Quand le rap français était Noir : l’art de la revendication

Quand le rap français était Noir revient sur l’épopée des groupes de rap français des années 1990 et 2000. Ou quand les rappeurs noirs étaient les maîtres de ce style musical, qu’ils faisaient à eux seuls tourner cette industrie et tentèrent même de la conquérir. Entre passion et professionnalisme; talent et désillusions, ce dossier est l’occasion de revenir sur l’arrivée de ce mouvement en France et sur ses artistes emblématiques. 

L’histoire du rap français c’est plus de 40 ans d’histoire de la musique, de relation ambigüe avec les médias, l’industrie et la politique. Ce mouvement musical ambivalent qui permet à la fois d’exprimer sa réalité, de dénoncer mais aussi de divertir et faire danser est un héritage littéraire, sociologique et intemporel. Si au départ le mouvement est bien né aux Etats-Unis à la fin des années 1970, il s’est créé une identité particulière à son arrivée en France à la fin des années 1980. Porté par plusieurs générations, pratiqué par des génies du rythme et de la rime, au ban de la République française, le rap a surtout été un mouvement contestataire qui, en éveillant et éloignant les citoyens des sources de propagandes d’état, rapprochait paradoxalement ses acteurs de leur espace (la banlieue) mais aussi à leurs racines culturelles africaines. Bien que la question noire demeure tabou, le Hip-Hop et particulièrement le rap étaient noirs aux Etats-Unis et le sont resté dans leur essence en France.

Mettre en lumière la diversité: un Noir à la télé

Certes, le terme « diversité » est quelque peu galvaudé, notamment à cause de son usage politiquement correcte qui masque une volonté du système de soigneusement éviter de nommer les ethnies. Une feinte de langage qui permet de conserver l’illusion d’une France multiple au sein-même de laquelle ce qui trahit l’imaginaire collectif de la République (tout ce qui n’est pas blanc) reste occulté. Néanmoins, c’est bien de cela qu’il fut question lorsque le mouvement Hip-Hop arriva en France par la grande porte. En effet, pour la première fois, la chaîne nationale TF1 laissait un créneau à monsieur Patrick Duteil dit Sidney pour animer l’émission anthologique « H.I.P.H.O.P » de 1984 à 1985. Avant cela, un peu plus tôt dans les années 1980, en 1981 précisément, Sidney animait quotidiennement une émission radio sur le Hip-Hop de 22h à minuit sur Radio 7, une station du groupe radio France qui mourut en 1987.

Radio nova
Crédit photo: Le petit Afficheur

Radio Nova, qui avait flairé le bon tuyau proposait au même moment Deenastyle, animée par Lionel D et dj Dee Nasty. Tous ces acteurs s’essayèrent eux-mêmes au rap et à la danse hip-hop, mais concernant Sidney, c’est pour avoir introduit le rap au niveau nationale qu’on se souvient de lui (je précise qu’il est toujours vivant). Bref, un noir à la télé, vous savez bien l’effet que ça fait, encore aujourd’hui, d’apercevoir un frère ou une sœur dans son propre programme et de le voir exceller en abordant un sujet qu’il maîtrise. Le Hip-Hop c’est aussi les valeurs du partage et de la solidarité et, volontairement ou non, Sidney a ouvert la porte aux rappeurs français grâce à son travail et à cette belle opportunité. Un peu plus tard, le mouvement fit également émerger des spécialistes auto-proclamés tels que l’incontournable Olivier Cachin qui eut l’idée bankable, avec l’émission rap Line (diffusée sur M6 entre 1990 et 1993), de mettre en lumières les rappeurs français. Et à ce moment là, il y avait matière à.

Prendre sa place dans la société

Des ghettos américains aux banlieues françaises, les problématiques restent sensiblement les mêmes. De façon très contrariante mais malheureusement vraie, l’exclusion et la misère sociale riment avec l’immigration et donc avec l’Afrique. Aussi, la logique veut que les rappeurs qui émergent soient tous noirs. Cependant, au gré de leurs mesures, oui oui en rappant leurs vies difficiles, ils ne se doutaient pas qu’ils s’éloignaient de la défaite. Puisqu’on leur avait fermé la porte, ils entraient par la fenêtre et bruyamment, et brillamment. Au départ, certains caressaient le rap timidement ou en privé entre potes ou dans les aprem (après-midi dansantes, mais ça fait hyper vieux et sans charisme), où les groupes des différentes banlieues se retrouvaient sur Paris. Cela permit des connexions de plus grande envergure et la professionnalisation du rap. De 1982 à 1987, la capitale se faisait l’écho des premières scènes (sessions open mic) et le rap se démocratisait. Les radios commencèrent à jouer le jeu, tardivement, excepté radio nova donc, sur les ondes de laquelle apparaissent les premiers freestyle.

