La Conférence de Berlin de 1885 : décryptage de la division de l’Afrique et ses répercussions

Explorez l’histoire de la Conférence de Berlin, un moment clé où l’Afrique fut divisée entre puissances coloniales comme un vulgaire gâteau, marquant profondément son destin et façonnant les luttes pour l’unité et la souveraineté africaine.

La Conférence de Berlin : le partage de l’Afrique et le début d’une lutte pour la souveraineté

Conférence de Berlin
Commentaire français sur la conférence de Berlin de 1884-1885 : Otto Von Bismarck, alors chancelier de l’Allemagne, est représenté ici brandissant un couteau au-dessus d’un gâteau tranché portant l’inscription « Afrique ». Ses collègues délégués assis autour de la table le regardent avec effroi. Caricature non attribuée dans L’illustration, 3 janvier 1885, page 17.

Du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, la Conférence de Berlin a marqué un tournant décisif dans l’histoire de l’Afrique. Orchestrée par Otto von Bismarck1, cette réunion a formalisé la partition du continent africain entre les puissances coloniales européennes, inaugurant une ère de colonisation et de commerce intensifié. L’Acte général issu de cette conférence a non seulement redessiné la carte géopolitique de l’Afrique mais a également posé les fondations des luttes futures pour l’indépendance et la souveraineté africaine.

Cet acte symbolisa la formalisation du partage de l’Afrique, traitée avec la désinvolture d’une marchandise partagée. Cet événement a marqué un tournant crucial, initiant l’expansion coloniale européenne qui a profondément altéré ou assujetti la plupart des empires, royaumes, et états africains existants, redéfinissant ainsi le cours de l’histoire africaine et ses aspirations à l’autodétermination.

Le partage de l’Afrique à Berlin : actes et conséquences d’une division continentale

Conférence de Berlin
Gravure représentant la conférence de Berlin, en décembre 1884

Au cœur de l’Acte général de la Conférence de Berlin, une série de résolutions furent gravées, esquissant le visage d’une Afrique nouvellement divisée sous le regard avide des puissances européennes :

Dans une quête pour apaiser l’esprit critique de l’opinion publique européenne, les architectes de la conférence proclamèrent l’abolition de l’esclavage, tant celui pratiqué par les Arabo-musulmans qu’entre Africains eux-mêmes. Un pacte fut scellé, interdisant la traite des esclaves à travers leurs sphères d’influence, bien que, dans l’ombre des proclamations, les chaînes de l’esclavage se perpétuaient en secret.

L’immense étendue du Congo, s’étirant sur près de deux millions de kilomètres carrés, fut déclarée propriété privée de Léopold II de Belgique2, octroyée par le biais de la Société du Congo3. En échange, un serment fut prononcé, promettant d’ouvrir ces terres aux convoitises et aux capitaux européens. Ce territoire, marqué par la promesse, se muera plus tard en une colonie belge, administrée par l’État, témoignant de l’empreinte indélébile de la convoitise coloniale.

Les quatorze puissances signataires, unies par un accord tacite, s’engagèrent à promouvoir le libre-échange à travers le bassin du Congo, les eaux du lac Malawi, et au-delà, dans des contrées situées au sud du 5e parallèle Nord.

Les majestueux fleuves Niger et Congo furent libérés, leurs eaux offertes au commerce maritime, brisant les chaînes qui entravaient leur cours naturel.

Un principe d’effectivité fut érigé, exigeant une présence tangible pour légitimer les revendications coloniales, une barrière contre les empires fantômes nés de la seule ambition.

Chaque nouvelle emprise sur les rivages africains devait désormais être annoncée aux autres signataires, un écho dans le vide, destiné à prévenir les conflits entre avides conquérants.

Des territoires furent délimités, offrant à chaque puissance européenne un droit exclusif de revendiquer la terre et ses richesses, une licence ouverte pour puiser dans l’abondance africaine, souvent au détriment de ceux à qui elle appartenait de droit.

Ainsi fut tracé le destin d’un continent, dans les salons feutrés de Berlin, loin des terres qu’ils prétendaient diviser, un testament de l’ère coloniale qui allait redéfinir l’Afrique et son avenir.

Acte général de la Conférence de Berlin du 26 février 1885

Conférence de Berlin
La conférence de Berlin, telle qu’illustrée dans Illustrirte Zeitung (1884). wikimedia.org

Nous présentons ici des extraits choisis de l’Acte général de la Conférence de Berlin, daté du 26 février 1885. Ce document, pionnier sur la scène internationale, a introduit et formalisé le concept de « sphères d’influence », jetant les bases juridiques pour une nouvelle ère de relations internationales et de diplomatie territoriale :

Voulant régler, dans un esprit de bonne entente mutuelle, les conditions les plus favorables au développement du commerce et de la civilisation dans certaines régions de l’Afrique, et assurer à tous les peuples les avantages de la libre navigation sur les deux principaux fleuves africains qui se déversent dans l’océan Atlantique; désireux d’autre part, de prévenir les malentendus et les contestations que pourraient soulever à l’avenir les prises de possession nouvelles sur les côtes d’Afrique, et préoccupés des moyens d’accroître le bien-être moral et matériel des populations indigènes, ont résolu […]:

ARTICLE PREMIER – Le commerce de toutes les nations jouira d’une complète liberté […] :

ARTICLE 5. – Toute puissance qui exerce ou exercera des droits de souveraineté dans les territoires susvisés ne pourra y concéder ni monopole ni privilège d’aucune
espèce en matière commerciale.

