A l’origine un des groupes de Noirs marrons fuyant l’esclavage au Surinam, les Boni, vont se distinguer des autres groupes en refusant un traité de paix avec les puissances coloniales, les amenant à faire la guerre contre celles-ci puis à s’établir dans l’actuelle Guyane française.
Par Sandro CAPO CHICHI / Nofipedia
Origines
Comme les autres populations noires des Amériques, les Noirs marrons de Guyane et du Surinam sont d’origine africaine, un héritage qu’ils sont toutefois parvenus à mieux conserver grâce à leur plus grand isolement par rapport aux populations colonisatrices européennes. Grâce notamment à ces vestiges de pratiques culturelles du continent, on peut déterminer que les ancêtres des Noirs marrons de ces régions proviennent principalement de l’aire culturelle akan, répartie sur le Ghana et la Côte d’Ivoire, mais aussi de la région du Congo et du Golfe de Bénin. Les premiers ancêtres africains des Boni arrivent au 17ème siècle dans l’actuel Surinam pour y être utilisés en tant qu’esclaves. A cette époque, de toutes les colonies néerlandaises comme Curaçao ou le Brésil entre 1630 et 1654, le Surinam est considéré comme la plus précieuse, grâce aux bénéfices obtenus par la production de cacao, de sucre, de café et de coton. Cette colonie, où la présence, à côté des autres colons de confession chrétienne, de colons juifs est particulièrement significative, atteignant parfois jusqu’à plus de la moitié de la population blanche de l’île, est aussi connue pour être celle où le traitement des esclaves était le plus atroce. Ainsi, d’après van Pinson-Bonham, un gouverneur de la colonie, qui a voyagé pendant 21 ans dans chacune des colonies des Antilles, partout dans ces endroits, l’une des plus dures punitions infligée à un Noir est de l’envoyer au Surinam. Cette crainte est entretenue par la pratique récurrente de mutilations en groupe et publiques pour simplement décourager des velléités de rébellion de la part d’esclaves. En 1730, par exemple, rapporte Stedman, un militaire néerlandais, a ainsi eu lieu au Surinam, l’exécution barbare de dix Noirs afin d’effrayer leurs compagnons: l’un d’entre eux fut suspendu vivant à un gibet par un croc de fer qui lui traversait les côtes; six femmes furent rompues vives et deux filles décapitées. C’est dans ce contexte qu’au début du 18ème siècle, à partir de 1712, des groupes de Noirs, comme les Saramakas, les Djukas puis les futurs Boni décident de fuir les plantations et d’avoir recours au marronnage en créant des communautés d’esclaves dans la forêt. Ils attaquent les plantations pour libérer des esclaves et récupérer des armes. Au début du 18ème siècle, leur communauté est constituée d’environ 5000 ou 6000 personnes.
La scission des Boni du groupe des autres marrons
Après une révolte des marrons en 1757, les Djukas signent un traité en 1760 avec les colons qui les déclarent comme indépendants et place les futurs Boni sous leur suzeraineté, les appelant à les combattre. En 1762, c’est au tour des Saramakas de signer ce traité. Les futurs Boni refusent et sont les cibles d’attaques des autres marrons légitimés par le pouvoir colonial. A cette époque, les futurs Boni sont sous la direction d’un chef appelé Asi Sylvester ou Koudjani. En 1765, il est remplacé par Aluku, un ancien, qui s’occupe de la communauté, des femmes et des enfants et de Boni Okilifou, plus jeune, qui fait office de chef militaire. C’est vers cette époque que les futurs Boni prennent le nom d’Aloukous, puis de Boni du nom de leurs fameux chefs. De nombreux conflits opposent ainsi les colons néerlandais et les Djuka d’une part aux futurs Boni d’autre part. Ceux-ci, grâce notamment aux tactiques de guérillas, et à une parfaite connaissance des forêts où se déroulent les combats sous l’impulsion de leur brillant chef guerrier Boni, réussissent à mettre en difficulté leurs adversaires.
Le gouverneur Fiedmont écrira au sujet de cet échec:
Les efforts que la colonie de Surinam a fait (…)pour détruire et dissiper les marrons, paraissent n’avoir servi qu’à mieux leur apprendre mieux échapper aux poursuites, à combattre leur défense, et à connaître les avantages que leur donnent sur les Européens la nature du pays, le climat (…)
La guerre (1772-1776)
En 1772, mise en difficulté par les Boni, la colonie du Surinam demande au roi Guillaume d’Orange de lui envoyer du renfort de la métropole. Celui-ci arrive sous la forme d’une armée d’environ 1200 hommes sous le commandement d’un général d’origine suisse, Fourgeoud, qui, déterminé, « jure de poursuivre Boni Okilifou jusqu’au bout du monde ». Le but des attaques des Boni contre les plantations et les postes militaires coloniaux n’est pas de conquérir le Surinam mais de se procurer des armes et de libérer des autres esclaves. Malgré les nouveaux effectifs arrivés des Pays-Bas, les Boni parviennent à défaire de manière cinglante les forces coloniales en 1773. Lors de la bataille de Gado Sabi en 1775, les Boni subissent une terrible défaite, qui n’est pas avare en vie des Néerlandais, mais qui amène les Boni et leur chef à fuir le Surinam pour la Guyane française? La réception des Français y est hostile et ceux-ci s’appliquent à les chasser. Les Boni, sous l’impulsion de leur chef Boni, s’enfoncent à la Crique Sparuine puis à Bonidoro entre 1783 et 1793. A la mort de Boni en 1792, c’est son fils Agossou qui prend la tête des Boni.
De la fin de la guerre à l’époque contemporaine
Pour échapper aux Djukas, les Boni sont refoulés vers le sud à Gaa Daï où ils s’établissent entre 1792 à 1837. Las de plus d’un demi-siècle de guerre, les Boni décident de se résoudre à la paix et nouent des contacts avec des Français à cet effet. Pour s’installer sur l’Oyapock, lors du 7 juillet 1841, douze Boni arrivent devant le fort mais n’ayant pas l’autorisation du gouverneur, onze d’entre eux sont massacrés par les Français à Cafesoca. Après ce drame, les Boni abandonnent toute tentative de rapprochement avec les Français et s’installent définitivement sur le Lawa où ils créent les villages de Cottica et de Pobiansi.
Après une défaite décisive contre les Djuka en 1836 après laquelle les Boni tombent sous le joug de leurs vainqueurs, a lieu en 1860 la conférence d’Albina où est reconnue officiellement l’indépendance des Boni qui y font la paix avec leurs frères ennemis Djuka. C’est à cette époque qu’ils apprennent l’abolition de l’esclavage. Les Boni se voient attribuer un territoire d’Abunasonga jusqu’au grand Maruini en Guyane et au Surinam actuels. Les Boni vivent depuis lors paisiblement en Guyane, même si ce témoignage glorieux de la résistance africaine en Amérique que sont l’identité et l’histoire boni semble souffrir de la difficulté des transmissions entre les anciens et les nouvelles générations de cette population en Guyane. Outre la Guyane, le monde noir ne peut que gagner à apprendre et à réapprendre l’histoire de ce peuple immensément authentique, courageux et admirable.
Pour en savoir plus
Le Monde des marrons du Maroni en Guyane / Jean Moomou
https://nofi.fr/2015/03/13244/13244