Stomy Bugsy, Kenzy, Doc Gyneco Crédit photo: Vibe

L’ego trip, est une règle de base dans le rap. Dans cet exercice, un rappeur en affronte un autre au micro en rivalisant de créativité et de style pour prouver à tous qu’il est le meilleur. Un exercice de la mort subite également car il permet de voir immédiatement qui bluffe et qui sait vraiment rapper.

NB : je précise qu’à l’origine le rap était passionné mais surtout exigeant. Aussi, contrairement au rap américain, il n’était pas encore question d’avoir une bonne instru sur laquelle le morceau entier reposait. Il fallait impérativement dire quelque chose et le dire bien, la plume et l’inspiration faisaient partie intégrante de la discipline, autant que la construction des vers. Cela est inhérent, en règle générale, à la musique française.

Mc Solaar

Emergent en premier lieu, pour ceux dont on se souviendra : Mc Solaar, Assassin, NTM, Passi… La décennie suivante offrira à un public conquis et qui s’essaye de plus en plus au rap, des groupes mythiques combinant plusieurs talents pour un impact encore plus grand. Je passe ainsi sur le détail des plumes du 21ème siècles que sont encore Mc Solaar et Oxmo Puccino pour arriver aux groupes qui, juste par leur association et leur affiliation ethnique furent les porte-drapeau d’une jeunesse, d’un message et d’un phénomène inédit : le rassemblement de jeunes noirs qui portèrent haut et fièrement leurs couleurs, leurs spécificités culturelles en touchant aux tripes ces millions de français issus d’une double-culture.

Les Neg Marrons Clip: Lève-toi, bats-toi

II/ Noirs et Fiers

Talentueux, présomptueux, avec l’insolence et la rage de convaincre, les groupes qui émergèrent durant l’âge d’or du rap français ne soupçonnaient pas que le rap puisse devenir une carrière, rentable par ailleurs. Pour la première fois, en dehors du milieu intellectuel afro-bobo-parisien, des Noirs étaient regroupés par amour du rap, poussés par le besoin urgent de prendre la parole dans l’espace publique.

En 1988, J’L’Tismé ; Mc Bees et Parano Refré créent le groupe « Tout simplement Noir ». Les plus jeunes (comme moi-même) se souviennent plutôt de leur remix du tube de Claude François « Belles, belles, belles ». Mais TSN cassait la baraque bien avant ça avec des titres crus et chill en mode rap G-Funk, donc rap qu’on peut écouter pour danser, ou assis, ou dans une voiture, dans une chambre d’hôtel ou dans sa chambre. Non, on n’a rien inventé du tout. Bref, militants surtout par leur nom, en souplesse, Tout simplement noir racontait simplement la vie de nombreux mecs de cité :monter dans la capitale pour s’amuser en boîte, la bagarre pour les égos et les malentendus, les relations étranges avec le sexe opposé, l’alcool, la fumette, la nuit. Je disais donc qu’on retiendra surtout d’eux le morceau « A propos de Tass* » :

NB : La nuit est une thématique qui revient souvent dans le rap. Parce que la nuit, en effet, est un mystère et une discrétion dans laquelle se drapent pratiquants d’activités illicites, damnés, malheureux, curieux, vivants, oppressés par la vie.

Despo Rutti feat AP: La nuit

Ils firent, consciemment ou non, une étude sociologique de notre société. En cela, ils étaient puissants et donc dérangeants pour les élites qui virent avec horreur leurs enfants réciter en boucle les textes les plus violents (mais souvent réalistes) de ces nouveaux musiciens appelés « rappeurs ». Ils racontaient également une époque, plus difficile pour les Noirs qu’aujourd’hui, durant laquelle les clichés triomphaient de la réalité, faute de canal national pour les contrecarrer. Ce fut une ère où les noirs étaient les rois du rap, les rois du charisme, des ventes, de l’industrie et des lettres. Effectivement, on pensait jusqu’alors que les banlieusards étaient incapables de s’exprimer dans un français correct, d’écrire ou de lire. Pourtant, ils savaient et ils le prouvèrent, sans aucun filtre, fidèlement, les rappeurs interpellèrent la société sur des cycles d’inégalités, d’abus et d’indifférence qui se répétaient pitoyablement. On pouvait alors savoir ce que cette première génération de descendants d’immigrés et d’immigrés arrivés très tôt en France devenait. Ce n’était pas très glorieux, mais c’est aussi ça la force du rap : sublimer le chaos pour produire des merveilles.