ARTICLE 6 – Toutes les puissances exerçant des droits de souveraineté ou une influence dans lesdits territoires s’engagent à veiller à la conservation des populations
indigènes et à l’amélioration de leurs conditions morales et matérielles d’existence et à concourir à la suppression de l’esclavage et surtout de la traite des Noirs… La liberté de conscience et la tolérance religieuse sont expressément garanties aux indigènes comme aux nationaux et aux étrangers […].

ARTICLE 34 – La Puissance qui, dorénavant, prendra possession d’un territoire sur les côtes du continent africain situé en dehors de ses possessions actuelles ou qui,
n’en ayant pas eu jusque-là, viendrait à en acquérir, et de même la Puissance qui y assumera un protectorat, accompagnera l’Acte respectif d’une notification adressée
aux autres Puissances signataires du présent Acte, afin de les mettre à même de faire valoir, s’il y a lieu, leurs réclamations.

ARTICLE 35 – Les Puissances signataires du présent Acte reconnaissent l’obligation d’assurer, dans les territoires occupés par elles, sur les côtes du continent africain,
l’existence d’une autorité suffisante pour faire respecter les droits acquis et, le cas échéant, la liberté du commerce et du transit dans les conditions où elle serait stipulée.

Réflexions sur l’héritage de Berlin : vers une Afrique souveraine et unie

Caricature représentant Léopold II et d’autres puissances impériales à la conférence de Berlin. wikimedia.org.

En conclusion, la Conférence de Berlin de 1884-1885 représente un moment charnière dans l’histoire de l’Afrique et du monde, marquant le début d’une ère de colonisation et de redéfinition des frontières qui allait profondément impacter le continent africain. L’Acte général issu de cette conférence a non seulement légitimé le partage de l’Afrique entre les puissances européennes mais a également posé les fondements des dynamiques de pouvoir et des sphères d’influence qui continuent d’influencer les relations internationales à ce jour.

Ce document historique, premier du genre à reconnaître officiellement le concept de « sphères d’influence », a ouvert la voie à une période de domination coloniale qui a remodelé l’identité, la géographie, et l’économie de l’Afrique. Toutefois, il a également semé les graines de la résilience africaine, de la lutte pour l’indépendance et de la quête continue pour la souveraineté et l’autodétermination.

Aujourd’hui, plus d’un siècle après la Conférence de Berlin, il est crucial de réfléchir aux leçons de cette période et de reconnaître son héritage dans les défis et opportunités auxquels l’Afrique est confrontée. En revisitant cet événement, nous ne faisons pas seulement acte de mémoire historique, mais nous nous engageons également dans une réflexion sur la manière dont les peuples et les nations peuvent surmonter les héritages du passé pour bâtir un avenir plus juste et équitable.

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Notes et références

  1. Otto von Bismarck : Otto Eduard Leopold, Prince de Bismarck, Duc de Lauenburg (1815-1898), était un homme d’État prussien et allemand, souvent surnommé le « Chancelier de Fer ». Il est principalement reconnu pour son rôle clé dans l’unification de l’Allemagne et la mise en place du premier empire allemand en 1871. En tant que premier chancelier de l’Empire allemand, Bismarck a joué un rôle déterminant dans la direction de la politique européenne vers la fin du 19e siècle, notamment en orchestrant la Conférence de Berlin de 1884-1885, qui a redéfini les règles de la colonisation africaine par les puissances européennes. ↩︎
  2. Léopold II de Belgique : Léopold Louis Philippe Marie Victor (1835-1909) fut le deuxième roi des Belges, régnant de 1865 à 1909. Connu pour son expansion coloniale agressive, Léopold II est surtout célèbre pour avoir établi l’État indépendant du Congo comme sa propriété personnelle. Sous son administration, le Congo fut le théâtre d’exploitations et de cruautés massives contre ses habitants, dans le but d’extraire des ressources naturelles, notamment le caoutchouc. Ces abus ont finalement conduit à une pression internationale qui a forcé la Belgique à annexer le territoire en 1908, transformant l’État indépendant du Congo en colonie belge. Léopold II est une figure controversée, souvent critiquée pour son rôle dans les atrocités commises au Congo, qui ont eu des répercussions profondes et durables sur la région. ↩︎
  3. Société du Congo : La Société Internationale du Congo, aussi connue sous le nom d’Association Internationale du Congo, était une association fondée par le roi Léopold II de Belgique pour promouvoir ses ambitions coloniales au Congo. Officiellement présentée comme une organisation humanitaire et scientifique, elle servait en réalité de façade pour les activités de Léopold visant à établir un contrôle personnel sur le bassin du Congo. Sous le couvert de cette société, Léopold a réussi à obtenir la reconnaissance internationale de ses revendications territoriales, conduisant à la création de l’État indépendant du Congo, qui est devenu sa propriété privée, avant de devenir plus tard une colonie belge sous administration publique. ↩︎
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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