Lucien Jean-Baptiste ou la promotion de la culture antillaise dans le cinéma français

« Il faut que les Noirs comprennent qu’aller voir un film est un acte militant. » A l’occasion de la sortie du film « La deuxième étoile », dans les salles ce mercredi, nous avons rencontré le réalisateur Lucien Jean-Baptiste. En cinéaste désireux de promouvoir sa réalité et son attachement à ses origines antillaises, il nous a livré son regard sur le cinéma, ses films, le public, dans un entretien sans langue de bois.

« La deuxième étoile » sort neuf ans après le premier volet. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?

Ce n’est pas le marketing qui doit guider nos intentions mais ce qu’on a dans le cœur. Il faut avoir une idée, sinon ça ne sert à rien d’y aller. C’est déjà tellement difficile de faire un film que je pense qu’au cinéma il faut faire des choses viscérales ; si tu les fait pour de mauvaises raisons ça ne marche pas. En l’occurrence, ce n’est pas Tintin ou Asterix, au départ, je n’avais pas l’intention de faire un second volet.

« La première étoile »
Crédit photo: Sens critique

Quel était le message de « La première étoile » ?

Moi je raconte une histoire vraie, le souvenir de ma mère antillaise qui avait six enfants à élever et qui nous emmenait au ski. C’était ça « La première étoile », pas juste des Noirs qui sen vont au ski, ça on s’en fout. Le message c’est comment quand tu n’as pas d’argent tu essayes d’apporter du bonheur et du rêve à tes enfants. Il n’y a pas de suite à ça, il fallait que je trouve une autre idée et une fois que je l’ai eue, je me suis dit ok, on y va. D’autant que j’ai fait quatre autres films entre temps.

Comment donc vous est venue cette idée d’un deuxième volet ?

En regardant mes enfants. Il y a trop de smartphones, trop de tablettes, on est connectés en permanence mais finalement on est déconnectés les uns des autres. Je me suis dit qu’il fallait que je parle de ça, de cette difficulté qu’on a aujourd’hui de rassembler nos familles, on ne se parle plus. S’il y a un moment dans la vie, dans la société, dans l’année, où on te dit « Soyez ensemble », c’est Noël donc j’en ai profité. En plus, c’est une belle opportunité pour parler des traditions qu’on a chez nous, comme le chanté-Noël et toutes ces choses qu’on ne doit pas perdre.

Pensez-vous que les téléspectateurs ont compris ce message ?

Il y’en a bien quelques uns qui le comprennent, c’est l’essentiel, après on ne fait jamais du 100%, c’est la France. Au-delà de ça, si les gens passent un bon moment en allant voir un film c’est déjà ça de gagné, surtout quand il fait beaucoup d’entrées parce qu’après on peut le voir à la télé, on voit des Noirs à la télé dis donc, c’est cool, ça aussi c’est une belle victoire (rires).

Est-ce quelque chose d’important pour vous de mettre en avant cette culture antillaise ?

Je fais les choses naturellement. Je suis Noir, je suis Martiniquais, je raconte mes histoires et dans mes histoires il y a des gens originaires des Antilles et d’Afrique. Je ne me force absolument pas. Comme le Blanc ne se force pas quand il écrit ses histoires et que d‘un seul coup le seul Noir qu’ont voit est soit vigile soit nounou parce que c’est son imaginaire. Moi je fais avec le mien et dans mon imaginaire ma mère est noire comme moi, mes enfants sont métisses, je encontre des gens de tous bords, toutes origines et je mets tout ça dans mes films, tout simplement.

« La deuxième étoile »

Comment cela est perçu par les productions, les organismes de financements ?

Très bien. Moi je n’ai aucun problème, j’ai eu la chance de faire un succès sur un premier long-métrage et comme je ne suis pas frontal, que je n’arrive pas le poing levé ça fonctionne. Je raconte des histoires qui parlent au plus grand nombre donc tout le monde y trouve son compte. Ce sont des histoires familiales, des comédies, c’est ce que l’industrie aime et par ce biais j’arrive à faire passer quelques messages. On est à cette étape là, on avance doucement. Dans d’autres régions du monde, aux Etats-Unis et en Angleterre par exemple, ils sont plus radicaux, ils sortent des choses plus fortes mais qui sont moins vues malheureusement.

Vous avez-vous même participé à des films un peu plus difficiles comme «Le Gang des Antillais » par exemple.