Cassidy du groupe X-Men
Par HopNmind

NB : [Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de rapper mais c’est beaucoup moins facile que ça en a l’air. Vraiment. Trouver des rimes, faire que ça tombe juste et garder le rythme…essayez et vous me direz 🙂 ]

III/ S’approprier le business: le Secteur Ä

L’épopée noire du rap français ne réside pas ans le simple fait d’être doué pour la discipline. Aussi, l’aspect business est intéressant en ce qu’il témoigne de la volonté de ces jeunes loups d’infiltrer les sphères de décision et d’exploitation de cet art. En effet, comme c’est encore le cas aujourd’hui (à grande échelle), l’industrie du rap en France était gérée par des hommes et femmes d’affaires étrangers à cette musique. Diplômés de grandes écoles de commerce ou fils de, exclusivement Blancs ou les trois en même temps, issus de milieux favorisés, qui ne connaissaient pas le rap ou le vivaient par procuration. L’absence de voir des premiers intéressés aux postes de contrôle a donc toujours été problématique. Ainsi, certains de ces rappeurs tentèrent de récupérer les clés du château. Le collectif Secteur Ä en est le meilleur exemple.

Plus qu’un groupe de rap, l’entité Secteur Ä fut le symbole d’une jeunesse afro-descendante mise à l’écart qui gagna du terrain et se construisit une place centrale, au cœur des banlieues, au coeur des médias français, au cœur de l’industrie musicale et du mouvement rap en France.

Ministère A.M.E.R
Crédit photo: hypebeast

C’est Jérôme Ebella, aka Kenzy (Moda), qui, en 1998, est à l’origine de cette coalition et la propulse sur la scène nationale française. Visionnaire, business man trop en avance sur son temps, il avait saisi l’importance d’organiser le rap en créant une industrie autour de ces artistes talentueux. Il fallait en effet qu’en plus de créer ils produisent et que leur génie les enrichisse. Manger sa part avec les majors pour que les rappeurs ne soient plus les nègres du marché. Bien que lui-même rappeur et porte-parole du Ministère A.M.E.R, c’est en tant que manager-producteur que l’on se souvient surtout de Kenzy. Salarié chez Musidisc, un label que rachètera Universal plus tard, il y fait signer le Secteur Ä. L’épopée commence alors.

Le Ministère et ses gens. Crédit photo: Captcha magazine

1.b.Val d’Oise en force

Comme aux Etats-Unis, le rap rime aussi avec l’appartenance à un espace géographique défini : le quartier. Kenzy et les autres membres du Secteur Ä, à l’origine, sont tous originaires du Val D’oise, le 95, ce qui participe à mettre en lumière cette agrégation de banlieues éloignée. Les artistes ne manqueront pas de « représenter » ce 95 dans  leurs morceaux. Le collectif prend son nom en référence à un quartier de Sarcelles, la cité Valéry, surnommé Secteur A et lui donne une valeur plus symbolique en s’inspirant du film Double Détente de Walter Hill, sorti en 1988. Dans ce long-métrage, un agent spécial se retrouve confronté, en prison, à Abdulaï, le leader d’un groupe d’afro américains dissidents qui veulent retourner la destruction à l’envoyeur en revendant du crack exclusivement aux Blancs. Bien qu’hors-la-loi et en majorité incarcérés, les membres du groupuscule et leur chef sont persuadés d’agir, avec leurs moyens et tout cet argent brassé, pour la cause noire. La référence à Abdulaï est la raison du tréma sur le A. Par ailleurs, le fait que Kenzy choisisse cette image et que ses acolytes acceptent de se regrouper sous cette bannière n’est pas anodin. En effet, que cela ait été conscient ou non, Kenzy voulait que ces rappeurs noirs s’approprient leur art et leur part de marché, tout en revendiquant leur identité.

Film « Double-détente », 1988.
Crédit photo: Fim & Cinéparade

1.c.Marronnage

Le Secteur Ä, c’est la réunion des groupes les plus célèbres : Neg’ Marrons (Jacky et Benji) ; Ärsenik (les frères Calbony et Alino Mbanni, alias Calbo et Lino) ; Ministère A.M.E.R (Passi, Stomy Bugsy, Kenzy) ; Mc Jannick ; Doc Gynéco ; La clinique et Hamed Daye. Plus tard, d’autres membres, originaires d’autres départements, rejoindront l’aventure dont Pit Baccardi en 1999 soit un an après la formation du groupe.

Passi

Le Secteur ä assume sa posture de rebelle et dès sa première année d’activité, il est invité sur la scène de l’Olympia pour le concert donné à l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Un concert mythique qui officialise l’avènement de cette nouvelle ligue. En résultera un double-album, reprenant les titres balancés sur scène, directement enregistrés ce soir-là, avec l’ambiance du concert et sans mixage. On peut considérer ce disque comme le premier du Secteur Ä. Plus tard, le chanteur Singuila rejoindra l’aventure.

