Le rôle des femmes dans l’indépendance de la Guinée

L’indépendance de la Guinée s’est faite grâce à la contribution cruciale des femmes de ce pays.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

L’indépendance de la Guinée de Sékou Touré est la première obtenue d’un pays d’Afrique subsahariennne sous domination coloniale française. Obtenue en 1958, cette indépendance anticipée a été le résultat d’une longue lutte à l’avant-garde de laquelle se trouvaient des femmes.

Le contexte
Fin 1953 en Afrique de l’Ouest francophone, Sékou Touré fut l’un des principaux leaders de la grève générale qui eut lieu plus longtemps en Guinée que dans le reste l’Afrique de l’Ouest francophone. Cette grève avait conduit à d’importantes avancées sociales. Fort de sa popularité, Touré brigua alors un siège vacant à l’Assemblée Nationale Française en 1954. Son principal concurrent, Barry Diawadou, formé à l’école de l’administration coloniale et fils d’un chef collaborateur des colons français, bénéficiait ouvertement du soutien de ces derniers. Avec son message égalitaire, le Rassemblement Démocratique Africain de Sékou Touré allait toucher les classes jusqu’alors marginalisées dans la société d’alors, dont les femmes.

Les femmes en Guinée durant la période coloniale

Durant la fin de la période coloniale, les femmes guinéennes des classes populaires avaient de nombreuses revendications vis-à-vis du pouvoir colonial. L’hygiène et les services médicaux fournis par l’administration coloniale étaient réservés à ses membres, à l’armée et aux colons européens. Pour le reste de la population, dont les femmes issues des classes populaires et leurs enfants, l’état de ces services était déplorable. Le RDA se prononça pour répondre à ces revendications, non seulement dans ces domaines, mais aussi dans ceux des infrastructures routières, d’écoles dans les zones rurales comme urbaines, ainsi que des mesures favorisant les petits agriculteurs. Sékou Touré fut à l’origine d’une autre mesure visant plus spécifiquement l’amélioration de la situation des femmes dans la société.

Sékou Touré et l’émancipation des femmes

Dans sa majorité, avant l’indépendance, la Guinée était une société conservatrice avec des rôles restreints attribués aux hommes et aux femmes. D’anciennes militantes du RDA présentent la situation de manière assez abrupte. Ainsi, pour Fatou Kéïta, une ancienne membre du RDA d’ethnie soussou:
« Les femmes étaient des esclaves. Partout où il y avait plus de deux hommes, les femmes n’étaient pas autorisées à parler. C’est Sékou Touré qui a apporté ce changement. Les socialistes et la BAG (Bloc Africain de Guinée, parti de Barry Diawadou, NDLR), les autres partis étaient jaloux. Ils disaient que toutes les familles seraient séparées, que les femmes divorceraient de leurs maris si elles venaient à rejoindre des partis politiques. Mais les femmes étaient convaincues que leur participation à la politique était une bonne chose. Et la plupart rejoignirent le RDA. Elles pensaient qu’envoyer leurs filles à l’école était une bonne chose et beaucoup envoyèrent leurs filles à l’école. » (traduction personnelle du texte anglais traduit du français par Elizabeth Schmidt, Mobilizing the Masses, p.125).

La réaction des femmes fut très enthousiaste à cet appel du RDA. En 1954, rien qu’en Basse-Guinée, 6000 femmes étaient membres du parti et toutes les délégations et actions du parti comprenaient des hommes et des femmes.

L’élection législative de 1954 et l’insurrection civile

En 1954, l’élection législative, manifestement truquée, élit Barry Diawadou à l’Assemblée Nationale. Une vague de protestation envahit alors les manifestants du RDA et notamment ses membres féminins. Elles se manifestèrent à une grande échelle pour combattre cette injustice.

Comme elles l’avaient fait avant l’élection pour rassembler des femmes au sein du parti, les femmes guinéennes créèrent de nouvelles danses, chansons et slogans pour informer du trucage des élections et de leur nécessité de se mobiliser avec le RDA pour l’indépendance. L’utilisation de danses et de chants pour communiquer était particulièrement efficace pour les militantes du RDA, dont beaucoup étaient illettrées, n’ayant pas reçu d’éducation occidentale. Les militantes firent aussi usage des réseaux de marchés où beaucoup d’entre elles travaillaient pour faire passer leurs informations et des cartes de membre du RDA.

indépendance de la guinée
Mafory Bangoura

Certaines femmes du RDA formèrent aussi de leur propre initiative,  des milices 100% féminines qui provoquaient et attaquaient physiquement les membres de partis politiques rivaux. La première chef de ces milices fut Mafory Bangoura, considérée comme la responsable de l’introduction des femmes dans le RDA. La plus audacieuse de ces combattantes à être restée dans les mémoires était Nabya Haidara, une métisse soussou-libanaise au comportement extrêmement guerrier et utilisant des sabres gravés à son nom.

https://nofi.fr/2017/02/mafory-bangoura/35822

Les représailles, réaction et solidarité

La rébellion des femmes du RDA contre la corruption de l’administration coloniale et des chefs traditionnels corrompus causa des craintes et des répressions de la part de cette dernière.  De nombreux militants et militantes furent emprisonnés. Les militantes redoublèrent alors d’ingénuité pour communiquer avec les membres du parti en prison.  Lorsqu’en janvier 1955, l’élection de Barry Diawadou fut confirmée d’un simple vote de la main à l’Assemblée Nationale Française, l’insurrection des militants du RDA s’intensifia. Lors d’un terrible incident en 1955, bien qu’enceinte, la militante M’Balia Camara fut éventrée d’un coup de sabre par David Sylla, un chef de canton corrompu dont les militants du RDA avaient refusé de reconnaître l’autorité. Cet événement eût l’effet d’un catalyseur dans la lutte pour la lutte contre le colonialisme du RDA de Sékou Touré, qui était déjà devenu de très loin le parti le plus populaire de Guinée.

https://nofi.fr/2017/02/mbalia-camara-revolution/36427

Bientôt, la France, débordée par des guerres d’indépendance dans ses colonies d’Indochine et du Maghreb allait chercher à préserver son empire en octroyant davantage d’autonomie à ses colonies par le biais de la Loi Cadre (1956). En 1957, le RDA était élu à la tête du gouvernement guinéen et un an plus tard, devenait le premier d’Afrique sub-saharienne à obtenir son indépendance de la France.

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Ce combat,  il avait été mené de fond en comble par des femmes guinéennes des classes populaires séduites par cette opportunité d’améliorer leur vie et celle de leurs enfants. Pour arriver à ce but, elles s’étaient muées tour à tour  en vendeuses, prospecteuses, danseuses, chanteuses, responsables de communication, artistes plasticiennes, espionnes, vigiles, gardes du corps, infirmières, combattantes de rues, prisonnières, femmes politiques. En parallèle, elles avaient souvent laissé de côté leurs rôles traditionnels de mères de famille, mettant parfois en péril leurs couples. A la suite de cet extraordinaire labeur trop souvent ignoré, elles sont souvent revenues à leurs rôles d’épouses, de mères et de grand-mères ayant accouché de ce qu’elles pensaient espérer de mieux pour leurs enfants:  l’indépendance de leur pays la Guinée,  et plus tard, de leur continent l’Afrique.

Références

Elizabeth Schmidt / Mobilizing the Masses

Elizabeth Schmidt / Cold War and Decolonization in Guinea

 

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