ramesside inscriptions. 2, Historical and biographical. Ramesses II, Oxford : B. H. Blackwell

[5]              Laszlo Török (2009), Between two worlds: the frontier region between ancient Nubia and Egypt 3700 BC-500 AD, Leiden : Brill, p.181

[6]              Torgny Säve-Söderbergh, Lana Troy (1991), New Kingdom pharaonic sites. 2-3, The Finds and the sites, Partille [Sweden] : P. Åström, p.7.

[7]              Bruce G. Trigger (1976), Nubia under the Pharaohs, London : Thames and Hudson, p.129

[8]              Margaret Judd (2010), Pubic symphyseal face eburnation: an Egyptian sport story? International Journal of Osteoarchaeology 20:280-290. ? Margaret A. Judd, Sudan & Nubia, 11, 63, 2007

[9]              H. Schäfer (1901), Die aethiopische Königsinschrift des Berliner Museums. Regierungsbericht des Königs Nastesen, des Gegners des Kambyses, Leipzig : J. C. Hinrichs,38, pp.41-42. ; Francis Llewellyn Griffith (1909), Catalogue of the demotic papyri in the John Rylands libraryt. III, Manchester, p.87 n.4, p.319 n.2, 420 ;

[10]             Gabor Takacs (2008), Etymological dictionary of Egyptian. Volume Three, m- , Leiden ; Boston (Mass.) : Brill, p.815 ;

[11]             Christian Simon (1989), Les populations Kerma : évolution interne et relations historiques dans le contexte égypto-nubien , Archéologie du Nil moyen, 3, pp.139-147.

[12]             Donald Redford, op. cit, p.44

[13]             Claude Rilly (2003), échange épistolaire avec Dominique Valbelle daté du 6 janvier 2003

 

[i]               Dominique Valbelle et Charles Bonnet (2003), «Amon-rê à Kerma», Hommages à Fayza Haikal BdE 138, IFAO, Le Caire.

[ii]              Charles Bonnet (2009), « Un ensemble religieux nubien devant une forteresse égyptienne du début de la XVIIIe dynastie. Mission archéologique suisse à Doukki Gel – Kerma (Soudan) », in : Genava n.s. 55 : 95-108.

[iii]              Claude Rilly (2007), La Langue du Royaume de Méroé, Un Panorama de plus ancienne culture écrite d’Afrique sub-saharienne, Paris : H. Champion, p. 12.

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