Singuila
Crédit photo: MadeInBoa

Le Secteur Ä a réussit le pari d’être un collectif noir qui ne se posait aucune question. Les fans de rap français ont reçu ce groupe pour ce qu’il était à savoir : la réunion d’une sélection des meilleurs rappeurs d’Île-de-France. On leur doit des titres comme :

Affaires de famille en featuring avec la chanteuse Assia:

D’un point de vue marketing, le secteur Ä permettait de promotionner de façon continue les projets musicaux de chacun des groupes, qui continuèrent d’évoluer en parallèle du noyau. En plus de propulser cet art dans une autre dimension, le Secteur Ä donna également au public à découvrir des voix féminines de l’époque, avec un niveau remarquable pour le territoire. Ce fut le cas par exemple des chanteuses Jalane, K-Reen ou encore China Moses. Ces rappeurs et ces chanteuses poursuivirent ensuite les collaborations musicales et certaines, des carrières florissantes:

Concert du Secteur Ä à l’Olympia, 1998:

Assia feat Hamed Daye: « La thaïlandaise »:

2.Une composition de choix

  • Ministère A.M.E.R:

Tout commence par la révolte de deux amis lycéens, Passi et Stommy Bugsy, à Garges-Sarcelles, au début des années 1990. Concernés et indignés par le contexte politique ambiant, ils décident de s’exprimer à travers le micro. Ils s’allient à Kenzy Moda, qui deviendra ensuite le porte-parole du groupe, et Hamed Deye. Le rap sera donc le moyen d’expression de ces quatre jeunes, unis sous l’étendard « Minister A.M.E.R ». L’identité du groupe tient toutefois surtout aux fondateurs Stomy et Passi. Paroles crues, ton engagé, opposition claire aux institutions, le Minister assume des prises de positions politiques, qui sonnent plus dures et profondes que celles des autres groupes de rap contemporains.

Jaquette du premier album du Ministère A.M.E.R

Leur premier album « Pourquoi tant de haine » sort en 1993 et le ministre de l’intérieur de l ‘époque, Charles Pasqua, en demande l’interdiction. Toutefois, c’est l’album 95200 (le code postale de la commune de Sarcelles), sorti en 1994, qui restera d’anthologie avec plus 300 000 exemplaires vendus (sans le stream à l’époque) sans aucune promo. Avec ce disque, le ministère AMER introduit  le parisien Doc Gyneco, alors novice, sur plusieurs morceaux de l’album. Afin de célébrer les 20 ans de ce 13 titres, les membres fondateurs ont donné en 2014 un concert anniversaire intitulé 95200 à L’Olympia.

Stomy Bugsy lors du concert anniversaire pour les 20 ans de l’album 95200
Crédit photo: Aiiiight

En 1995 sort le chef d’œuvre de Matthieu Kassovitz, « La Haine ». Le groupe est invité sur la B.O et produit l’un des titres les plus marquants de sa carrière : Sacrifice de poulets. En langage explicite, tuer du flic. Cela leur vaudra une amende de 250 000 francs et surtout une notoriété nationale. En effet, paradoxalement, ce qui leur cause le plus d’ennui est à l’origine de leur consécration.

Quelques titres cultes :

Sacrifice de poulets:

https://www.youtube.com/watch?v=3nzdV38IQLA

Plus vite que les balles:

Brigitte femme de flics:

https://www.youtube.com/watch?v=Tl2CHLy0hXk

Le talent n’étant pas le monopole d’un genre musical particulier, le Ministère A.M.E.R a fait un featuring avec feu le rockeur préféré des Français,Johnny Halliday, en 2006:

Echantillons de talents individuels

En dehors du groupe, Passi et Stomy Bugsy mènent à partir de la fin des années 1990, de brillantes carrières en solo. Stomy Bugsy s’assagit et livre des textes plus peronnels sur sa vie de famille, son fils, ses amis disparus, ses amoures…en 1996, il sort le tube « Mon papa à moi est un gangster », sur l’album « Le calibre qu’il te faut », daté de la même année. La nouvelle génération d’enfants qui reprend la chanson à tue-tête ans les cours de récréation ignore que le « gangster d’amour » est le même mauvais garçon qui provoquait la police un an auparavant.

Un tour de magie qui confirme une fois de plus le talent du cap verdien, sa capacité à rapper sur des thèmes aux antipodes les uns des autres, néanmoins, l’album contenait évidemment des titre aux sujets plus lourds.  Il sortira également un EP et 7 autres albums jusqu’en 2001, avant de ralentir sur la musique pour jouer la comédie. On l’appercevra ainsi dans « Ma cité va craquer » de François Richet en 1997 ; dans de courtes sitcoms pour la télévisions et surtout ux côtés de Titof dans la saga « Gomez et Tavarrres » de Gilles Paquet-Brenner, dont le premier volet est sorti en 2003. Avant cela, il avait déjà joué avec le réalisateur dans « Les jolies choses », aux côtés de Marion Cotillard, sorti en 2001.

