Comme son prédécesseur occidental, la Chine a bien compris que seul le continent africain est en mesure d’assurer une montée en puissance économique exponentielle à quiconque le possédera. En ce sens, elle a su tirer profit de ses relations, tissées avec l’Afrique depuis plusieurs siècles. Sa stratégie repose essentiellement sur les investissements directs et les prêts. Ce procédé d’accaparement du potentiel Africain est connu sous le nom de Chinafrique. La question est donc de savoir si ce nouveau système favorise ou fait obstacle à la renaissance africaine.
L’histoire sociale de l’Afrique a été fortement marquée ces derniers siècles par les traites successives (arabo-musulmane et européenne), l’esclavage, la colonisation et la néo-colonisation. Ces assauts ont entraîné un rapport Nord/Sud déséquilibré, qui s’éternise et pèse particulièrement sur les aspects économiques, commerciaux, politiques et démographiques. Des phénomènes renforcés par l’omniprésence occidentale. Cette situation pernicieuse a naturellement empêché l’essor du continent africain. Pourtant, depuis quelques années, le monde a pu constater l’apparition de nouvelles relations commerciales avec des pays comme l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Thaïlande et en particulier la Chine. De nouvelles puissances qui changent considérablement la donne. Toutefois, en analysant d’un peu plus près les relations Afrique/Chine, on constate que la première n’est pas réellement bénéficiaire de ce mariage. En effet, l’augmentation considérable des besoins en énergie et en matières premières de la Chine, ainsi que sa volonté de s’affirmer encore comme puissance sur la scène internationale, sont le moteur essentiel de sa politique actuelle.
1: Les IDE
Hong-Kong est la capitale économique de la Chine. Elle est également, de par sa position géographique, une plateforme offshore1 unique au monde: 60 % des Investissements Directs à l’Étranger (IDE)2 de Hong-Kong vers l’Afrique cachent en réalité les investissements des entreprises de Chine continentale. En termes d’entreprenariat, l’Afrique représente donc pour elle une résidence secondaire confortable, en ce que les entreprises qu’elle y possède sont des succursales des sociétés chinoises existantes. Lorsqu’on sait que 90 % des importations et des exportations africaines passent par la mer, que la population chinoise vieillit et que les effectifs de la classe ouvrière diminuent, il n’est pas difficile de déduire que la Chine est en train de faire de l’Afrique sa nouvelle usine et son fournisseur officiel de main-d’oeuvre.
Une vingtaine d’usines chinoises dans les domaines du textile et de l’électronique est déjà en activité dans les zones économiques spéciales qui entourent la capitale éthiopienne Addis-Abeba. L’Éthiopie a ainsi inauguré plusieurs grands parcs industriels: des milliers de kilomètres carrés construits par la Chine dans la ville d’Hawassa à 300 km de la capitale en 2011, ou encore un autre à Kombolcha. Le Hawassa Industrial Park sera essentiellement destiné à développer l’industrie du textile et de l’habillement. Un secteur qui ne représente encore que 5 % du produit intérieur brut éthiopien, mais qui tend à s’accroître. Concernant, Kombolcha, le chef du gouvernement qui a présidé la cérémonie d’inauguration a aussi confié que ce parc industriel fait partie d’un ensemble de projets prévus dans le cadre du plan gouvernemental visant à faire de l’Ethiopie, un «centre de fabrication en Afrique», selon La Tribune.fr.
2: Les investissements pour la création d’infrastructure en Afrique
En Afrique de l’est, les ports, les voies ferrées et les routes sont largement financés par la Chine. Par exemple: 4 milliards de dollars pour relier l’Éthiopie à Djibouti, 13 milliards pour irriguer le Kenya d’un maillage de voies ferrées. Plus de la moitié des investissements prévus par la Chine dans le cadre de la route de la soie iront à l’Afrique. 90 % de ces investissements concernent l’encerclement portuaire du continent. De simples passerelles pour faciliter les transactions commerciales au bénéfice de la Chine.
3: L’afflux massif des aides au développement chinoises vers l’Afrique
Sur le plan géopolitique, qui dit « Aide » dit « Prêt » et qui dit « Prêt » dit… « Intérêt ». Ces « dons » massifs octroyés par la Chine sont une façon vieille comme le monde (mais toujours aussi efficace) de créer une situation de dépendance d’une grande partie du continent. Les chiffres de l’aide au développement allant de la Chine vers l’Afrique restent opaques, mais on sait néanmoins qu’elle a distribué 354,4 milliards de dollars (300 milliards d’euros) d’aides au niveau mondial entre 2000 et 2014; se concentrant en priorité sur l’Angola (fournisseur de pétrole), le Soudan et le Zimbabwé. Selon le directeur de recherches d’Aid Data, Bradley Parks, l’aide au développement chinois est essentiellement motivée par des raisons économiques et commerciales, il s’agit souvent de taux concessionnels avec de faibles taux d’intérêts qui ont pour objectif de servir uniquement les intérêts économiques chinois.