Oui, j’y ai fait une apparition dans le personnage de Patrick Chamoiseau. C’est important. On ne peut rien faire tout seul et il faut aussi que le public soutienne. Je vois plus d’Antillais ou de Noirs en général qui se délectent à aller voir Vin Diesel ou des conneries américaines après je ne peux pas leur demander d’avoir plus de conscience que la conscience, c’est comme ça. Ils vont tous aller voir les Chtis par wagons et puis toi tu fais un petit film qui s’appelle « Le gang des Antillais » et personne ne va le voir, donc il faut continuer de travailler, d’éduquer. On n’a pas de problème quand il s’agit de football, d’athlétisme ou de danse mais pour le cinéma et le théâtre il y a encore du boulot. Ça passe aussi par le travaille dans les banlieues, où il faudrait peut-être mettre un peu plus de théâtres que de terrains de foot et par les parents qui ne doivent pas s’enfermer dans cet unique espoir de carrière pour leur enfant « Mon fils sera footballeur » ou (Ma fille footballeuse » (rires).

De gauche à droite:
Edouard Montoue; Lucien Jean-Baptiste et Loreyna Columbo dans « 30° couleur »
Crédit photo: ALire Avoir

Comment la communauté antillaise avait reçu le film « 30 degrés couleur » ?

Globalement, j’ai eu de bons retours. Après, ceux qui l’ont mal perçu je ne sais pas, je n’en n’est pas entendu parler. Mais c’est toujours pareil, en France aucun Antillais n’est allé voir le film, les gens n’y vont pas. Pourtant, c’est un film ancré dans cette culture, autour du carnaval et d’autres problématiques. Il faut que les gens comprennent, les Noirs en particulier, qu’aller voir un film est un acte militant. Je peux dire à mes producteurs que j’ai le soutien de mon public mais dans les faits ce n’est malheureusement pas le cas.

« 30 degrés couleur »

Quand tu mets 6 ou 7 euros dans un film, tu donnes la possibilité aux réalisateurs d’en faire d’autres. Aux Antilles, il y a aussi ce problème de réglementation des films qui n’est pas encore résolu, on est en chantier, mais on va y arriver. On a donné le droit de vote aux femmes et regardez où on en est, pour tous ces groupes qu’on appelle minorités, même si je n’aime pas ce mot, il faut un temps. On avance lentement mais on avance. Comme pour les Etats-Unis il a fallu du temps, en revanche, l’avantage là-bas c’est qu’ils sont 40 millions de noirs américains, nous ici je ne sais pas combien nous sommes mais il y a des musulmans, des cathos, des origines ivoiriennes, camerounaises etc, mais pas encore une unité. En France « les Noirs » ça ne veut rien dire.

Comment vous est venue l’idée excentrique du film « Il a déjà tes yeux » ?

C’est parce que j’ai des enfants métisses et qu’ils ne me ressemblent pas, ce sont des petits bobos. Ce n’est pas tant la couleur mais plutôt le fait d’avoir des enfants complètement différents de soi et de se poser cette question de la transmission, de savoir ce que je dois garder de ma culture. Quand je vois ma mère d’un côté qui est vraiment l’Antillaise authentique et mes enfants de l’autre qui sont de petits bourgeois je me dis que j’ai fait des petits blancs. Tu sais c’est comme quand les gens t’entendent t’exprimer correctement ils vont dire que t’es devenu « un Blanc », n’importe quoi. Parce que sous-entendu, un Noir ne peut pas parler correctement. Bref, j’avais envie de m’amuser avec ces inversions, avec ces choses qui lorsqu’elles sont faites par des Blancs ne choquent personne mais choquent tout le monde lorsqu’elles sont faites par des Noirs.

Lucien Jean-Baptiste et Aïssa Maïga dans « Il a déjà tes yeux ».
Crédit photo: Allociné

C’était voulu de montrer que cette adoption pose aussi des problèmes dans ce cas de figure particulier?

Oui. J’ai mis le coeur en premier lieu. Si tu vois un bébé en train de crever dans la rue, qu’il soit Blanc, Noir, Jaune, Vert si t’as du cœur tu le prends. Pour moi ça se situe là et c’est pour dire que quand vous mettez du cœur, tout le reste c’est des conneries. Essayons de passer au-delà de ça. Après, on n’est pas tous pareil, je n’aime pas ce mensonge. On est tous différents mais entendons-nous avec ces différences justement. Le vivre ensemble ce n’est pas vivre les uns sur les autres, il y a des gens qui puent des pieds et je n’ai pas envie de vivre avec eux mais, qu’on s’entende, qu’on se respecte.

SK
SK
SK est la rédactrice/ journaliste du secteur Politique, Société et Culture. Jeune femme vive, impétueuse et toujours bienveillante, elle vous apporte une vision sans filtre de l'actualité.

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