  • Ärsenik:

Originellement Art Sonic, le groupe, formé en 1992, se compose d’abord des frères Calbo et Lino Mbanni ainsi que Le cuisto, qui sera remplacé par Tonny truand suite à son incarcération. Pourtant, le groupe tiendra surtout au duo fraternel car le cousin Tonny Truand restera bloqué au Congo Brazzaville, d’où les trois sont originaires suite à un mic-mac de papiers. A son retour, le divorce sera définitivement consommé. Le nom du groupe reprend le tréma du Secteur Ä.

Le groupe Ärsenik
Crédit photo: SnatchMagazine

A l’époque, la plupart de leurs morceaux apparaît sur des mixtapes et c’est ainsi qu’ils commencent à se faire une réputation dans le milieu. Au cours des années 1990, ils s’associent à Passi, 2 bal de Neg, Mystik et Jacky des Neg marrons pour former le groupe Bisso na Bisso, qui signifie « Entre nous » en langue lingala. Arsenik rejoindra le Secteur Ä dès sa création en 1998 et sortira par la même occasion son premier album « Quelques gouttes suffisent ». On entendra parler d’eux jusqu’au début des années 2000, avant que le duo ne se fasse un peu plus discret. Mais le sens aiguisé du verbe que détient Lino inscrit de fait le groupe au panthéon des rappeurs les plus marquants de l’histoire du mouvement en France. Leur aura restera intacte et ce propos se vérifiera lorsqu’en 2015 ils reviendront sur le devant de la scène pour une tournée nationale.

Mc Janik est originaire de la Guadeloupe. C’est par la Dancehall et le reggae qu’il commence à se faire un nom dans les Caraïbes d’abord françaises puis anglaises dans les années 1990. Passages radio, sound systems, compilations, Mc Janick devient vite une référence dans le milieu.

Mc Janik (à gauche) et Kalash (à droite)
Crédit photo: Skyblog (Skyrock).

Le choix de la musique reggae va nécessairement de paire avec une prise de position identitaire, politique et sociale. Le chanteur mêle le créole à l’anglais et au français, insistant sur les références du genre telles que les percussions, en particulier le tambour, qui est un ingrédient essentiel de la musique carribéenne. C’est cette particularité en fera un artiste original également respecté dans l’hexagone et débouchera sur ses collaborations avec des rappeurs français tels qu’Ärsenik et bien sûr le Seceteur Ä.

Reprenant les sonorités du rock steady et du heavy rock comme ses pairs avant lui, Jannick a l’honneur de voir son troisième projet « Mc Janik », produit pat le clavier des Wailers, dieux du reggae devant l’éternel et anciens comparses de Marley, Tyrone Downie. Par la suite, il réalise la compilation « Combines » sur laquelle on retrouve, en plus des featurings Antillais, ses complices du Secteur Neg Marrons et Pitt Baccardi. Discret ces dernières années, il a toutefois sorti trois autres albums entre 1998 et 2011 et conserve son statut d’artiste de musique carribéenne, parfait featuring rap des années 1990. Janik était la touche vibrante du Secteur Ä, en faisant ainsi un groupe complet qui réunissait toutes les personnalités de la musique dissidente francophone.

Pit Baccardi
Crédit photo: From Paris
  • Pit Baccardi:

Comme Janik, Baccardi, de son vrai nom Guillaume Ngoumou, déroge à la règle géographique. Le grand public, pas forcément amateur de hip-Hop, le connaît surtout grâce à son tube déchirant « Si loin de toi », en hommage à sa mère, décédée à sa naissance et sorti en 1999. Pourtant, sa carrière commence tout de même un peu avant ça. Il n’est pas originaire du 95, comme les autres membres, mais de Paris, où il arrive du Cameroun au début des années 1980. Il collaborera avec le collectif tardivement, bien après s’être lancé dans le rap en tout cas. Parce que c’est dans la capitale que Baccardi fait ses armes, au début des années 1990, en côtoyant les autres MC de la place.

