Le 15 janvier 1971 périssait fusillé Ernest Ouandié, un leader de la lutte pour l’indépendance du Cameroun dans les années 1950 opposant au gouvernement d’Amadou Ahidjo.
En 1948, Ouandié intègrait les rangs de l’Union des Populations du Cameroun (UPC). Ce mouvement indépendantiste camerounais incarnait le renouveau de l’idée nationale. il fut diabolisé et combattu. Le parti sera écarté des bénéfices de la «décolonisation», mais reste encore aujourd’hui bien implanté dans les mémoires camerounaises. Quatre ans plus tard, Ernest Ouandié est élu vice-président de l’UPC.
En avril et mai 1955, l’UPC lance une série de réunions militantes, distribue de nombreuses brochures et organise des grèves. Le 20 juin de la même ,année, le dirigeant de l’UPC, Ruben Um Nyobé, est condamné par contumace à 6 mois de prison et à une lourde amende. Le 13 juillet 1955, le gouvernement français d’Edgar Faure dissout l’UPC par décret. La plupart des dirigeants du mouvement, dont Ouandié, fuient à Kumba, une ville du Sud-Ouest du Cameroun, afin d’éviter d’être emprisonnés par la puissance coloniale.
La révolution armée éclata au Cameroun. Ruben Um Nyobé était resté dans la « zone française » dans la forêt près de son village natal de Boumnyébel, où il s’était réfugié dès avril 1955. Les rebelles nationalistes de l’UPC menèrent une lutte acharnée contre les Français. Finalement, les insurgés furent obligés de se réfugier dans les marécages et les forêts. Ruben Um Nyobé fut capturé dans la région de Sanaga-Maritime et tué le 13 septembre 1958.
En 1956, Ouandié était toujours réfugié à Kumba. En juillet 1957, sous la pression des Français, les autorités britanniques du Cameroun occidental le déportèrent ainsi que d’autres dirigeants de l’UPC à Khartoum, au Soudan. Il s’installa ensuite au Caire, en Égypte, à Conakry, en Guinée puis à Accra, au Ghana.
Après l’accession du Cameroun à l’indépendance en 1960, les rebelles de l’UPC qui luttaient contre le gouvernement colonial français continuèrent de combattre le gouvernement du président Ahmadou Ahidjo, qu’ils considéraient à la solde du colon. En effet, la France n’avait plus le choix, étant donné le contexte politique international de décolonisation. Elle devait feindre d’accorder une fausse indépendance au Cameroun. Ahmadou Ahidjo fut la marionnette choisie par De Gaulle pour faire avaler la pilule aux populations camerounaises. le Pr Jean Koufan, enseignant au département d’histoire de l’Université de Yaoundé I révèle que :
« En 1958, Ahidjo devient le Premier ministre à la place d’André-Marie Mbida, par la volonté de la France qui veut donner une impression d’apaisement, bien qu’elle continue de réprimer l’Upc dans le sang»
Dans l’ouvrage Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique – 1948-1971 co-écrit par Jacob Tatsitsa, Thomas Deltombe et Manuel Domergue on apprend que :
«Le général De Gaulle ne fait ici qu’adopter l’indépendance factice que la IVème République avait préalablement initiée. C’est pour mettre en place cette politique qu’est installé au pouvoir un jeune télégraphiste, nommé Ahmadou Ahidjo. Ahidjo est l’homme idéal, car il n’a pas une « conception trop rigide de la démocratie».
Ainsi, l’ex-puissance coloniale garde sa mainmise sur les richesse du Cameroun. Ahmadou Ahidjo accédera au pouvoir dans des conditions qui structureront la Françafrique.
Le 3 novembre 1960, Félix Moumié, Président de l’UPC, est assassiné. Les services secrets français l’empoisonnent avec une dose mortelle de thallium. Sous la présidence Ahidjo, le Cameroun fait plus figure de DOM/TOM que de véritable république indépendante et souveraine.
Seul survivant parmi les leaders originaux, Ernest Ouandié prit la tête de l’Union des populations du Cameroun, et devint l’ennemi public numéro 1 de l’administration néo-coloniale, « françafricaine » du Cameroun. Revenu clandestinement au pays en 1961, Ouandié s’appliqua à poursuivre la lutte sur le terrain. Il dirigea, il structura, et entraîna les citoyens dans une guérilla, sans relâche contre le pouvoir en place. Ce sera désormais par la lutte armée que l’UCP fera entendre ses revendications.
Dès 1962, Ouandié mit sur pied une école afin de former une nouvelle génération de cadres politiques et construisit des centres de soins pour venir en aide à la population. Ahidjo et ses amis français voulaient la peau de Ouandié et le firent très activement rechercher.
9 ans durant, il évite les embûches et autre trahisons. Il fera face aux forces néocoloniales de façon très solitaire, peu à peu privé du renfort de ses bases arrières, sans aucun ravitaillement, traqué par une armée camerounaise au service de la France.
Finalement trahi par son propre camp, il finira par se rendre lui-même à ses adversaires et se laissera arrêter sans opposer la moindre résistance.
Entre les mains de l’état faussement indépendant du Cameroun, Ouandié sera torturé et privé de toute visite d’avocats pendant 6 mois. En Décembre 1970 aura lieu le « procès de la rébellion » où il sera condamné à mort. Le 15 Janvier 1971, il y a 46 ans, jour pour jour, il sera fusillé par un peloton d’exécution à Bafoussam. Le Cameroun venait de tuer l’un de ses plus grand héros. Il fallut d’ailleurs attendre le 16 Décembre 1991 pour que Ouandié soit déclaré héros national par le Parlement camerounais.
Sources :
- AbandoKwe, Juliette. « 41 ans après: Ernest Ouandié, « le dernier des Mohicans », exécuté le 15 janvier 1971«
- Jacob Tatsitsa, Thomas Deltombe et Manuel Domergue. Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique – 1948-1971