Les enjeux énergétiques
Le pétrole joue un rôle essentiel dans ce processus. La Chine en était jusqu’en 1993 exportatrice, avec une production qui stagnait depuis 1990. Le rythme de sa croissance a fortement accru sa dépendance : 27 % en 1999, 32 % en 2002, 45 % en 2005, plus de la moitié aujourd’hui (Richer, 2008). Elle en est devenue le deuxième plus gros consommateur mondial et en importe environ le tiers du continent africain. Ses trois plus gros fournisseurs sont, par ordre décroissant, l’Angola, l’Arabie Saoudite, le Soudan et le Nigeria. Pour d’autres producteurs africains, les exportations de pétrole vers la Chine sont devenues essentielles : Congo-Brazzaville (les 2/3 de ses ressources budgétaires), Guinée équatoriale, Gabon, Tchad, Libye, etc. Les quantités achetées ont globalement triplé entre 2000 et 2004.
Selon nos confrères du journal LeMonde, les grandes compagnies pétrolières chinoises ne se contentent pas d’importer mais font de gros investissements dans certains pays et la présence pétrolière chinoise est devenue un enjeu politique essentiel au Soudan. La Chine tente d’anticiper sa politique de diversification de ses approvisionnements, en plaçant ses compagnies dans l’exploration pétrolière ailleurs : la CNOOC (China National Offshore Oil Corporation) en contrôlerait 28 % au Kenya, la Sinopec (China Petroleum & Chemical Corporation) en Éthiopie (Ogaden). Sont aussi fortement concernés le Gabon et le Nigeria, où la Sinopec a découvert un gros gisement en 2010.
Les minerais
La gourmandise de l’industrie chinoise concerne aussi des produits minéraux : on peut citer la bauxite de Guinée (où la Chine a obtenu 30 % des concessions accordées en 2007), le cuivre de Zambie et de République Démocratique du Congo : la région de Lubumbashi au Katanga est ainsi devenue un des bastions de la présence économique chinoise, fluctuante au rythme des variations des cours du cuivre.
Deux exemples datés de 2010 démontrent la montée en puissance de la Chine dans les activités minières africaines : en Sierra Leone, Shandong Iron and Steel annonce un investissement de 1,2 milliard d’euros dans une mine de fer. En Namibie, l’entreprise publique East China Mineral Exploration and Development Bureau (ECE) cherche à acquérir les gisements de plomb et de zinc de Berg Aukas, selon le Journal Open Edition.
Devons-nous craindre la résurgence d’une nouvelle colonisation ?
Récemment, le gouverneur de la banque centrale du Nigeria, Sanusi Lamido, a constaté, dans une tribune publiée par le Financial Times, que l’Afrique vendait à la Chine ses matières premières et que la Chine vendait des produits transformés à l’Afrique, rapporte le média RFI. Pour Sanusi Lamido, il est clair qu’il s’agit là d’une relation coloniale. Et il n’est pas le seul à faire ce constat. Par exemple, Arnaud Dabancourt, un chef d’entreprise franco-sud-africain qui sillonne en permanence la région, constate à longueur de voyages que partout où des chantiers de travaux publics sont confiés à des entreprises chinoises, la main-d’œuvre est chinoise. En attendant que le peuple africain se résolve à ne plus jamais être le plateau de Monopoly du monde, l’imposition du yuan chinois comme monnaie pour succéder au Franc CFA est une crainte déjà évoquée par le microcosme afro-intellectuel.
Notes:
1: Dans le domaine de la finance et de la gestion d’entreprise, le terme offshore est utilisé pour désigner la création d’une entité juridique dans un autre pays que celui où se déroule l’activité, afin d’optimiser la fiscalité (paradis fiscal) ou la gestion financière des capitaux. L’entité juridique en question est alors qualifiée de non-résidente, puisqu’elle n’exerce aucune activité de production ou de service dans le pays où elle est enregistrée. À ce titre, cette pratique se distingue de la délocalisation, qui concerne généralement un transfert d’activités et d’emplois (on parle de société offshore ou de banque offshore)
2: Les IDE (ou investissements directs à l’étranger) sont les investissements réalisés par une entreprise en direction d’une entreprise étrangère. Ces investissements peuvent avoir pour objectif la prise de contrôle de la gestion d’une société aussi bien que la création ou le développement d’une filiale basée à l’international. Ils sont principalement guidés par la volonté de réduire les coûts de production (main-d’œuvre moins chère, fiscalité plus avantageuse, proximité de certaines matières premières…) ou de s’implanter sur un nouveau marché. En ce sens, les IDE jouent un rôle moteur dans la multinationalisation d’une firme. Ils sont également très appréciés des économistes pour mesurer l’attractivité économique d’un pays.
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