C’et comme ça qu’en 1995, il entre dans le collectif ATK (« Avoue que tu kiffes »), aux côtés de Cyanure, Kesdo et dune vingtaine d’autres membres dont Antilope sa. Débutant hyper talentueux, Baccardi ets très tôt considéré comme l’un des meilleurs rappeurs et nombreux sont les artistes, producteurs, et maisons de disques qui misent sur son succès durable. A la même période, il rencontre ceux qui deviendront les membres du groupe Time Bomb. Cette aventure aboutira sur la rencontre de Baccardi avec les les Neg Marrons. L’artiste camerounais élargira ensuite ses horizons en travaillant avec des chanteuses de variété française et des chnateurs de rnb américains comme Joe. Depuis quelques années, il est rentré au Cameroun et continue d’évoluer dans le monde de la musique, en tant que producteur cette fois, pour des artistes à succès comme le groupe Xmaleya:

Plus tard, sans Passi, Gyneco, Kenzy, Daye et Stomy, les membres restants du Secteur Ä prirent le nom « Noyau dur », lourd de sens et sortirent quelques morceaux dont le titre « Viens », avec la participation des icônes de la jet set et du coupé décalé ivoirien dans le clip:

3. L’union fait la force

Parmi les tentatives entrepreneuriales des rappeurs de l’époque, d’autres collectifs et labels s’essayèrent avec succès au regroupement. Car c’est bien connu, l’union fait la force. En plus d’offrir une part plus grande de marché, ces rassemblement furent de réelles pépinières qui permirent de faire éclore des talents du milieu dont certains jouissent encore d’un succès commercial important.

  • Première classe

Ce label de rap français a été fondé par Jacky, Patou, Stéphane, Benji et Pit Baccardi, après leur rencontre en 1998. Benji dira qu’il a voulu créer cette association pour favoriser plus de collaborations avec des beatmakers, des djs et des artistes d’autres bords. Première classe favorise la connexion avec des artistes de variété française telles que Gen Renard, avec qui Baccardi sera un duo plus tard. Sur les deux projets du label on retrouve d’autres noms du rap de l’époque comme Busta Flex, Oxmo Puccino (qui collaboreront notamment sur le morceau « Esprit mafieux ») ; Lord Kossity ou Disiz la peste.

Lord Kossity
Crédit photo: The African News

Les membres du Secteur se retrouvent également sur les EP, c’est le cas de Passi et d’Ärsenik. Première classe est à l’origine de titres emblématiques dont le célèbre « On fait les choses » avec la participation de Mystik et Rohff ; ainsi que le single « Gladiator » de Neg Marrons et Lord Kossity. Le label produira les projets de Tandem et de l’Skadrille, les premiers albums de Pitt Baccardi ; ceux des Neg Marrons dont le bilan, ainsi que celui de la chanteuse Jalane. Première classe élargira ses horizons en produisant l’album Vodoo, du collectif de musiciens congolais Quartier Latin, anciens disciples du chanteur Koffi Olomide.

  • Time Bomb:

Time Bomb est créé en 1995 par plusieurs Djs du 94 : Ricky le boss, Vlavo, Dj Sek et les Djs Mars. Leur première compilation sort la même année. Plus qu’un groupe, Time Bomb est une pépinière qui permet aux artistes les plus prometteurs d’éclore dans le milieu de la scène rap en France. On y retrouve le duo Lunatic, composé des rappeurs Ali et Booba ; le groupe X-Men ; Oxmo Puccino et Pitt Baccardi pour les plus connus. Le titre qui restera dans les anales sera le freestyle de 1996 « Les bidons veulent le guidon », sur lequel posent tous les artiste précédemment cités.

X-men se compose de Cassidy, Hi-Fi et Hill G III, trois parisiens du 20ème arrondissement. Le single « Pendez-les », qui figure sur ce qui est sans doute la meilleure compliation de rap français de tous les temps, « Hostile », sortie en 1996, installe le groupe parmi les rappeurs les plus écoutés de la place. Ils apparaissent sur la Bande-Originale du film « Ma 6-T craker » avec le morceaux « Retour aux pyramides » qui fait mouche et demeure jusqu’à nos jours un classique.

Le groupe X-men
Crédit photo: Noisey

Les X-men sont le premier groupe du genre à signer avec la maison de disques Universal, sur lequel ils modifient leur nom en X aka Xmen, en raison de la sortie de la saga américaine. Toutefois, la collaboration tourne mal et prend rapidement fin. Une mésaventure qui va fragiliser les trois jeunes membres, qui vont cependant pousuivre avec différents featurings et des albums jusque dans la première décennie des années 2000. Bien que les membres finissent par se séparer, ils continuent de poser sur des morceaux. Grâce à cela, les X-Men, en détail, sont restés présents et productifs dans le rap entre 1995 et 2010. Après avoir marqué une pause, ils reviennent en 2014 (Cassidy), et en 2015 avec le projer modus Operandi. Le groupe reste une référence.

Ce qui ressort surtout de ces groupes est l’authenticité; la capacité à s’approprier les codes américains en les adaptant à leur univers français, en racontant la réalité des banlieues françaises sans faire de fades copier-coller. Connectés à leur espace géographiques, ils l’étaient aussi à leurs racines. En effet, la double-culture est un élément important de leurs personnalités. Français pour la plupart mais tous nés de parents afro descendants ou africains, furent aussi les initiateurs de l’afro rap. Du rap savamment mélangé à des musiques africaines, ou plutôt, les musiques africaines revisitées avec les codes rap.

Calbo, membre du Bisso na Bisso

IV/Se reconnecter à la base: Africanité et rap

1.Rapafrica

Bisso na Bisso est le précurseur de l’afro rap francophone, en ce qu’il mixait parfaitement le rap et les sonorités africaines, notamment congolaises, faisant ainsi un pont entre les bribes de culture inculquées par nos parents et notre évolution dans les quartiers populaires français. le groupe était composé de Calbo et Lino (Ärsenik); Benji (Neg’ Marrons); Mystik; les jumeaux 2 Bal de neg; Passi et la seule femme, ex-membre du girls band français Mel Groove, M’passi.

M’Passi
Crédit photo: Notulus

« Du rap 100% afro » ! Bisso na bisso remettait au goût du jour des chansons populaires au temps de la jeunesse lointaines de nos vieux, avec des rythmes plus modernes. C’est le cas par exemple pour les titres « Deuxième Bureau », « Liberté » et « C.O.N.G.O ». Le premier reprend  la comptine congolaise populaire qui tourne en dérision Clotaire, un homme volage réputé pour son amour inconditionnel envers la gente féminine. Dans le langage courant congolais, le « deuxième bureau » fait référence une maîtresse avec laquelle le mari adultère a créé un foyer illégitime.

Youss N’Dour, Monique Seka, Koffi Olomidé, Ismaël Lo, Lokua Kanza, Papa Wemba. Autant de grands noms du continent qui collaborèrent avec le Bisso na Bisso sur leur premier et meilleur projet: Racines. Pour cet album, ils reçurent le Dora du meilleur groupe africain, en 1999, des mains de feu Nelson Mandela. Le groupe était en effet panégriste et insistait sur la réunion des africains et afro descendants entre eux, faisant évidemment la passerelle avec les Antilles.

Plus que ça, le groupe endossa son rôle de lanceur d’alerte et de rébellion, le groupe dénonçait les travers de la politique. Les membres étant tous originaires du Congo Brazzaville, ils racontaient, dans la satire et en finesse, la corruption des hommes tête de cet état d’Afrique centrale alors en pleine guerre et surtout, le drame que vivait la population qui en était victime:

https://www.youtube.com/watch?v=LKP_btPVVaM

Un groupe mythique, qui amena vulgarisa la musique africaine et permis aux non)convaincus par le rap d’apprécier la prose hip-hop, en rythme. En 2009, après une longue absence, Bisso na Bisso revint sur le devant de la scène, sans Mystik, avec l’album Africa. Un projet plus commercial et plus mainstream, sur lequel figurèrent des titres destinés à devenir des tubes d’été comme le morceau-vitrine Là-bas:

https://www.youtube.com/watch?v=S68YdqbcvFk

Cependant, on y retrouve tout de même la prose engagée du Bisso, notamment sur le titre Bon voyage, qui traite le sujet de l’immigration massive via la Méditerranée, du point de vue des exilés eux-mêmes. Un morceau poignant à propos duquel le rappeur Lino nous confiait d’ailleurs qu’il aurait aimé clipper ce titre qu’il apprécie particulièrement:

L’exile comme conséquence des dérives politiciennes en Afrique avait déjà été abordée par le groupe dans le titre Le cul entre 2 chaises:

2. La Caraïbe c’est pas que le Zouk

A cette époque où le Hip-Hop français était quasi exclusivement Noir, où l’africanité s’exprimait, les artistes Antillais jouaient eux aussi leur rôle de correcteurs d’image. Loin des clichés véhiculés par le doudouisme, ils mirent en perspective deux choses:

La première: les Antilles n’étaient pas ces îles et territoires loin de l’hexagone, occupés par des plages de sable fin et de coquillages où chacun vivait verre de rhum à la main et dans une pleine quiétude. Tout le monde n’y passait pas son temps à se frotter en musique et à manger des fruits de mer. Non, il y avait aussi et surtout de graves problèmes sociaux, une politique d’abandon poliment menée par l’Etat (un peu comme dans les banlieues mais en pire à cause de l’éloignement). La crise socio-économique se profilait, le chômage insistait et la colère était palpable. Ainsi, comme dans la Caraïbe anglophone, le reggae et plus tard le dancehall,  étaient les armes musicales qui servaient à interpeller et invectiver. Aussi, les artistes entendaient bien, à quelques pas de la capitale métropolitaine, exprimer leur indignation.

rap français

La seconde: Oui il y avait la béguine, le zouk, qui appartiennent au patrimoine culturel Antillais, mais pas seulement. Donc, pour la leçon, un artiste caribéen fort et fier de son héritage, qui reprend les codes de sa société, ne chante pas forcément sur des rythmes langoureux. Les déclarations d’amour ne sont pas les seuls messages à faire passer au public et ils ne sont pas tous « peace » et nonchalants. Le rap,en tant qu’arme lyricale et même comme média de masse, leur servit également à dire, à leur manière ce dont ils voulaient (devaient) réellement parler. Par ailleurs, la plupart d’entre eux vivaient ici, ils étaient donc également soumis aux règles et problèmes de leur quartier.

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Ti punch
Crédit photo: Pinterest

L’un dans l’autre, cette époque donc, nous offrit des Mc’s décidés à cracher leurs vérités. Nous prendrons ici l’exemple de Daddy Nuttea (pour ne citer que lui mais sans oublier Daddy Yode, Big Red et les autres). De son vrai nom Olivier Lara, Nuttea est un artiste de ragga qui a été repéré dans les sound systèmes. Ce guadeloupéen arrivé en France hexagonale alors qu’il n’était encore qu’un enfant, explose à la fin des années 1990. Il collabore avec des artistes rap sur des bandes originales de films comme Taxi 2 et sur des morceaux avec le groupe marseillais IAM. Toutefois, c’est son album solo Un signe du temps, sorti en 2000, qui lui offre une pleine visibilité. L’album cartonne. L’art de Nuttea est de faire subtilement passer des messages revendicateurs. Sur ce disque figure Le blues du fugitif, un titre qui raconte la fuite d’un captif épris de liberté:

On y retrouve également un appel à l’unité des Noirs, un hymne communautaire puisant, qui annonce le rassemblement des Noirs comme le début d’une nouvelle ère. « Marchons car unis nul ne nous fera taire »; « Ici chacun est le gardien de son frère » ou encore « Les premiers seront derniers » sont des extraits des paroles que l’on peut y entendre. Le clip est d’ailleurs tourné sur un bateau négrier:

Elles dansent, la quatrième piste de l’album, raconte la déchéance de la jeunesse féminine désoeuvrée et sa chute presque systématique dans la prostitution. Le récit du destin de beaucoup de filles, parfois mères, qui n’ont pas réussi à entrevoir d’autre porte de sortie que la vente de leur corps. Un fléau qui touche les demoiselles à travers le monde entier, surtout là où la misère a établi ses quartiers:

Néanmoins, ce n’est pas parce qu’on milite qu’on ne peut pas réaliser de belles balades sur l’amour et…la rupture. Une tragédie de tous les jours:

La règle veut que la légèreté passe mieux e que le sexe soit l’argument de vente le plus convaincant. Ainsi, le tube Elle te rend dingue fut choisi pour communiquer autour de l’album. C’était grand, public, efficace et sexy (la fille dans le clip l’était):

D’un point de vue strictement musical, on a également aimé le groupe Saïan Supa Crew, qui posait juste, nous afaisiat danser et glissait toujours quelques punchlines bien senties pour te rappeler qu’il ne s’agissait pas que de pousser la chansonnette.

 

Au-delà de toutes ces valeurs véhiculées, de tous ces talents révélés, l’ère du rap Noir a aussi été très lucrative. La preuve en quelques chiffres :

  • Doc gyneco:  1.577.200 ventes
  • Nuttea: 1.290.600 ventes
  • Mc Solaar: 5.352.100 ventes
  • Passi: 2.037.400
  • Menelik: 1.028.600

(Albums et singles confondus; Source Infodisc)*

Les albums « Quelques gouttes suffisent » d’Ärsenik; « Les tentations » de Passi; « Le calibre qu’il te faut de Stomy Bugsy furent certifiés double-disque d’or. Au cours des années 2000, d’autres groupes persistèrent dans cette tendance comme Les Sages poètes de la rue ou les Psy4 de la rime à Marseille. Le rappeur Kery James se maintient également dans cette dynamique. Le rap français engagé revint ensuite progressivement avec Youssoupha, Tito Prince et Damso. On note aussi l’avènement de l’ancien groupe Sexion d’assaut qui, à ses débuts, faisait du rap et comptabilisa 2.388.500 de ventes et dont les anciens membres Maître Gims et Black M poursuivent braillement leur carrière dans la variété avec 1.735.700 de ventes pour le premier et 1.385.300 pour le second.*

*Source Infodisc (chiffres de 2014).

 

 

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https://nofi.fr/2017/02/bruno-mars/35611

SK
SK
SK est la rédactrice/ journaliste du secteur Politique, Société et Culture. Jeune femme vive, impétueuse et toujours bienveillante, elle vous apporte une vision sans filtre de l'actualité.

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